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jeudi 14 septembre 2023

Expositions et œuvres en question. Une recherche intervention-création dans un centre culturel toulousain Broussal D., Bedin V. & Marcel J.-F. (coord.) Paris : L’Harmattan (2021)

Cet ouvrage collectif, coordonné par Dominique Broussal, Véronique Bedin et Jean-François Marcel, professeur.es en sciences de l’éducation et de la formation, présente une démarche de recherche participative à propos de la production réalisée par dix-sept artistes locaux qui ont exposé leurs œuvres dans un centre culturel de la région Occitanie. Il s’agit d’analyser les liens entre la recherche en éducation et le monde artistique en menant une démarche de recherche innovante : la recherche-intervention création (RIC).
Cette approche originale propose de nouvelles perspectives fécondes pour la recherche française en sciences de l’éducation et de la formation, particulièrement dans l’un des axes de l’Unité mixte de Recherche « Éducation, Formation, Travail, Savoirs » de l’Université de Toulouse Jean Jaurès qui a acquis depuis des années une légitimité scientifique sur la thématique de l’accompagnement du changement.
Après une présentation des auteurs et autrices, un avant-propos est signé de Jean-Luc Aribaud, poète et photographe, animateur culturel à l’atelier de photographie du Centre Culturel Saint-Cyprien de Toulouse, qui enseigne la photographie depuis trente ans dans le cadre de pratiques « amateur » dans différents organismes publics ou privés. Son avant-propos montre l’intérêt d’explorer ce thème en sciences de l’éducation et de la formation afin d’amorcer un véritable débat autour de l’éducation. Il nous apporte un renouvellement très fécond dans son rapport à la culture, la manière de penser l’histoire humaine permettant d’englober toutes les formes d’œuvre qui font la construction du sujet dans la recherche intervention création (RIC).
L’ouvrage soulève de nombreuses questions de recherche dans une perspective culturelle posée comme un objectif de toute politique éducative. Il est organisé autour de quatre parties qui contribuent à la réflexion d’ensemble menée autour de la recherche-intervention création (RIC) : « Chevalets et pinceaux », puis « Les Ateliers et toiles », ensuite « Toile déchirée, toile réinventée » et enfin « Cimaises et environs ». Le travail de recherche est complété par une conclusion générale, une bibliographie, une table des illustrations et de plusieurs annexes.
L’introduction générale de l’ouvrage, rédigée par Dominique Broussal, présente la méthode de recherche. À partir d’une approche compréhensive, on peut se rendre compte que l’objet de la création reste à construire. L’ouvrage tente de restituer les tensions et les pistes de réflexion heuristiques d’un terrain artistique en voie d’exploration. La volonté de dépasser les avis tranchés sur la production artistique, tout en tenant compte des pratiques et des discours du champ de recherche, témoigne d’une recherche en éducation qui apparaît comme une discipline dont il faut maîtriser les règles et les subtilités afin de parvenir à concrétiser sa conceptualisation. De nos jours, de plus en plus d’étudiants considèrent la création artistique comme une alternative pour réaliser des projets qui leur apparaissent plus conformes à leurs aspirations et plus adaptés au monde actuel. Ils s’engagent aussi dans cette voie pour s’épanouir dans leur vie personnelle et professionnelle. Dans les divers chapitres de l’ouvrage, les auteurs ont souhaité décentrer leurs propos pour dialoguer avec les expositions et les œuvres en question sur des questions sociales.
L’introduction rédigée par Dominique Broussal donne un aperçu de la thématique principale de l’ouvrage scientifique intitulé « Expositions et œuvres en question ». À travers une recherche-intervention création de deux années, ce travail mené par cinq chercheur.es de l’unité mixe de recherche « Éducation, Formation, Travail, Savoirs » (UMR EFTS) de l’université Toulouse-Jean Jaurès, situe le contexte artistique des œuvres graphiques autour de l’exposition dans un centre culturel de la ville de Toulouse. Les questions d’accompagnement et du changement dans le champ de l’éducation, de la formation et du soin sont l’occasion de nous proposer une démarche inédite qui trace un chemin visuel dans la façon de concevoir les arts graphiques. La participation des artistes ouvre un espace où se rencontre l’œuvre graphique qui accompagne la création de connaissances, agissant sur l’expérience du chercheur et sur la recherche. La création graphique est susceptible de proposer des modes d’intervention visant le pouvoir transformatif au plan social et éducatif selon un mouvement d’émancipation de l’expérience artistique.
Quatre questions traversent l’ouvrage : Quelles fonctions les œuvres d’art assument-elles pour ceux et celles qui les produisent ? De quelle façon l’expérience de l’œuvre peut-elle être considérée comme éducative ? Comment les œuvres contribuent-elles à l’interprétation des changements auxquels nous sommes confrontés, et permettent-elles d’agir sur eux de façon individuelle et collective ? À quelles conditions les œuvres peuvent-elles devenir des vecteurs de changements au plan personnel et au niveau sociétal ?
Il s’agit d’une approche de l’œuvre d’art dans un cadre épistémologique et méthodologique de la pensée éducative et émancipatrice de l’œuvre, de la question de la médiation qu’elle suscite, afin de mobiliser des pratiques de création, de médiation et de réceptions des œuvres au sein de collectifs accompagnés au cours de recherches-interventions.
Autour de deux expositions d’art graphique « Lartotek » et « Faire le mur » (2018) au Centre culturel Saint-Cyprien, le projet mené par les cinq enseignants-chercheurs autour de la création, médiation et réception, a débuté en 2019 et s’est prolongé malgré la crise du Covid pendant 5 années jusqu’à la publication de l’ouvrage.
