Cet ouvrage prend appui sur une expérience d’enseignement en prison pour proposer un certain nombre de clés pédagogiques à destination de ceux qui sont confrontés à des situations et à des milieux difficiles dans le contexte de leur activité professionnelle. S’il constitue un vade-mecum précieux à consulter quand on manque de ressources face à un public d’apprenants déstabilisant, il offre aussi un éclairage intéressant sur l’enseignement en prison, relativement peu convoqué par la recherche, comme l’auteur le souligne lui-même.
Stéphane Méry se propose ici d’adopter un double regard, celui du scientifique dont le cadre théorique articule sociologie et sciences de l’éducation et celui du formateur-enseignant qu’il revendique comme son activité principale et dont l’expertise repose sur une expérience et une connaissance du milieu favorisant la maîtrise et le recul. L’ouvrage se compose de deux parties. La première explore les enjeux pédagogiques et didactiques de l’enseignement en milieu carcéral. La seconde a pour objectif de faire connaître le contexte institutionnel de la prison dans lequel l’enseignant prend fonction.
La première partie commence par un propos théorique préliminaire. L’auteur pose d’abord un certain nombre de définitions de référence pour construire les conditions de la compréhension de son approche. Il fait ensuite un développement conséquent sur le concept de motivation qu’il considère comme la condition essentielle de la réussite du détenu en situation d’apprenant qu’il désigne sous le terme de stagiaire et non pas d’élève, terme réservé aux phases de généralisation de situations d’enseignement en milieu difficile. Après être revenu sur la nécessité d’établir des relations de confiance qui ont une incidence favorable sur la motivation du stagiaire qui se sent en sécurité, valorisé et impliqué en étant reconnu comme l’acteur de sa propre formation, l’auteur met particulièrement l’accent sur la détermination des leviers positifs et le repérage des freins qui vont la fragiliser. S’appuyant sur la définition de Vallerand et Thill (1993) selon laquelle la motivation représente le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et ou externes produisant le déclenchement, la direction l’intensité et la persistance du comportement, Stéphane Méry convoque tout particulièrement la théorie de l’autodétermination et celle des buts d’accomplissement qui gouvernent, selon lui, la compréhension des enjeux motivationnels des stagiaires.
L’essentiel du propos de cette première partie concerne la restitution de son expérience d’enseignant en prison qu’il structure en évoquant, d’une part, la question de la gestion de classe et les ajustements à faire en situation concrète et d’autre part, les modalités spécifiques qu’il a mises en place en termes de contenus, de techniques de transmission et d’objectifs poursuivis, pour enseigner les matières générales et préparer efficacement aux diplômes.
Il aborde la gestion de classe en distinguant ce qui relève de la théorie portant sur l’importance du contrat et de la responsabilisation des stagiaires et ce qui constitue la réalité d’une démarche bien souvent mise à mal, en particulier dans le contexte carcéral, et qui requiert des conseils pratiques directement issus de l’expérience. Il souligne que faire classe avec des détenus suppose, dans un souci d’adaptation, de se préoccuper des facteurs exogènes au cours mais endogènes au climat de la classe. Dans ce milieu extrême, il faut aussi être très attentif à la relation individuelle qui peut confronter l’enseignant à des rapports de force, d’intimidation voire de violence auxquels il faut être prêt et vis-à-vis desquels savoir réagir. Il importe de savoir garder une distance qui favorise le respect et protège.
Concernant la transmission des contenus, L’auteur propose une méthode qui s’appuie sur cinq piliers : dire, questionner, faire découvrir, faire faire et comparer. Selon les matières dont il aborde chacune de façon spécifique, il use de pratiques pédagogiques différentes qui lui permettent de rythmer l’enseignement pour maintenir l’intérêt des stagiaires et de s’adapter à leurs besoins et à leurs avancées tout en préparant les examens. Il est très attentif aux programmes, comportant savoir-faire et savoir-être, dont il liste tous les attendus, savoirs et compétences à acquérir, et dont il organise sur l’année la transmission, du plus simple au plus complexe, en cohérence avec la progression des apprentissages professionnels pour favoriser l’intégration d’un maximum de contenus par les stagiaires. Il met en avant la nécessité d’identifier les freins et les interrogations des stagiaires au début de la formation et à chacune des séances dans le souci constant de motiver, de rassurer et de débloquer les difficultés rencontrées. Il pointe l’importance d’aborder chaque séance pour elle-même dans un esprit d’adaptation constant aux situations pédagogiques effectives. Ce principe est à généraliser pour la prise en charge de l’enseignement en milieu difficile.
La pédagogie par objectifs est abordée à partir d’une approche behavioriste qui revendique la nécessité de mettre en place des séquences dont les tâches à réaliser sont découpées afin de favoriser la réussite et de renforcer le sentiment d’efficacité personnelle, un des moteurs majeurs de l’engagement dans l’apprentissage. Les objectifs à atteindre à l’issue de la formation une fois posés et clarifiés, l’enseignant doit montrer qu’ils sont réalisables. La pédagogie mise en œuvre s’accompagne aussi d’une réflexion sur le sens qui peut être non seulement donné aux contenus et mais aussi reconnu par les stagiaires/élèves et dont ils ont besoin pour se motiver à apprendre et profiter des enseignements dispensés. La vigilance pédagogique doit particulièrement porter sur le renforcement de l’impact des séances en s’attachant à l’intérêt des élèves, source d’engagement dans la participation.
La seconde partie du livre concerne la présentation du contexte carcéral. L’approche, descriptive, est tout à fait pertinente car elle permet au lecteur d’entrer dans un univers mal connu : il y est initié à la fois du point de vue de ses caractéristiques institutionnelles et organisationnelles mais aussi du point de vue du langage particulier qui y a cours grâce à un lexique des termes et du vocabulaire des détenus.
Quelques remarques prospectives sont développées en fin d’ouvrage. Le point de vue de l’auteur est pessimiste puisqu’il met en évidence le fait que la formation n’est pas valorisée par les détenus dans une perspective de réinsertion par le travail une fois la peine purgée. Il montre qu’elle représente plutôt un moyen d’améliorer ses conditions de vie en prison. Malgré des convictions humanistes, présentées en début d’ouvrage, selon lesquelles chaque homme possède des qualités qui peuvent servir d’appui et dont la mobilisation peut contribuer à sa transformation, l’auteur est sceptique quant à l’impact de la formation sur le retour à la vie civile et sur l’absence de récidive. Il conclut en évoquant l’importance d’éveiller la curiosité, de susciter l’ouverture d’esprit et préserver les valeurs qui récusent les extrémismes et luttent contre l’obscurantisme dans ce contexte si particulier que constitue l’univers carcéral.
Valérie MELIN
Université de Lille
Proféor-CIREL
Vallerand R. J.& Thill E. A.(1993) Introduction a la psychologie de la motivation. Paris : Vigot.