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vendredi 28 janvier 2000

Regards actuels sur l’autodidaxie et les autodidactes Verrier Christian Paris : Petra (2023)

Pour Christian Verrier, s’intéresser à l’autodidaxie, cet « apprentissage autonome et indépendant » (p. 9) s’avère d’autant plus pertinent que « notre espèce repose sur l’autodidaxie, en partie au moins » (p. 40) et qu’« il faut le dire et le redire, l’être humain apprend comme il respire, de lui-même, son cerveau et son corps sont faits pour ça, c’est une des raisons du développement de l’espèce jusqu’aujourd’hui » (p. 74). Ce livre est construit autour de trois parties dans lesquelles l’auteur développe une réflexion sur l’autodidaxie qui alimente son regard, quelques fois sombre, sur l’hétéro-apprentissage formel relevant de l’institution scolaire et des modalités de transmission des connaissances mettant en œuvre la forme scolaire.
L’auteur a choisi une écriture dans laquelle il s’implique, utilisant le « je » de sorte que le lecteur suit Christian Verrier dans ses « réflexions personnelles » (p. 21) où il questionne, à partir de ses propres travaux, des sources récentes. La première partie, la plus longue avec une centaine de pages, est consacrée à « une déambulation » à partir d’« un symposium de 2019 consacré à deux peintres donnés comme autodidactes » (p. 17) ; la deuxième partie, la plus courte avec une vingtaine de pages, est consacrée à l’autodidaxie en Chine et la troisième d’environ 80 pages s’emploie à appréhender l’autodidaxie et la place des autodidactes dans la France contemporaine.
La première partie est organisée autour de « 37 haltes » (p. 24) qui permettent à l’auteur de mettre en œuvre le « plaisir du rebond sur une image, de la résonance avec la proposition du conférencier, sans plan ni montage préalables » (p. 23). Christian Verrier adopte une progression aléatoire, dans un cheminement ponctué de très nombreuses remarques ou incises exprimées dans des parenthèses. La deuxième partie sur la Chine est construite à partir d’échanges avec des enseignants-chercheurs chinois en sciences de l’éducation et la réflexion menée dans la dernière partie s’appuie sur l’étude de travaux d’étudiants complétée par « des propos sélectionnés sur Internet » dans « 18 sites non dédiés à la recherche spécialisée » mais convoquant les termes « autodidaxie » et « autodidacte » parmi les résultats issus des « dix premières pages présentées par Google » (p. 162).
Les sentiers empruntés par Christian Verrier lui offrent la possibilité de formuler des questionnements sur la pratique et la reconnaissance de l’autodidaxie. Tout au long de l’ouvrage, dans chacune des parties, il ressort que l’intérêt de ce livre est de montrer tout à la fois la permanence d’une pratique, l’autodidaxie, désignée par un mot apparu « il y a à peu près 550 ans » (p. 90) mais également de saisir ses évolutions et ses renouvellements dans des sociétés marquées par le développement de l’école et la référence aux formations formelles. Au fil du texte, Christian Verrier souligne une certaine ambiguïté autour de l’autodidacte qui peut susciter un attrait tout en courant le risque d’être marginalisé. D’ailleurs, la médiatisation des figures autodidactes donne à voir une importante inégalité sexuée qui perdure, les femmes autodidactes étant moins visibles que les hommes : « cette visibilité réduite des femmes me surprenait déjà à l’époque, pourtant j’étais persuadé que bien entendu des femmes avaient pratiqué de l’autodidaxie depuis toujours, ce qu’on peut déduire très vite avec un minimum de réflexion. Cependant leurs traces laissées étaient minces, comme si celles des hommes étaient plus marquées, plus durables, plus remarquables, en tout cas plus remarquées » (p. 69). Le maintien de cette inégalité est intéressant et il aurait été pertinent d’avoir des éléments permettant de comprendre les logiques à l’origine de ce traitement différencié toujours persistant. Comment expliquer que les femmes soient moins souvent présentées comme autodidactes ou revendiquent moins cette identité ? Il est probable, même si l’auteur n’en parle pas, que la naturalisation de certaines qualités ou savoirs est bien plus souvent associée aux apprentissages dits féminins (Charles & Bradley, 2009), de sorte que les connaissances des hommes relèveraient davantage d’une démarche volontaire. Or, le volontariat constitue, comme le souligne à plusieurs reprises Christian Verrier, un élément essentiel de l’autodidaxie.
