Cet ouvrage collectif rassemble les actes d’un colloque interdisciplinaire et international, qui s’est tenu à l’Université catholique de l’Ouest (UCO) à Angers en juin 2018 et qui a permis d’interroger les processus d’écriture créative à l’œuvre dans les domaines éducatifs, professionnels et personnels. L’ouvrage questionne en particulier les enjeux contemporains de ces pratiques d’écriture en termes d’évolution des représentations, de transferts de compétences, de processus de création et d’autodidaxie. Il réunit vingt et une contributions (textes de conférences et communications du colloque) organisées en quatre parties.
L’introduction générale rédigée par les trois coordinatrices permet de présenter le contexte de cette publication et les différents articles. Une postface de Dominique Ulma vient clore l’ouvrage avec les résumés des textes et les notices biographiques des auteurs et autrices (vingt-neuf au total). Le plan de cet ouvrage s’inspire de celui du colloque. La première partie composée de six articles, interroge les perspectives épistémologiques des ateliers d’écritures contemporaines. La deuxième partie comporte cinq articles qui explorent le champ du développement personnel. Les quatre contributions du troisième volet permettent de rouvrir le débat de l’apprentissage de l’écriture et des dispositifs mis en place en formation et dans le milieu professionnel. Enfin, le dernier volet de l’ouvrage comprend six articles qui posent la question de la transmission et du transfert de compétences.
Depuis les années 2000, les ateliers d’écriture connaissent une réelle dynamique en France et ce, dans tous les secteurs, investissant aussi bien le milieu scolaire et universitaire que celui des organismes de formation et d’animation. Quel rôle ont joué Anne Roche et Élisabeth Bing, deux figures pionnières des ateliers d’écriture ? C’est l’objet du texte liminaire de Jacqueline Lafont-Terranova. La chercheuse revient sur le parcours et le discours de ces pionnières et montre comment leurs expériences initiales menées dans des lieux de formation s’inscrivent dans une volonté de rupture avec les pratiques traditionnelles d’enseignement. L’auteure, qui s’intéresse depuis sa thèse à l’apport des ateliers d’écriture dans la construction du sujet-écrivant, conclut sur l’engouement que suscitent ces pratiques d’écriture mais surtout sur les nombreuses potentialités didactiques encore inexplorées. Les deux articles suivants traitent de l’écriture d’invention dans l’enseignement secondaire. Nathalie Denizot montre comment cet exercice témoigne de tensions de la discipline français par rapport aux conceptions de l’écriture et son apprentissage, au statut du scripteur et à la place de la créativité. La contribution de Hélène Ballé-de-Canteloube et Hélène Stoyanov fait état des nombreux obstacles didactiques qui entravent l’écrit d’invention. Anne-Marie Petitjean dresse quant à elle, un état des lieux de l’écriture créative dans les formations en analysant dans les programmes scolaires, l’emploi de l’expression « écriture créative » par rapport à sa convocation dans l’enseignement supérieur, puis en examinant la place accordée aux enjeux professionnels dans les formations mobilisant une écriture créative. Pour Marc André Brouillette, l’intégration d’ateliers d’écriture dans des cursus universitaires amène à un changement de paradigme. Selon lui, dans un contexte d’apprentissage de la création, certains fondements pédagogiques comme les notions de savoir, de transmission, d’acquisition et d’évaluation sont appelés à être revisités. Enfin, l’article d’Alain André revient sur l’enjeu créatif de l’écriture : quelle idée nous faisons-nous du processus de création littéraire et que faire des enjeux personnels qui sous-tendent les mots écrits ?
La deuxième partie de l’ouvrage rassemble des récits d’expériences de formateurs et formatrices pour qui l’écriture a permis de mieux se connaître, « de devenir sujet en ressentant sa vie profonde » précise Anne Pauzet (p. 102), mais également de se transformer. Anne-Laure Cesbron et Christophe Bell Œil mettent en avant une écriture qui s’est révélée pour eux et pour les autres, libératrice voire salvatrice. La première relate son expérience particulière des ateliers de Journal créatif© tandis que le deuxième évoque des ateliers d’écriture plus intimes, axés sur le passé et le récit de vie. Après avoir clarifié la notion de « développement personnel » pour le champ de l’atelier d’écriture créative, Patricia Bonnin tente de montrer comment l’écriture peut permettre de cheminer vers l’affirmation de soi et de tisser des liens sociaux. Pascale Denance quant à elle, analyse le rôle de l’écriture créative dans son enseignement de la stylistique anglaise et dans les ateliers d’écriture de nouvelles qu’elle mène avec les étudiants. Enfin, Patrick Gillet nous invite à découvrir un atelier d’écriture de haïku expliquant que la forme brève et légère de cet écrit faciliterait l’entrée dans l’écriture créative et permettrait de développer nos capacités d’observation du monde ainsi que notre empathie.
