L’ouvrage de Dylan Racana résulte d’une version remaniée d’un mémoire de Master 2 en Sciences de l’éducation à Lyon 2. Il traite du rôle joué par l’école dans la construction des inégalités entre filles et garçons à l’école maternelle. À partir du champ de la sociologie de l’éducation, la question de fond est de comprendre les corrélations possibles entre discours et représentations des professeur.e.s des écoles et leurs interactions avec les élèves de leur classe selon le sexe de ces derniers.
Peu de travaux ont été réalisés sur l’école maternelle et, en particulier, sur le rôle de l’école dans la construction des inégalités entre filles et garçons dès le début de leur scolarisation. C’est donc la première originalité de cet ouvrage. Sa deuxième originalité est d’étudier les liens entre les interactions en classe et les représentations des professeur.e.s des écoles face à la question des inégalités entre filles et garçons à l’école maternelle. C’est de ce double point de vue : interactions élèves-enseignant.e.s et représentations des professeur.e.s des écoles que la question des inégalités entre filles et garçons à l’école maternelle a été abordée.
L’ouvrage est organisé en quatre chapitres.
Le premier consiste en une revue de littérature qui traite des travaux sur l’enfance et les multiples influences différenciatrices comme les différences de socialisation et de représentations en dehors de l’école.
Les sources utilisées sont centrées sur des travaux qui font ressortir les qualificatifs assignés aux filles et aux garçons relatifs à leurs « caractères », « comportements » et rôles attendus et souhaités dans la famille. Les travaux de Béréni et al. (2020) ont bien montré cette corrélation entre les rôles différenciés attribués aux filles et aux garçons au sein des familles et la perception, par les enfants, des tâches qui leur sont assignées en fonction de leur sexe.
De même les « objets et les productions médiatico-culturelles » comme les jouets, les livres et les albums dans l’environnement familial et scolaire sont à l’œuvre dans la reproduction des stéréotypes. Le primat du masculin sur le féminin dès la petite enfance, montré par de nombreux travaux relatifs au système de genre, entretient le système inégalitaire au détriment des filles. Si les travaux de Duru-Bellat (1994) et ceux de Mosconi (2004) sont fondamentaux pour cerner les différences de socialisation et de représentations au sein de la classe, des différences ont aussi été observées dans la cour de récréation (Zaidman, 1996 ; Marjevujols, 2014). Ces travaux seraient une assise forte pour appréhender les conséquences inégalitaires de l’utilisation de l’espace et des jeux dans la cour de récréation.
Les spécificités de l’école maternelle et des jeunes enfants sont ensuite développées. Mais les stades de Kohlberg (« l’identité de genre », « stabilité de genre », « cons-tance de genre ») mentionnés par l’auteur (p. 28) seraient intéressants à discuter et à confronter à d’autres travaux sur le genre. D’ailleurs, si l’auteur donne une explicitation claire de ses choix sur sa non-utilisation du concept de genre, les travaux très nombreux sur la question ouvriraient la discussion à d’autres dimensions. Par exemple ces stades sont-ils une donnée stable, invariable ? Quels sont les concepts clés qui pourraient permettre l’ouverture à un élargissement des axes d’interprétation pour cerner mieux encore ce qui alimente le système de genre ? La notion de genre est-elle réductible aux groupes de sexe filles/garçons ? Cette discussion est inévitable pour creuser un peu plus les représentations des professeur.e.s des écoles. En effet, comme l’envisage l’auteur, des connaissances sur l’histoire de ces professeur.e.s (personnelle, scolaire, relation aux pairs, etc.) et sur leurs expériences en termes de genre, de rapports aux savoirs, de conception de l’égalité, etc. seraient susceptibles d’apporter un éclairage sur la manière dont sont abordés certains moments de vie de classe.
La structuration des coins jeux et les consignes données à cette occasion mises en relation avec les représentations des enseignant.e.s serait un des moyens pour com-prendre ce qui motive leurs choix, conscients ou non, de favoriser un environnement scolaire égalitaire ou inégalitaire. Les propositions de l’auteur à la fin de l’ouvrage ont bien cette intention. Pour approfondir les représentations, qui ne sont pas toujours ex-primées, une orientation clinique serait intéressante à poursuivre.
Enfin le troisième axe de ce premier chapitre qui analyse les conventions sur l’égalité est tout à fait remarquable. Les textes de référence de 1984, 1989, 2000, 2007, 2013-2018, 2019-2024 montrent en effet, au fur et à mesure des textes, un élargissement des ministères signataires mais aussi l’évolution de la terminologie. Celle-ci s’accorde avec les demandes sociales de plus d’égalité entre femmes et hommes.
