Dans le sillage de La main à la pâte, un enseignement intégré de science et technologie (EIST) s’est mis en place à partir de 2006 sous forme d’expérimentation pédagogique innovante conduite initialement dans une cinquantaine de collèges grâce à un partenariat entre l’Académie des sciences, l’Académie des technologies et le Ministère de l’Éducation nationale :
« L’EIST offre aux élèves la possibilité de mener à bien une démarche d’investigation caractéristique de l’enseignement scientifique et mise en œuvre dès l’école primaire. Dans le cadre de l’EIST, l’élève expérimente, se documente, formule des hypothèses et des conclusions à partir des questions qu’il se pose ou qui lui sont posées. Il devient plus autonome, apprend à mieux utiliser la langue française et les mathématiques dans des situations de recherche. Cette démarche suscite la curiosité des élèves et leur donne le goût des sciences et de la technologie. L’EIST s’inscrit dans la logique du Socle commun de connaissances et de compétences et permet de poursuivre nombre de ses objectifs. Cet enseignement conjoint de trois disciplines, sciences de la vie et de la Terre, physique-chimie et technologie, promeut également un décloisonnement disciplinaire, non pour faire disparaître les disciplines, mais pour favoriser la cohérence entre elles et mettre en évidence leur nécessaire synergie. »
Ce message de la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) donne à voir un tableau « novateur » de l’enseignement scientifique et technologique et présente, à l’heure de l’autonomie des établissements et de la liberté pédagogique du professeur, un cheminent original dans un respect des objectifs généraux et des programmes : un enseignant de l’équipe EIST assure seul un enseignement « intégré » des trois disciplines. Pour le moins, il n’occulte pas le fait que l’EIST est une de ces idées dont la réussite s’argumentera peu à peu et nécessitera de surmonter des difficultés d’organisation, des habitudes et des rigidités. Le développement de ce nouveau modèle d’enseignement scientifique et technologique, mesure phare du plan « Une nouvelle ambition pour les sciences et les technologies à l’École » de 2011 , impose alors à l’institution éducative de mettre au point les outils d’organisation pédagogique et de pilotage à la hauteur des enjeux. La perspective de ce nouveau numéro de Spirale vise plus particulièrement à analyser les liens entre EIST et programmes disciplinaires dans le cadre d’une reconfiguration de l’enseignement des sciences et de la technologie et du renouvellement des curricula scientifiques (Martinand 2003), et dans celui de la genèse d’une conscience disciplinaire (Reuter 2007) en science(s) et en technologie. Ce numéro interroge les changements curriculaires et les nouvelles pratiques nécessaires pour mettre en place cet enseignement de transition entre l’école primaire et l’enseignement scientifique classique du collège.
Les mises en œuvre actuelles de l’EIST peuvent être abordées sous différents angles. La dynamique curriculaire peut parfois provenir des enseignants de cycle 3 soucieux d’amorcer une articulation des programmes scolaires au service des sciences. Des équipes pluridisciplinaires de collèges engagent aussi des réflexions sur l’intégrité de leur discipline, dans ces nouvelles configurations en sollicitant des collaborations étroites avec les professeurs des écoles gérant avec plus d’aisance la part des spécificités disciplinaires dans des fonctionnements synergiques. Mettre en œuvre trois programmes scolaires disciplinaires différents en un enseignement intégré nécessite également que l’équipe enseignante élabore, en l’absence d’un curriculum prescrit , son « propre » curriculum d’établissement. Un cheminement curriculaire peut être modélisé (Coquidé 2011) : le trio d’enseignants détermine, en modifiant le curriculum référent proposé par l’Institution scolaire (Guides 6e et 5e), un curriculum potentiel du « comment faire » qui laisse ensuite la place à un curriculum local issu des propositions collectivement retenues ; chaque enseignant met alors en œuvre, individuellement, ce « co-produit » qui devient le curriculum effectif .
