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mercredi 9 janvier 2002

Abdelkarim ZAID
Penser le curriculum scolaire
Le regard croisé de la sociologie, des didactiques et de l’histoire

Isabelle Harlé
Grenoble : PU de Grenoble (2021)

L’importance de cet ouvrage réside dans son projet scientifique. Il s’agit de structurer un champ de recherche en sociologie du curriculum dont l’originalité est d’ouvrir « la boîte noire » des savoirs et en analyser la structuration interne tout en analysant les positionnements des acteurs dans le processus de sélection des contenus d’enseignement. Dès lors, l’auteure a dû composer avec trois types de difficultés : l’étude du curriculum et ses effets en termes de construction et de transmission est un terrain déjà occupé par les didacticiens ; la sociologie du curriculum est un courant marginal au sein des sciences de l’éducation et même en sociologie en France ; et lorsque celle-ci analyse les inégalités d’apprentissage, l’entrée par les processus de sélection et de transmission des contenus n’est pas privilégiée. Organisé en une préface, une introduction, quatre chapitres et un épilogue, l’ouvrage s’emploie à fonder une approche croisée du curriculum selon des points de vue sociologiques et didactiques par la médiation de la perspective historique. Tout en restant attachée à une identité sociologique, articulant une diversité des références problématiques et conceptuelles tant en didactiques qu’en histoire, l’auteure engage une réflexion d’ouverture et la possibilité d’en faire émerger de nouveaux questionnements.
L’approche sociologique des contenus d’enseignement est spécifiée dans le premier chapitre tout en la différenciant des approches didactiques. L’accent est mis, en particulier, sur le rapport entre sociologie du curriculum et didactiques. En vue de développer les traits de caractère de l’approche sociologique des contenus d’enseignement à travers des exemples d’études sociologiques, l’auteure rappelle d’abord l’objet de la sociologie du curriculum et en discute la légitimité plus particulièrement en formation des enseignants. L’auteure passe ainsi en revue et discute ses propres recherches analysant les catégories d’acteurs qui sélectionnent les savoirs et les pratiques en enseignement artistique et technologique (avec une attention aux curriculums prescrits et réels) et interrogeant la légitimité de la sociologie du curriculum pour analyser les contenus d’enseignement en situation de formation. L’auteure conduit cette discussion critique sans quitter la ligne de frontière entre questionnements didactiques et sociologiques et conclue que la sociologie du curriculum en sciences de l’éducation se situe, notamment par rapport aux didactiques, dans une position entre concurrence et invisibilisation. Plusieurs objets de recherche sont ensuite mobilisés comme des analyseurs des différences des approches didactiques et sociologie du curriculum : la sélection des contenus en tant que question politique, la manière dont les disciplines sont enseignées selon les publics, le rôle des enseignants dans la transmission des contenus et la recomposition disciplinaires par la fusion d’enseignements ou la création de nouveaux.
Le deuxième chapitre rend compte des travaux en didactiques en analysant leurs spécificités et les conditions de possibilité de leur dialogue avec ceux en sociologie du curriculum. L’auteur considère les didactiques dans leur pluralité et en focalise en particulier la didactique disciplinaire et la didactique du curriculum. Elle revient sur les caractéristiques/oppositions des deux perspectives soutenues dans le premier chapitre. Cette caractérisation/opposition est précisée en soulignant la pluralité des didactiques qui ne peuvent se réduire à l’étude des phénomènes de transposition des savoirs savants en savoirs enseignés ; que cette pluralité s’observe au sein d’une même didactique en termes de références théoriques et méthodologiques convoquées ; que les didactiques n’adoptent pas une conception désincarnée de la dimension sociale car, de leur point de vue, un contenu d’enseignement est toujours la réalisation d’un projet social (Chevallard, 1991 [1]) et parce qu’il recouvre, au-delà des savoirs, des pratiques sociales dont les finalités et les stratégies éducatives s’élaborent avec/entre différents acteurs sociaux (Martinand, 2012 [2]). C’est ce qui amène l’auteure à énoncer une condition essentielle au dialogue entre