L’ouvrage se structure autour de quatre parties « métaphoriques » inscrites dans des « modes d’intelligence symbolique » :
La première partie, « Chevalets et pinceaux », présente l’environnement d’intervention de la recherche. Dans le chapitre I, « Présentation du contexte de la recherche-intervention création », Véronique Bedin, Dominique Broussal et Sébastien Séraphin dessinent le contexte institutionnel du centre culturel Saint-Cyprien, tout en précisant la politique socioculturelle de la Mairie de Toulouse. Les deux expositions « Lartotek 2018 » et « Faire le mur » serviront de perspectives de recherche sur « l’expérience transformative du sujet chercheur-intervenant à l’épreuve de la création artistique », qui singularise la démarche de création par rapport à la recherche-intervention. Le chapitre II, rédigé par Véronique Bedin et Dominique Broussal, présente la démarche de recherche-intervention création qui se construit progressivement, en rendant compte de la perméabilité des relations entre la production artistique, la pratique d’enseignement et la recherche-intervention.
La deuxième partie, « Ateliers et toiles », présente l’œuvre artistique qui constitue l’argumentation, l’explicitation et la démonstration de la restitution des résultats présentés. Le premier chapitre, rédigé par Véronique Bedin et Dominique Broussal, propose « un portrait pluriel et évolutif des artistes de la recherche-intervention création » réalisé à partir de 17 entretiens réalisés auprès des artistes. Puis, Lucie Aussel et Véronique Bedin abordent dans le deuxième chapitre, « L’herméneutique de l’œuvre », le rapport d’influence aux œuvres. Pour finir cette deuxième partie, Michèle Saint-Jean et Dominique Broussal s’attachent aux « Relations artistes, public et médiateurs culturels » en proposant de mobiliser le concept d’épreuve dans la rencontre de l’artiste avec son public.
La troisième partie, « Toile déchirée, toile réinventée » revient dans les deux chapitres rédigés par Dominique Broussal et Véronique Bedin pendant la période de la crise Covid, sur la production artistique d’un collectif de sept femmes pendant le confinement en 2020. Cette démarche de production transforme l’expérience interprétative des chercheurs différente de celle des artistes.
La quatrième partie, « Cimaises et environs » expose la démarche d’accrochage des tableaux des artistes et propose deux théorisations complémentaires. L’expérience esthétique de Dewey dans le premier chapitre, « Entre les bras de l’happy-œuvre » rédigé par Jean-François Marcel rend compte d’une conjugaison structurante du changement de l’esthétique et du scientifique. Le deuxième chapitre « Le moment des œuvres : se faire soi dans un monde incertain » permet à Dominique Broussal de revenir sur la perspective émancipatrice du « faire œuvre » dans une perspective d’accompagnement du changement en sciences de l’éducation et de la formation. Au service de la recherche, les cinq dimensions du « faire œuvre » font de son approche l’objet souhaité de sa recherche.
La conclusion générale, rédigée par Dominique Broussal et Véronique Bedin, revient sur la compréhension des fonctions éducatives, sociales et émancipatrices des œuvres graphiques ainsi que la façon dont celles-ci contribuent à transformer les personnes qui les créent, celles qui les reçoivent mais aussi les collectifs au sein desquelles elles se présentent. Le terme exposition présente l’importance des activités et les dispositifs de médiation que les artistes font vivre au Centre culturel. Ce retour réflexif sur leur analyse intellectuelle reprend les quatre questions de recherche, présentées en introduction, pour souligner l’apport contributif de l’ouvrage.
Les annexes, des témoignages d’articles, recueils et traitements des données sont l’objet d’une attention soignée, élaborée par Véronique Bedin. Ils constituent une aide précieuse pour mieux comprendre la démarche de recherche-intervention création déployée dans les différentes parties.
L’expérience « transformative du chercheur-intervenant » confronté à la création artistique trouve une réponse dans « une caractéristique construite à partir de l’engagement du chercheur situé, finalisé, donnant lieu à attribution de valeurs » (Barbier, 2011). Le chercheur est à la fois un acteur et un sujet. L’acteur se socialise autour du travail éducatif. L’artiste se construit dans l’expérience sociale de son activité et donne du sens à son vécu, à son histoire grâce à la réflexivité. On perçoit que l’expérience esthétique aide l’artiste à se réaliser au contact de la recherche. L’articulation de la production et du processus artistiques relie l’analyse et la connaissance dans un « Faire œuvre de son expérience avec l’œuvre une part de soi » déterminant une transformation effective des connaissances qu’elle procure. La question de l’influence de soi dans la transformation de ses savoirs, de ses représentations et de ses pratiques (Habermas, 1973) interroge l’artiste ou le chercheur lorsqu’il se prend pour objet d’analyse et de connaissance. À ce titre, la démarche « du pourvoir transformateur de l’artiste » s’inscrit dans une production de connaissances qui nourrit la recherche une approche originale de la réflexivité. Comment la reconstruction de son expérience esthétique avec l’artiste modifie-t-elle l’action du chercheur ?
C’est au fond la thématique abordée par la recherche-intervention création (RIC) qui est une approche réflexive dans la reconstruction de son expérience au contact de l’artiste. Il s’agit de se demander comment l’œuvre d’art transforme mon identité humaine, de ce qui a pu se passer de manière consciente ou inconsciente et d’en expliciter la posture éducative.