La prise de recul sur cet enseignement scientifique particulier amène de nombreuses questions vives. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous pouvons identifier plusieurs axes d’interrogation : identité disciplinaire versus interdisciplinarité, interactions didactique-pédagogique, enjeu(x) éducatif(s), curricula, historique et épistémologie.
Le projet de ce numéro de Spirale est de soumettre l’EIST au questionnement de chercheurs en éducation se positionnant dans différents cadres de référence. Il répond au souhait d’ouvrir un espace de dialogue entre communautés scientifiques et éducatives. Il propose de confronter des recherches centrées sur la reconfiguration expérimentale d’un curriculum en interrogeant les relations intercurriculaires et les enjeux didactiques de l’EIST. Un des propos est aussi d’examiner la pertinence des contributions relatives et articulées des disciplines scientifiques dans la co-construction progressive de connaissances, capacités et attitudes scientifiques en participant, entre autres, à la réflexion sur la conscience disciplinaire. Il s’agit également de questionner le rôle essentiel de tremplin de l’école primaire vers les apprentissages scientifiques secondaires.
L’article de Maryline Coquidé, Corinne Fortin et Christophe Lasson pose les éléments de cadrage fondamentaux de l’EIST et analyse in situ la dynamique de la construction curriculaire et la mise en œuvre d’EIST par les équipes enseignantes de deux collèges. Il montre que, si une reconfiguration du curriculum de l’enseignement scientifique s’initie dans les cas étudiés, la juxtaposition de contributions disciplinaires est plutôt de mise.
Les deux contributions suivantes interrogent les textes de référence selon des lectures différentes. Les recommandations apportées par l’Académie des sciences, l’Académie des technologies, le Ministère de l’Éducation nationale dans le Guide de découverte, Un enseignement intégré de science & technologie au collège, 6e et 5e (2011) ainsi que le rapport de l’IFÉ, Étude sur l’élargissement de la spécialité enseignante dans l’enseignement intégré de science et de technologie (EIST) au collège (2011), constituent des supports dont se saisissent les auteurs dans leurs approches distinctes. Béatrice Salviat examine les possibilités d’innovation qu’offre ce type d’enseignement, en particulier vis-à-vis des cadrages institutionnels, de la sollicitation des univers de genèse de la science et de son utilisation. Elle définit cet enseignement, grâce à des recueils de pratiques de classe, comme un « prototype expérimental collaboratif ». Laurence Viennot y questionne la cohérence des raisonnements mis en œuvre et l’image de la science véhiculées par l’EIST. Elle pointe l’importance d’une prise de conscience au niveau épistémologique de cet enseignement.
Martine Paindorge compare trois modalités d’enseignement des sciences au collège qui ont été mises en place à différentes périodes au cours des temps pédagogiques. Cette étude diachronique originale portant sur des textes officiels, des rapports d’expérimentation, des bulletins d’association de spécialistes, met en évidence une filiation partielle des enseignements scientifiques mathématiques et technologiques. Elle attire cependant l’attention sur les différences repérées concernant notamment dans les conditions de mise en œuvre et les réactions des enseignants.
Deux autres recherches s’adressent à la place est au rôle des maîtres qui s’impliquent dans l’EIST. Alice Delserieys Pedregosa, Pascale Brandt-Pomares, Jean-Marie Boilevin, Damien Givry et Perrine Martin s’intéressent à la dimension éducative de cet enseignement, tournée vers la modification d’attitudes des élèves envers les sciences et technologies et leur enseignement. L’analyse de posters grâce auxquels des enseignants présentent le résultat de leur travail en EIST montre un déplacement de leurs orientations où l’intégration apparaît comme un moyen pour motiver les élèves, et pour aborder des questions en lien avec leur environnement. Pour interroger l’intrication des approches didactique et pédagogique Albine Delannoy-Courdent questionne la façon avec laquelle l’appropriation de la pédagogie de projet par les maîtres de collège peut leur permettre d’envisager l’enseignement de contenus scientifiques sous l’angle de l’EIST. Son étude de cas révèle en ce sens qu’une configuration particulière des postures de ces maîtres émerge à la suite de collaborations entre professeurs de CM2 et de 6e.