didactiques et sociologie du curriculum, celle de la relativisation des savoirs par la médiation de l’histoire. L’histoire est entendue par l’auteure comme démarche d’analyse pouvant mobiliser des catégories didactiques (finalités et structures internes des disciplines) ou sociologique (rapports de pouvoir entre catégories d’acteurs). Prenant l’exemple de l’inscription du dessin dans les programmes d’enseignement étudiée par l’auteure, la médiation par l’histoire est ainsi une démarche qui consiste à repérer des conditions spécifiques, des acteurs confrontés à une configuration problématique et un moment indiquant le seuil de bascule entre stabilité et redéfinition de cet enseignement. Cette démarche peut conduire didacticiens et/ou sociologues à construire des concepts pouvant passer les frontières entre les deux perspectives.
Dans le troisième chapitre, le concept didactique de « configuration » désignant les multiples modalités d’actualisation des disciplines (Reuter & Lahanier-Reuter, 2007 [3]) est mobilisé comme concept-frontière entre didactiques et sociologie du curriculum en vue d’interroger des évolutions observées aux niveaux des contenus, des prescriptions, des pratiques et des représentations. En distinguant différentes catégories d’actualisation des disciplines, ce concept remplie la condition de relativisation des contenus, selon l’auteure, qui en explore l’intégration en deux temps : 1 le concept didactique de « configuration » est saisie pour identifier le décalage des espaces et 2, pour interpréter ces décalages, des concepts issus de la sociologie du curriculum, comme « forme scolaire », sont convoqués. En s’appuyant sur l’étude de deux cas, les Sciences Économiques et Sociales au lycée et la technologie au collège, l’auteure illustre donc la possibilité de dépasser la division du travail intellectuel qui caractérise jusqu’alors les tentatives de travail conjoint entre didacticiens et sociologues.
Le quatrième chapitre vise à mettre à l’épreuve le croisement des points de vue sociologique et didactique pour penser des contenus ne se référant pas à des disciplines académiques. Plus spécifiquement, l’auteure aborde les différentes logiques de production et d’organisation des contenus d’enseignement et distingue la logique disciplinaire de la logique curriculaire. Celle-ci interroge les formes non disciplinaires des enseignements tels que les éducations à et les dispositifs pédagogiques aujourd’hui omniprésents (Barrère, 2013Barrère A. (2013) « La montée des dispositifs : un nouvel âge de l’organisation scolaire » – Carrefours de l’Éducation 2, 36 (95-116).). Les contenus hors disciplines sont identifiés par l’auteure comme un autre objet de recherche tant pour les didactiques que pour la sociologie du curriculum impliquant de multiples niveaux de questionnement : liens entre contenus disciplinaires et non disciplinaires, rôle des enseignants, pilotage au sein des établissements, etc. L’épilogue permet à l’auteur de proposer des pistes de travail, plus particulièrement sur les dispositifs et les bouleversements de la forme scolaire qu’ils impliquent.
Cet ouvrage constitue donc une contribution originale sur les conditions de croisement des approches didactiques, sociologique et historique en vue de penser une école en mutation. Il propose une réflexion richement documentée sur la manière de penser la « complémentarité » de ces perspectives sans en réifier les différences ou les traits de caractère. Il met en évidence les bougés thématiques, conceptuels et méthodologiques que le sociologue du curriculum et le didacticien, au sein d’un collectif de recherche en sciences de l’éducation, doivent opérer conjointement pour traiter l’objet « contenu d’enseignement ».

Abdelkarim ZAID
CIREL
INSPE de Lille, Université de Lille

Spirale – Revue de Recherches en Éducation – 2022 N° 69 (231-233)


[1Chevallard Y. (1991) La transposition didactique. Du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble : La Pensée sauvage.

[2Martinand J.-L. (2012) «  Éducation au développement durable et didactiques du curriculum  » – Conférence au XIXe Colloque AFIRSE, Lisbonne.
http://edd.educagri.fr/spip.php?art...

[3Reuter Y. & Lahanier-Reuter D. (2007) «  L’analyse de la discipline : quelques problèmes pour la recherche en didactique  » – in : É. Falardeau, C. Fisher, C. Simard et N. Sorin (dirs.) La Didactique du français. Les voies actuelles de la recherche (27-42). Laval : PU Laval.