C’est ce temps de recul que nous propose cet ouvrage majeur par un retour reconstruit. C’est comprendre la nature de la connaissance produite par les chercheurs. La réflexivité est une activité de pensée qui a pour objet de prendre conscience des déterminants de la pensée, des savoirs, de l’expérience et plus largement de l’implication de soi. Elle vise à reconsidérer la pratique d’une activité sociale d’accompagnement de rétablissement et plus largement l’objectivation d’un processus de distanciation contribuant à façonner notre conduite humaine. Schön (1996) dans le prolongement des travaux de Piaget (1977), porte une attention sur la manière dont l’expérience du chercheur au contact de l’artiste se construit et transforme l’activité humaine dans la manière d’éprouver autrui.
Ce travail de réflexion scientifique vise à prendre conscience de la construction de soi, plus précisément comment se construit une représentation de soi-même qui va interférer avec autrui. Il faut trouver un cadre (Vygotsky, 1934/2019), l’analyse de l’activité permettant de mieux comprendre l’implication affective et émotionnelle, selon une perspective interactionniste, comme celle de la relation entre le sujet et l’objet (Goffman, 1973).
Autant dire que cet ouvrage apporte des éléments théoriques, méthodologiques et pratiques indispensables à la compréhension de la recherche-intervention création (RIC). Il montre que l’objectif d’éducation a un véritable « principe directeur du développement de la politique en matière d’éducation et de formation », et confirme que l’on est confronté à un domaine d’action prioritaire pour œuvrer. On en déduit que les sciences de l’éducation et de la formation sont indispensables pour analyser la relation à l’artiste. Elles visent à identifier la connaissance de savoirs qui structurent la réflexion dans le cadre de la pratique artistique et ouvrent des pistes d’un nouveau paradigme de recherche qui montre bien les transformations des relations en matière de professionnalité.
Puisque toute lecture est biographique puisqu’elle est une re (création) de ses propres connaissances muséales construites autour de plusieurs expositions esthétiques, cet ouvrage apporte une contribution significative pour comprendre les artistes à partir de leur propre création artistique. La posture de la recherche-intervention création (RIC) adoptée par le collectif de cet ouvrage donne toute sa place à l’expérience de cette production de connaissances en contexte.
La réflexion menée sur la démarche se définit par une finalité d’interaction et d’échange. La méthode structure une relation mutuelle entre des artistes et une équipe de chercheurs. La difficulté d’accéder à la création est largement résolue par la démarche. En contrepartie, le collectif garantit une intervention spécifique aux artistes. Mais la présence auprès des artistes ne garantit pas de pouvoir accéder au réel.
Le collectif de chercheur a engagé sa responsabilité scientifique dans le projet de participation pour produire une connaissance sur un processus de création selon une exigence de transformation. Il propose une réflexion finalisée pour la connaissance (1), la méthodologie de création (2) et la validité des résultats (3). Dans cet ensemble, s’entremêlent des relations réciproques qui permettent au chercheur d’intervenir sur sa problématique, à l’artiste d’enrichir les interprétations de sa production artistique pour contribuer aux connaissances concernant le monde social que celles-ci interrogent ou dans lequel celles-ci s’inscrivent.
(1) Une production de connaissances scientifiques sur la création de l’artiste
Les deux expositions étudiées dans l’ouvrage constituent un contexte permettant aux chercheurs d’analyser l’œuvre dans l’institution de création artistique. Les rencontres esthétiques qui orientent le processus créatif dans un espace artistique. L’art est une expression de liberté qui ouvre la voie à la subjectivation ; on peut dire que les expériences créatives traduisent des perspectives en pensées et qu’en cela elles reflètent la dimension symbolique de l’expérience vécue. On offre des regards multiples sur l’art dont la singularité contribue au vivre ensemble. S’interroger sur les relations à l’art est l’occasion de concilier les impératifs éthiques et le respect de la personne. Plusieurs courants scientifiques envisagent ainsi l’art comme objet de recherche autour de pratiques « transformatrices ». En ce sens, le changement de regard sur l’activité artistique oriente la réflexion sur le statut de l’artiste lui-même.
(2) Une méthodologie originale au service de la recherche-intervention création (RIC)
Si la recherche intervention se pratique depuis des années, l’approche originale de cette approche repose notamment sur des observations participantes, un intérêt porté aux préoccupations des artistes, une attention accordée aux données esthétiques des créations artistiques. Dès le début de la recherche, le collectif de chercheurs toulousains agit conjointement avec les artistes pour découvrir des régularités, pour contribuer à la construction de la réalité sociale dans un processus de transformation. Le but est de transformer l’environnement social à travers un processus d’investigation éducatif pour agir sur le monde plutôt que de devoir le subir.
(3) Une validation des résultats qui interroge l’espace éducatif
Cette approche ethnographique met en évidence des construits théoriques, liés à la création artistique dans une perspective de remédiation. Ils permettent à des œuvres de révéler des structures invisibles de la création. Cette recherche phénoménologique est proche de la théorie enracinée (Baujard, à par.) qui passe par une inférence inductive en recueillant les données, en les comparant et en les opposant, à la recherche de régularités analysées des deux expositions artistiques.