Les travaux de Pierre Fleury et Jean-Claude Sallaberry proposent des pistes pédagogico-didactiques sous la forme d’une approche de l’EIST par les concepts. Il s’agit d’identifier l’invariant lié à un concept de façon à initier sa construction Ils présentent ainsi, dans une démarche transdisciplinaire, trois parcours possibles, dans le cadre de l’EIST, à partir du lien invariant-concept.
Enfin, la notion de modèle constitue un objet d’attention tout particulier pour les deux derniers articles de ce numéro. Celle-ci, en apparaissant comme possiblement commune aux disciplines scientifiques amène Ludovic Morge et Anne-Marie Doly à s’intéresser à un enseignement capable de favoriser la distinction entre le modèle et ce qu’il représente. Après avoir cerné les conditions favorables à la construction de la notion de modèle et proposé des pistes didactiques, ils replacent leur réflexion dans le cadre de l’EIST. Léna Soler complète ces travaux en repensant l’EIST via une approche épistémologique de la nature et du statut du modèle scientifique. Elle analyse une conception du modèle par comparaison vis-à-vis de la théorie et aussi vis-à-vis des objets techniques et pratiques technologiques, de façon à proposer une stratégie didactique permettant aux élèves de conscientiser les liens entre les sciences et technologies et le monde réel.
L’ensemble de ces recherches s’adresse donc aux chercheurs à l’origine des connaissances scientifiques et aux chercheurs en sciences de l’éducation, aux acteurs de la formation aux métiers de l’enseignement et de l’éducation, aux professeurs eux-mêmes. Ce numéro de Spirale propose finalement à leur esprit critique de soumettre des dimensions nouvelles ou dispositifs innovants de l’enseignement des sciences à l’épreuve de fondements théoriques et d’études réalisées en contexte scolaire. Il conviendra sans doute d’étoffer les réflexions par des recherches complémentaires qui ne manqueront pas d’approfondir les pistes déjà tracées ici.
Il nous reste à remercier Pierre Léna, délégué à l’éducation et à la formation à l’Académie des sciences et à l’origine de la dynamique La main à la pâte initiée en 1996 avec Georges Charpak et Yves Quéré, d’avoir bien voulu porter sur les réflexions proposées dans ce numéro un premier regard à l’image du titre qu’il a donné à l’un de ses derniers ouvrages Enseigner, c’est espérer (2012).
Johann-Günther EGGINGER
Albine DELANNOY-COURDENT
Équipe V2S du LBHE de Lens
Université Lille — Nord de France
IUFM Nord-Pas de Calais
Université d’Artois
jgunther.egginger@univ-artois.fr
albine.courdent@univ-artois.fr
Bibliographie
Coquidé M. (2011) Étude sur l’élargissement de la spécialité enseignante dans l’enseignement intégré de science et de technologie (EIST) au collège. Lyon : IFÉ.
Dans le sillage de La main à la pâte… (2007) De quoi est fait le monde ? Matière et matériaux. Guide 6e. Paris : Académie des sciences, Académie des technologies, Ministère de l’Éducation nationale.
Dans le sillage de La main à la pâte… (2007) Comment fonctionne le monde ? Énergie et énergies. Guide 5e. Paris : Académie des sciences, Académie des technologies, Ministère de l’Éducation nationale.
Dans le sillage de La main à la pâte… (2011) Un enseignement intégré de science & technologie au collège (6e et 5e). Guide de découverte. Paris : Académie des sciences, Académie des technologies, Ministère de l’Éducation nationale.
Inspection générale de l’Éducation nationale (2009) L’enseignement intégré de science et technologie (EIST). Paris : Ministère de l’Éducation nationale.
Jonnaert P. (2011) « Curriculum, entre modèle rationnel et irrationalité des sociétés » − Revue Internationale d’Éducation 56 (135-145).