Le vocabulaire utilisé peut parfois complexifier la démonstration à l’instar de l’utilisation du « taux d’employabilité » (p. 100) pour désigner « le taux d’emploi », ou lorsqu’est évoquée l’idée, erronée, qu’il faudrait passer et détenir un diplôme de naturopathe pour exercer la naturopathie (p. 185). Cette dernière approximation, qui pourrait passer pour un détail, est en fait problématique parce que l’ouvrage se fait ainsi l’écho d’un propos ne correspondant pas au cadre en vigueur, tout en contribuant à alimenter la critique du poids du diplôme comme norme du marché du travail. Si effectivement, l’auteur souligne, à juste titre, l’importance des diplômes dans la France contemporaine, la naturopathie est un contre-exemple puisque comme le précise la fiche Rome réalisée par Pôle Emploi relative à divers métiers du bien-être de la personne parmi lesquels sont mentionnées cette pratique mais aussi la sophrologie ou la réflexologie notamment (numéro K1103), ces métiers sont accessibles sans diplôme particulier. C’est d’ailleurs cette absence de diplôme qui peut permettre certaines dérives faisant du diplôme un cadre qui n’est pas toujours qu’une contrainte. Loin d’opposer hétéro-enseignement et autodidaxie, la circulation entre ces deux modalités d’accès à la connaissance aurait mérité d’être davantage interrogée.
Pour étayer son développement sur le rôle déterminant d’Internet dans les autoapprentissages, au détriment parfois du livre qui n’a toutefois pas dit son dernier mot, Christian Verrier s’intéresse, notamment dans la dernière partie, aux différents supports d’accès aux connaissances mobilisés selon les générations. Pour cela, l’auteur convoque « les générations X et Y » (p. 203) bien que ces catégorisations aient été largement critiquées par des chercheurs. Pour Serge Guérin et Pierre-Henri Tavoillot (2007), ces catégorisations relèvent par exemple avant tout de formulations médiatiques ou publicitaires. Sans nier l’existence de pratiques spécifiques, le recours à une dénomination générique pour désigner un ensemble hétérogène ne permet pas, en conséquence, de saisir la complexité des modalités d’accès à la connaissance et les éventuels freins qui peuvent se poser.
De façon générale, notamment dans la troisième partie, il aurait aussi été intéressant pour le lecteur d’avoir une analyse plus fine de l’image que renvoient les sites Internet sélectionnés de l’autodidaxie dans le contexte social, politique, culturel, économique actuel. L’école, au sens large, fait l’objet de vives critiques que ces sites Internet relaient sans distance valorisant une posture très individualiste au sujet de laquelle Christian Verrier émet quelques réserves dans un trop court passage en fin d’ouvrage (p. 241).
Si ce livre s’avère être celui d’un défenseur voire d’un promoteur de l’autodidaxie, le lecteur qui chercherait à asseoir sa connaissance de l’autodidaxie peut s’interro¬ger sur certains choix. De même quelques positions pourraient être discutées notamment lorsqu’elles semblent nourrir une vision adéquationniste des relations formation/emploi : « Le vrai apprentissage (auto-apprentissage alors) commence après le diplôme obtenu, sur le terrain, en situation. Les réalités de la pratique, les incontournables savoir-faire du métier, démontrent souvent la valeur relative de la formation professionnelle et du diplôme du point de vue de la maîtrise des gestes utiles sur le terrain, qui de plus nécessitent des mises à jour constantes, et c’est bien souvent une autodidaxie permanente qui y pourvoira à défaut d’une formation professionnelle continue de qualité. Le “monde” proposé par les contenus du diplôme n’est pas toujours en adéquation avec le monde réel professionnel et pratique de chaque jour » (p. 185). Certes « le diplôme ne fait pas tout » (p. 184), mais il n’a jamais prétendu tout faire d’autant que depuis le milieu des années 1980 et la recherche dirigée par Lucie Tanguy (dir., 1986), le caractère « introuvable » des relations formation/emploi est connu. Le diplôme offre un cadre et notamment à ceux et celles qui les possèdent. C’est d’ailleurs peut-être aussi pour cela que le diplôme est souvent remis en cause.
Au-delà de l’opposition entre deux modalités d’acquisition des connaissances, comment dépasser ce qui apparaît être parfois un puissant clivage de légitimité entre héréro-apprentissage et autodidaxie ? C’est là un projet de recherche qu’il faudrait poursuivre d’autant que le monde du travail donne à voir, par exemple avec les actions de formation en situation de travail (AFEST), des formes d’apprentissage qui se formalisent alors qu’elles étaient plutôt assimilées à des formations « sur le tas » précédemment. À l’instar de l’AFEST qui s’institutionnalise et dont les discours accompagnant ce mouvement ont été étudiés par Emmanuel de Lescure (2021), assiste-t-on à une circulation de l’autodidaxie vers l’hétéro-apprentissage ou inversement ?

Nicolas DIVERT
Laboratoire ECP
Université Lumière Lyon 2

Références

Charles M. & Bradley K. (2009) « Indulging our gender selves ? Sex segregation by field of study in 44 countries » – American Journal of Sociology 114, 4 (924-976).
de Lescure E. (2021) « Les actions de “formation en situation de travail”. Notes critiques sur une formule qui s’est imposée dans le champ de la formation » – Éducation et Socialisation 62.
https://doi.org/10.4000/edso.16929
Guérin S. & Tavoillot P.-H. (2007) La guerre des générations aura-t-elle lieu ? Paris : Calmann-Levy.
Tanguy L. (dir.) (1986) L’introuvable relation formation-emploi : un état des recherches en France. Paris : La Documentation française.

Spirale – Revue de Recherches en Éducation – 2024 N° 73 (259-261)