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samedi 19 août 2000

À la rencontre de… Jacques Ardoino Pour une psychologie plurielle
Elwis Potier (dir.)
Paris : L’Harmattan (2024)

L’expérience à laquelle l’ouvrage dirigé par Elwis Potier invite le lecteur, c’est bien, comme l’indique son titre, celle d’une rencontre. Le terme est à prendre au pied de la lettre et dans les différents sens qu’il recouvre : aussi bien le « fait de se trouver fortuitement en présence de quelqu’un » que celui de « se trouver en présence de quelqu’un en allant volontairement au-devant de lui » [1]. Car, ainsi que l’indique la préface, ce sont « différentes facettes du personnage que fut Jacques Ardoino » auxquelles l’ouvrage permet d’accéder (p. 10). Et pas seulement l’aspect scientifique de son héritage, la contribution majeure qui fut la sienne pour la discipline des sciences de l’éducation dont il demeure une référence majeure, à la fois dans les cours dispensés aux étudiants, dans les thèses produites que dans les publications les plus récentes. Les textes réunis lèvent en effet le voile sur des traits de la personne que fut Jacques Ardoino. Si le chercheur n’est pas oublié, on découvre également l’homme, avec son histoire, ses fragilités et ses blessures, ce qui n’est pas si fréquent dans le champ des sciences humaines et sociales. L’accès à un tel niveau d’intimité peut surprendre, déranger, voire questionner. D’autant plus si cet accès relève du « fortuit » et non du « volontaire ». Était-il nécessaire pour rendre hommage au scientifique d’évoquer le fait qu’il était « enfant unique de parents divorcés », « balloté par une mère instable » (p. 19) ? Fallait-il faire état de son caractère « ombrageux », de sa tendance à démissionner « à la première difficulté, au premier échec » (p. 45) ? Comment ne pas être surpris par ce type d’assertion : « avoir été l’étudiant de Jacques, c’est quelque chose qu’on paie toute sa vie » (p. 49) ? Même s’il faut resituer le propos dans son contexte (à la fois celui du texte dont il est extrait, et celui de la période à laquelle il fait référence). Nous pourrions multiplier les exemples de ce genre. On pourrait les taxer de maladresse ou de voyeurisme, si nous ne touchions ici au cœur du projet éditorial, au cœur de ce qui fait à nos yeux sa force, son originalité et son pari. Car ce que nous retenons, en tant que lecteur, une fois refermées les presque trois cents pages de ce livre, c’est le sentiment d’une intrication forte entre le chercheur et l’homme, sa vie et son œuvre. Mais cette intrication se fait selon une modalité somme toute atypique. Une confidence de Guy Berger, rapportée par l’un des contributeurs (Louis Marmoz), en révèle la clé : « Tout ce que dit Jacques, c’est le contraire de ce qu’il est. Il y a une articulation entre lui et ses théorisations qui est étonnante » (p. 110). Ce que la citation suivante (p. 110) développe : « Un champ théorique, c’est une manière de se battre avec soi et je crois qu’au fond, tout le travail de Jacques, c’est une bataille contre lui-même » (Berger, dans Campini, 2011 : 127). Ainsi, à l’heure où la logique du « publier ou périr » fait parfois glisser la production scientifique vers une poiésis imposée, quel meilleur défenseur de la réinvention d’une praxis académique que Jaques Ardoino ? En ancrant les apports scientifiques d’Ardoino dans la trame de son existence, les différents textes réunis par Elwis Potier nous conduisent à les considérer comme une œuvre unissant production de connaissances et production de soi. Ils invitent tout étudiant, tout chercheur en sciences de l’éducation et de la formation à interroger la façon dont les connaissances qu’il produit s’inscrivent dans une existence singulière, dans un système de relations particulier, dans une période donnée et à envisager la façon dont elles participent à la transformation de soi et du monde.
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Dominique BROUSSAL
Université Toulouse-Jean Jaurès

Références

Campini C. (2011) Jacques Ardoino, entre éducation et dialectique. Un regard multiré-férentiel. Paris : L’Harmattan.
Verrier C. (2010) Jacques Ardoino. Pédagogue au fil du temps. Paris : Téraèdre.

Spirale – Revue de Recherches en Éducation – 2025 N° 76 (170-171)