Léna P. (2011) La science en héritage. Paris : Académie des sciences.
Léna P. (2012) Enseigner, c’est espérer. Paris : Le Pommier.
Martinand J.-L. (2003) « L’éducation technologique à l’école moyenne en France : problèmes de didactique curriculaire » − La Revue Canadienne de l’Enseignement des Sciences, des Mathématiques et des Technologies 3, 1 (100-116).
Ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative (2012) L’enseignement intégré de science et de technologie (EIST) en 2008-2009 : ressenti et pratiques des enseignants. Paris : Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance.
Reuter Y. (2007) « La conscience disciplinaire : présentation d’un concept » − Éducation & Didactique 1, 2 (57-72).
L’enseignement intégré de science et technologie en classes de 6e et 5e – EIST pour les amoureux d’acronymes – est né à la rentrée 2006 d’une initiative conjointe de l’Académie des sciences et du Ministère de l’Éducation nationale. Conçu comme une expérimentation au sein du tout nouveau Article-34 de la Loi d’orientation pour l’avenir de l’École (2005), il s’est lentement développé pour concerner en 2013 le modeste nombre de 129 collèges, sur les 7 000 que compte notre enseignement (public et privé sous contrat). Il fait l’objet de plusieurs évaluations, tant de la pratique des professeurs que des résultats et attitudes de leurs élèves.
Comment ne pas se réjouir que cette modeste entreprise attire ici l’attention de la communauté des chercheurs en éducation, qui disposent de la distance et des outils nécessaires pour l’analyser sans parti pris et dans un contexte international ! La revue de recherches en éducation Spirale, en organisant ce numéro, a su aussi donner la parole à certains des promoteurs du projet : qu’elle en soit également remerciée ! La voix, essentielle, des professeurs qui mettent en œuvre a déjà pu être entendue en 2010-2011 lors d’une enquête de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (MEN/DEPP). Il ne manquera plus désormais que la parole des élèves, qu’ils aillent ensuite vers le lycée général ou le lycée professionnel. Leur goût pour les sciences expérimentales et d’observation, leurs connaissances, le développement de leur intelligence sous toutes ses formes est bien entendu le seul but qui vaille. Puisse-t-on aussi les entendre un jour…
Ces élèves, dont on connaît, à l’issue du collège, le peu d’appétence pour la science, qu’ils veuillent ou non en faire leur métier, méritent un vrai effort de rupture par rapport à l’existant. Leurs professeurs sont les seuls à pouvoir la leur apporter. Que proposer alors à ces derniers et comment faut-il les accompagner ? Une prolongation à l’identique de La main à la pâte, telle qu’elle continue à faire ses preuves en primaire, serait évidemment absurde. L’EIST explore ce que pourrait être un jour (lointain ?) au collège un pôle science et technologie, lisible par les élèves et leurs parents, incluant les mathématiques et lié à un pôle humanités. L’EIST n’est pas une recette miracle, qui en remplacerait d’autres trop usées. Elle mérite regards croisés et critiques, peut-être aussi quelque bienveillance ?
Bien des articles de ce numéro sont très savants, et je ne les comprends qu’à peine. Mais s’ils peuvent contribuer à faire émerger, EIST ou autre, cette rupture appuyée sur une science vivante et dont nous avons tant besoin, nos collègues qui éditent ce numéro n’auront pas perdu leur temps.
Pierre LÉNA
Académie des sciences
Paris, le 26 juin 2013
Spirale – Revue de Recherches en Éducation – 2013 N° 52 (3-8)
Sur les 15 propositions reçues, 9 ont été retenues.
Les expertises en doubles aveugles ont été produites par Catherine Boyer, Denise Orange-Ravachol, Maria Pagoni, Cora Cohen-Azria, Albine Delannoy-Courdent, Dominique-Guy Brassart, Johann-Günther Egginger, Jean-Claude Sallaberry, Abdelkarim Zaid, Cédric Fluckiger, Christian Orange et Joël Lebeaume.