La troisième partie de l’ouvrage questionne l’apprentissage de l’écriture en lien avec la littérature. Les deux premières contributions s’inscrivent en français langue étrangère (FLE) et évoquent une écriture créative au service de la sensibilité littéraire. Pour Beata Klebeko et Łukasz Świercz, il s’agit d’une expérience d’écriture de nouvelles policières en philologie romane vécue par des étudiants de master pendant le cours de lecture littéraire en Pologne. Dans l’article de Déborah Aboab, Virginie Allaneau-Rajaud, Anne Godard et Donatienne Woerly, les ateliers sont menés à l’université à partir de corpus littéraires d’auteurs plurilingues ayant le français comme langue d’écriture. Les autrices concluent à la construction progressive d’une expérience et d’une conscience plurilingues chez les étudiants, l’écriture leur ayant permis « de construire un rapport sensible et réflexif aux langues » (p. 190). La contribution d’Alain André interroge la place de la catharsis en atelier d’écriture. Pour l’auteur, l’atelier permet de restituer la singularité d’un regard, il ne s’agit plus de « bien écrire » mais « de capter l’énergie propulsive que réclame le texte » (p. 193). Pour ce faire, il propose l’écriture d’un monologue intérieur en s’appuyant sur celui de Molly Bloom, personnage de fiction dans le roman Ulysse de James Joyce (1937). Enfin, Antoinette Bois de Chesne se demande comment susciter le désir de lecture chez les étudiants et les amener à éprouver ce que Roland Barthes nomme « l’aventure de la lecture ». À partir d’extraits d’auteurs contemporains, elle incite les étudiants à explorer les effets produits sur eux, à mener ce qu’elle appelle « une exploration sensible » (p. 203).
Comment transférer les compétences développées dans les ateliers d’écritures créatives vers le monde professionnel ? Une question à laquelle la dernière partie de l’ouvrage tente de répondre. Maurice Niwese et Célia Saparat décrivent un dispositif d’atelier d’écriture favorisant la réécriture, expérimenté auprès d’élèves de CM2. Les auteurs observent une évolution notable des textes y compris pour les élèves en difficulté, ainsi que le développement de compétences scripturales. Marie-Noëlle Roubaud s’intéresse à l’écriture de futurs rédacteurs professionnels en formation à l’université et formule l’hypothèse qu’un travail d’écriture à partir des genres discursifs permettrait de développer chez les étudiants des compétences rédactionnelles, indispensables pour leur métier. La recherche-action d’Ophélie Tremblay, Elaine Turgeon et Véronique Bachand permet d’observer un dispositif de développement professionnel à travers lequel six enseignantes expérimentent les cercles d’auteurs, une démarche dans laquelle les participants écrivent avec le soutien de leurs pairs. Dans cette étude menée au Québec, le postulat fait par les chercheuses est que faire écrire les enseignants les conduirait à développer une posture d’auteur qui induirait un changement dans leurs pratiques d’enseignement de l’écriture.
De leur côté, Catherine Malard et Solange Lavoine relatent l’expérience d’ateliers d’écriture menés en milieu hospitalier avec le personnel soignant d’un service d’addictologie et analysent les effets sur les participants. Enfin, les deux dernières contributions décrivent une écriture créative menée auprès d’étudiants en école d’ingénieurs. Sophie Bossard évoque les difficultés, les bienfaits et les enjeux personnels et professionnels de cette pratique, elle souligne notamment les vertus émancipatrices de ce type d’activité. Brad Tabas propose pour sa part, des ateliers d’écriture de textes de science-fiction après avoir dispensé un enseignement théorique sur la science de la créativité, l’objectif étant de former selon lui, des ingénieurs innovateurs et responsables.
Ainsi, la richesse de cet ouvrage réside dans la description détaillée de nombreux ateliers d’écriture créative menés dans des contextes différents et sous des formes variées : Journal créatif©, narrations de vie intérieure, nouvelles policières, récits de voyage, haïkus… autant d’expériences passionnantes, parfois émouvantes, qui nous incitent à déployer ces ateliers d’écriture dans toutes les sphères, qu’elles soient éducatives, professionnelles ou privées, tant les retombées semblent intéressantes, parfois même salutaires. Entre désinhibition, affirmation de soi et émancipation, partager l’espace d’écriture avec d’autres participants semble transformer l’individu tout comme sa pratique professionnelle.
Et si comme le suggérait Patricia Bonnin (p. 139), nous décidions de temps à autre, dans nos vies pressées, de « prendre le temps, prendre du temps, fut-ce seulement pour deux heures [pour] laisser vagabonder son esprit, se désancrer du quotidien pour encrer une feuille vierge et faire de ce moment un temps de « vie à soi » » ?
Dalila MOUSSI
CIREL ULR 4354
Université de Lille</p