Cet ouvrage collectif comporte quatorze chapitres, divisés en quatre parties (trois consacrées à des études de terrain sur trois champs de formation professionnelle différents, une à une synthèse des caractéristiques de la fonction tutorale et à des pistes de formation des tuteurs), ainsi qu’une postface d’Alain Baudrit.
Dans l’introduction, Éric Maleyrot donne une définition synthétique des métiers adressés à autrui et émet l’hypothèse d’une tension entre les missions propres à ces métiers et les activités de tutorat, qui viennent en supplément et prennent une importance particulière dans des contextes de formation où l’al¬ternance intégrative est promue voire imposée par des réformes récentes. Si le tutorat a amplement été étudié, il l’a peu été en articulation avec l’activité professionnelle. Il est abordé dans cet ouvrage selon trois plans : individuel (don de soi/posture professionnelle), tutoral (transmission, accompagnement), global (évaluation et professionnalisation). Dans sa problématisation, l’auteur introduit dans le plan individuel la notion de posture professionnelle. Concernant le plan professionnel (tutoral) il note que les pratiques d’accompagnement s’accommodent de plus d’indétermination que celles de transmission. Pour le troisième plan, il montre la difficulté accrue de l’évaluation dans un contexte de formation en évolution, et pose la question de l’articulation entre fonction de tuteur et identité professionnelle, voire de la constitution d’une identité collective de tuteurs, au-delà des particularités de chaque profession. Ce sont des éléments qui, au travers des différents chapitres, constituent des repères pour analyser les différents contextes abordés.
La première partie, consacrée au tutorat dans la formation au travail social, débute par une brève contextualisation rappelant le primat de l’alternance dans ce champ. Le premier chapitre (Thouvenot et Muepu), basé sur une recherche collaborative avec des tuteurs de stage en travail social, montre une activité tutorale vue comme un prolongement de l’ac¬tivité, voire une piste de développement, mais avec un rejet fort de l’assimilation aux « formateurs », qui témoigne d’une ambivalence du rapport au savoir. Dans le chapitre 2, Charly Fremaux, éducateur spécialisé, à travers une autobiographie raisonnée narrant l’accompagnement de cinq stagiaires, montre en quoi ces missions s’articulent aux enjeux d’expérience professionnelle et de motivation du tuteur. Le chapitre 3, rédigé par Stéphanie Phoyu, rappelle le cadre de la fonction tutorale et examine, sur la base d’entretiens, les différentes formes et les leviers de reconnaissance de cette fonction. Le chapitre 4 (Maleyrot et Guillot) apporte des éléments de conclusion à cette partie en dégageant quatre lignes de force qui sont aussi des limites au bon développement de la fonction tutorale : un processus grippé entre les formateurs exerçant dans les centres de formation et les tuteurs de terrain, un processus tutoral qui peine à trouver sa cohérence entre les pratiques des différentes structures, un processus individuel articulant une logique de bénévolat basée sur le don-contre don et une logique d’évolution professionnelle, enfin un processus ambigu en ce qui concerne l’accompagnement et la transmission des savoirs, avec une difficulté pour les tuteurs à lier savoirs théoriques et expérientiels. Ces différents points posent la question de la formation des tuteurs, qui à ce jour n’est pas obligatoire.
La deuxième partie porte sur la profession des masseurs-kinésithérapeutes et propose en introduction un point sur la formation initiale dans ce domaine. Guillot, dans le chapitre 5, s’appuie sur les résultats d’une enquête qualitative et quantitative auprès de tuteurs de stages en formation initiale en masso-kinésithérapie pour analyser les représentations de la fonction tutorale. Le chapitre se clôt sur des éléments prospectifs quant au tutorat en formation de masseur-kinésithérapeute. Le chapitre 6 (Bertelot) se penche plus particulièrement sur les relations tutorales en milieu hospitalier. La question de l’apport et de la reconnaissance liés à cet engagement professionnel est posée, notamment dans ses conséquences en termes de maintien de la motivation à exercer les fonctions de tuteur. Florence Nugue Curien, dans le chapitre 7, aborde l’évolution du rôle des tuteurs de stages notamment suite à la réforme de la formation des masseurs-kinésithérapeutes en 2015, qui donne un rôle central à l’évaluation des compétences. Les tuteurs souhaiteraient un meilleur accompagnement face à ces évolutions qui semblent parfois les éloigner de leur métier. Le chapitre 8 (Servin) aborde le point de vue des étudiants en se penchant sur la professionnalité, la professionnalisation et les tensions entre congruence cognitive et sociale et entre accompagnement et guidage. C’est avant tout une relation humaine qui est attendue. En conclusion de cette partie, le chapitre 9 (Nugue Curien et Maleyrot) propose une synthèse reprenant les aspects de la posture professionnelle conduisant à un engagement dans le tutorat, des difficultés de la transmission et de l’évaluation, et interroge les modalités de professionnalisation de ces tuteurs.
La troisième partie se focalise sur le tutorat dans le champ de l’enseignement. Le chapitre 10 (Maleyrot) est consacré aux effets de la masterisation de la formation des enseignants en 2010 sur l’engagement des conseillers pédagogiques tuteurs. Il est à noter que la majorité des conseillers pédagogiques tuteurs rencontrés se sont vus imposer cette mission. Le chapitre détaille les paris subjectifs et les épreuves dans lesquels sont engagés ces professionnels avant et après la réforme. Dans le chapitre 11, Alain Baudrit se livre à une exploration théorique de la fonction tutorale, et plus particulièrement de la formation à celle-ci. Dans le chapitre 12, Éric Maleyrot esquisse une différenciation de la fonction de tuteur selon les secteurs professionnels, posant notamment la question des tensions générées par l’évaluation, et soulignant le risque de déprofessionnalisation des tuteurs à travers les réformes appliquées à différentes formations.
La quatrième partie, plus globale, vise, à travers une prise en compte de la complexité de la fonction tutorale, à dégager des pistes de formation. Le chapitre 13 (Maleyrot) analyse la complexité de la fonction de tuteur, fonction souvent secondaire par rapport à l’activité de la structure et qui s’accomplit dans une forme de bricolage organisationnel. L’auteur propose, sur la base du triangle pédagogique de Houssaye, un « triangle tutoral » entre le professionnel-tuteur, le stagiaire et le patient/usager/élève/client. La tension entre activité productive et constructive est soulignée, quant aux difficultés de coopération, elles conduisent Éric Maleyrot à élaborer le schéma d’une « triade de l’alternance intégrative » articulant cette fois, entre institut de formation et structure d’exercice, la circulation triangulaire de multiples dynamiques entre formateur de centre, professionnel-tuteur et étudiant-stagiaire. Le chapitre 14 (Guillot et Maleyrot) formule des « propositions pour une formation au tutorat construite avec et pour les tuteurs de stage ». Une meilleure formation des tuteurs présente l’avantage de clarifier également la formation des tutorés, et de professionnaliser les tuteurs. Les auteurs plaident pour la reconnaissance du rôle des tutorés dans la formation des tuteurs et pour un soutien au long cours de ces derniers. La postface d’Alain Baudrit revient sur la place des TIC dans la fonction tutorale.
Les chapitres consacrés aux approches empiriques sont donc complétés par des chapitres développant des analyses plus transversales approfondissant la compréhension de ce qui structure aujourd’hui la fonction tutorale. L’ensemble permet de mesurer à quel point le rôle de tuteur, devenu central avec le développement de l’alternance intégrative dans de multiples champs de formation, a finalement peu été pensé dans les réformes et peine à trouver sa juste place en institution.
Julie DEVILLE
Proféor-CIREL
Université de Lille