La formation des enseignant.e.s (dans tous les ministères signataires de la dernière convention) à la lutte contre les inégalités de sexe est un point clé des conventions les plus récentes. Mais, comme l’indique l’auteur, la maternelle est peu abordée comme si l’égalité à l’école maternelle allait de soi ou qu’il allait de soi que les stéréotypes sexués ne se développaient qu’à partir de l’école élémentaire. D’ailleurs, l’omission de la référence à la maternelle dans les textes récents est minimisée par la responsable du bureau concernant l’égalité et la lutte contre les discriminations comme le montre l’extrait de l’entretien suivant :
« C’est quelqu’un (un des rédacteurs du texte de la convention 2019-2024) qui n’est pas spécialiste du premier degré qui l’a écrit […] c’est pas délibéré qu’on ait écrit élémentaire et pas primaire c’est pas délibéré ». Pour cette responsable « ce n’est pas un sujet, il est évident que y a pas de sujet pour nous l’égalité filles garçons ça se travaille dès la maternelle dès qu’on entre à l’école et c’est inscrit dans le programme d’enseignement on travaille pas de la même manière » (en maternelle) (Racana, 2022 : 101).
C’est donc tout l’intérêt du travail de Dylan Racana de continuer à confronter les conceptions des programmes aux représentations de professeur.e.s des écoles en matière d’égalité. Ce qui contribuerait à explorer les répercussions de l’adéquation ou du décalage entre leurs conceptions de l’égalité et celle des textes officiels sur le système égalitaire ou inégalitaire de leurs pratiques. La compréhension fine du type et de la nature des interactions avec leurs élèves permettrait certainement d’approcher un peu mieux l’adhésion ou non des élèves aux normes de genre parfois subrepticement instituées.
Ainsi, pour comprendre la façon dont les professeur.e.s se situent par rapport à la question de l’égalité, le deuxième chapitre est consacré à la méthodologie : neuf observations suivies d’entretiens ont été menées, dans cinq écoles différentes, auprès de huit femmes et un homme. Ces entretiens ont été effectués après les observations des classes pour être au plus près de la réalité des pratiques. Le choix d’établir des groupes par profil, selon des indicateurs ciblés à la fois au sein de l’observation des classes et des entretiens, est judicieux. Cependant la grille d’observation des pratiques gagnerait à être davantage outillée par l’appui sur des travaux qui définissent ce que sont des « événements remarquables » et des « incidents critiques » (p. 47). Dans cette étude, comment les moments sont-ils choisis (durée, contexte, interactions…) ? Les moments d’observations sont-ils de même nature pour tou.te.s les professeur.e.s ? Quels sont les champs théoriques ou disciplines d’appui pour engager l’auteur dans une réflexion plus large ?
Quatre profils sont identifiés au troisième chapitre, en lien avec la classification de Pachoud (2018).
Les trois professeures du premier groupe ont un intérêt personnel pour la thématique de l’égalité, sont très investi.e.s en dehors de l’école pour enrichir leurs connaissances, ont des discours et des représentations peu différenciateurs et ce sont celles qui ont le moins d’interactions différenciées avec les élèves de leur classe. Il existe donc une corrélation entre « un intérêt personnel pour la thématique de l’égalité entre les sexes et des interactions moins différenciatrices en classe que celles des autres professeur es des écoles » (Racana, 2022 : 105).
Les deux professeures des écoles du deuxième groupe ne voient pas l’intérêt d’une formation sur le sujet, qu’elles aient ou non reçu une formation. Ces « résistantes » sont celles qui ont le plus d’interactions différentes avec les filles et les garçons. Corrélation ici encore « entre une forme de résistance aux formations sur cette thématique et des interactions plus différenciatrices en classe » (ibid.).
Les deux professeur.e.s du troisième groupe ont des interactions avec les élèves très organisées et très peu spontanées et moins d’interactions différenciées selon le sexe de leurs élèves. Ces professeur.e.s ont exprimé le besoin de recevoir une formation sur l’égalité pour éviter les « comportements différenciateurs ». Nous notons ici une « corrélation entre une vision de l’école maternelle invoquant la socialisation et les apprentissages comme centraux et un mode d’interactions envers les élèves très organisé » (ibid.).