Pour conclure, l’approche compréhensive des expositions d’un centre culturel, par l’ingéniosité des créations réalisées par les artistes, propose des regards contrastés selon des connaissances et des contextes d’études spécifiques. Cet ouvrage fondamental pour la discipline envisage comment l’art nous construit, forme autant qu’il nous surprend, nous dépasse, dérange nos savoirs communs. À la vocation pédagogique s’ajoute une occasion de concilier les impératifs éthiques de changer notre regard sur les productions artistiques. Autant d’occasions d’ouvrir les voies de recherches en sciences de l’éducation et de la formation sur la pratique artistique et le rapport à soi et au monde qui s’y instituent.

Corinne BAUJARD
CIREL- Proféor
Université de Lille

Références

Barbier J.-M. (2011) Savoirs théoriques et savoirs d’action. Paris : PUF.
Baujard C. (à par.) « L’art peut-il nous sauver ? » – in : C. Baeza (coord.) Médiation culturelle et expérience du soin thérapeutique. Paris : L’Harmattan.
Goffman E. (1973) La présentation de soi. La Mise en scène de la vie quotidienne I. Paris : Les Éditions de Minuit.
Habermas J. (1973) La technique et la science comme « idéologie ». Paris : Gallimard.
Piaget J. (1977) Recherches sur l’abstraction réfléchissante. Paris : PUF.
Schön D. A.(dir.) (1996) Le tournant réflexif. Pratiques éducatives et études de cas. Montréal : Éditions Logiques.
Vygotski L. S.(1934/2019) Pensée et langage. Paris : La Dispute.

Spirale – Revue de Recherches en Éducation – 2023 N° 72 (95-122)