Les deux professeures du quatrième groupe sont celles dont les discours, les représentations (lors des entretiens et lors des observations en classe) et la manière dont elles interagissent avec les enfants selon leur sexe, sont assez différenciateurs et stéréotypés. Une formation leur paraîtrait pertinente. Ici « une corrélation existe entre la non-formation de professionnel les souhaitant cependant être formés sur la thématique de l’égalité entre les sexes et des discours en classes plus stéréotypés » (Racana, 2022 : 106).
La discussion engagée au dernier chapitre sur la formation à l’égalité soulève cette question : quels types de formation pour sensibiliser vraiment les professeur.e.s des écoles à des pratiques égalitaires ? Le lien entre représentations, attentes et pratiques des professeur.e.s a été démontré, en particulier, par Mosconi (2001). Entrer dans les processus qui sous-tendent les pratiques de classe et génèrent des socialisations différentes demande des analyses très fines qui multiplient les angles d’approche, dont la connaissance de l’histoire des enquêté.e.s, envisagée par l’auteur.
Pour résumer l’étude de Dylan Racana il semble que la mise en œuvre d’interactions égalitaires au sein des classes par les professeur.e.s des écoles relève plus de l’ordre de l’intérêt personnel vis-à-vis de la thématique qu’une formation à cet effet. Si l’intérêt pour une thématique peut faciliter une réflexion vers des mises en œuvre égalitaires, gageons tout de même que dans un avenir proche de la formation, il soit possible d’entrevoir une réelle prise de conscience par les enseignant.e.s de l’impact de leurs pratiques sur les inégalités entre filles et garçons au sein de leurs classes.
Pour autant, les travaux de Collet (2021) ont montré un écart — entre une vo-lonté institutionnelle de fournir des cadres pour rendre obligatoires, au sein de la formation initiale et continue des enseignant.e.s, des modules de formation relatifs à l’égalité — et les applications dans les Instituts de formation. Les écarts constatés entre les textes officiels abondants et les applications en matière de formation ne sont pas sans lien avec les pratiques de classe qui semblent peu questionner le principe de l’égalité.
Au terme du parcours de cet ouvrage, il apparaît que l’auteur donne des indications sur des réponses aux questions soulevées permettant par là une continuité de la réflexion des travaux engagés sur le sujet. Cependant, la réflexion gagnerait à être étendue, lors de la revue de littérature prochaine, aux concepts organisateurs du principe même de l’égalité. Les travaux fondateurs de la réflexion sur les inégalités (entre filles et garçons à l’école) ont ouvert la voie à de multiples axes de recherche et de questionnements sur cette thématique. S’en saisir serait un moyen pour étoffer l’objet et inviterait à des débats intéressants. Enfin la forme de présentation, dont les nombreuses répétitions, n’est pas très aidante. Elle gagnerait à être plus synthétique par endroits. Néanmoins, en abordant le sujet de l’égalité à l’école maternelle, cet ouvrage est novateur et prometteur pour la compréhension des inégalités de genre dès l’école maternelle.
Sabine THOREL-HALLEZ
Univ Lille
ULR 4354 – CIREL-Récifes
F-59000 Lille, France
INSPE HDF<:p>
Bereni L., Chauvin S., Jaunait A. & Revillard A. (2020) Introduction aux études sur le genre. Bruxelles : De Boeck.
Duru-Bellat M. (1994) « Filles et garçons à l’école, approches psychologiques et psycho-sociales. 1. Des scolarités sexuées, reflet de différences d’aptitudes ou des différences d’attitudes ? » – RFP 109 (111-142).
Collet I. (2021) « Après 40 ans de politiques « égalité » en éducation, avons-nous enfin abouti à la convention ultime ? » – Mouvements 107, 3 (84‐94).
Maruéjouls-Benoit E. (2014) Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes : pertinence d’un paradigme féministe. Thèse de doctorat en Géographie. Université Michel de Montaigne-Bordeaux III.
Mosconi N. (2001) « Comment les pratiques enseignantes fabriquent de l’inégalité entre les sexes » – Les Dossiers des Sciences de l’Éducation 1 (165-174).
Mosconi N. (2004) « Effets et limites de la mixité scolaire » – Travail, Genre et Sociétés 1, 1 (165-174).
Pachoud M. (2018) « L’institution scolaire aux prises avec la démocratie sexuelle : les effets différentiels de la “théorie-du-genre” sur les pratiques enseignantes » – Cahiers du Genre 2, 2 (81-99).
Zaidman C. (1996) La mixité à l’école primaire. Paris : L’Harmattan.