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dimanche 16 juin 2013

Une approche didactique de l’informatique scolaire
Cédric Fluckiger
Rennes : PU de Rennes

Cédric Fluckiger propose un ouvrage qui reprend une problématique historiquement discutée depuis l’entrée de l’in¬formatique dans l’enseignement scolaire, dès les années soixante-dix en France. Pour autant, la question reste vive, du fait : des évolutions techniques de l’informatique et des objets et réseaux connectés ; qu’il y a encore une trop faible porosité entre la communauté de recherche et les terrains professionnels sur les questions de scolarisation des technologies informatisées ; qu’au sein même de la communauté de recherche, il n’y a aucune définition consensuelle d’une didactique adressée à l’informatique et ses technologies ; que l’évolution des programmes scolaires font à nouveau une place significative à l’enseignement de l’informatique, et ce, dès l’école primaire.
L’exposé est conduit en huit chapitres qui traitent successivement des contours de l’informatique scolaire, de la place accordée à une didactique qui lui soit dédiée, d’une nécessaire analyse didactique du domaine, et de ce qui la définit du point de vue des contenus et des sujets. Ce faisant, la didactique est vue comme une démarche critique, socio-historique et politique, pour définir ce à quoi nous devons former les élèves du point de vue des compétences et des connaissances en informatique.
L’informatique scolaire se développe sous l’influence des pratiques des élèves et de la multiplication des objets connectés, du renouvellement important des technologies éducatives, du point de vue des supports, des ressources et des situations qu’elles offrent, et sous celle de la très grande diversité des objets et des contenus d’enseignement et d’appren¬tissage. Ce faisant, l’informatique scolaire est à la fois un champ de pratiques et un champ de contenus, englobant à la fois les pratiques personnelles des élèves et les usages en classe des instruments numériques, et, pour les contenus, un ensemble de connaissances et de compétences liées à la programmation informatique et à la robotique, aux compétences informationnelles et médiatiques, à une certaine culture technique, etc.
Ces contenus forment un ensemble très hétérogène, mal identifiés et qui ne se présentent pas sous une forme disciplinaire. Les entrées didactiques pour se saisir d’un tel ensemble sont multiples : les objectifs, les concepts et les notions à appréhender à chaque niveau scolaire, les activités et les situations à mettre en œuvre, les moyens à mobiliser, la nature de l’accompagnement de l’activité des élèves, la question de la formation des enseignants, l’articulation dans des curriculums des usages instrumentaux et des savoirs constitués, etc.
Du point de vue des acteurs, une approche classique reconnait le sujet didactique quand il est institué par les pratiques de classe. Dans le cadre de l’informatique scolaire, il reste à comprendre : à quel apprenant s’intéresse la didactique de l’informatique sachant que les pratiques numériques dépassent largement le cadre scolaire ? De fait, il y a un effet des cultures numériques acquises hors l’école sur les pratiques scolaires et sur nos propres représentations sur les élèves et leurs relations aux technologies numériques.
Dans le cas de l’informatique scolaire, et c’est sans doute une spécificité de l’informatique et de ses objets à l’école, le sujet didactique est à prendre dans la pluralité de ses usages. L’idée est d’échapper à tout déterminisme des usages privés sur les usages scolaires, et d’éviter tout essentialisme, notamment à partir de l’idée d’une génération numérique native. Cédric Flukiger parle du développement nécessaire d’une posture discontinuiste au service d’une didactique critique.
En ce sens, la didactique de l’informatique doit apprendre des autres didactiques. Elle ne peut pas non plus être pensée de manière unifiée du fait même de la multiplicité et de la nature des objets techniques et conceptuels à appréhender, des usages qui leur sont associés, de différents niveaux scolaires de l’école maternelle à la fin du lycée, de leur pénétration dans les pratiques sociales, de ce qu’on appelle « culture technique » dans toutes ses extensions, et peut-être, des résistances humaines liées aux craintes et aux rapports personnels aux objets techniques et numériques.
A l’heure actuelle, l’informatique est une discipline que l’on peut qualifier d’« or¬pheline ». Les autres disciplines de l’école dialoguent entre elles, par exemple : il est normal et facile de faire du français en mathématiques, en histoire ou en sport… on peut faire de la géométrie en géographie, en arts visuels, en sciences de vie et de la terre… on peut parler du sport en physiologie, en mathématiques, en philosophie, etc. Les disciplines historiques dialoguent entre elles, elles peuvent s’étayer au service des apprentissages que les élèves ont à faire dans chacune d’entre elles. Ce n’est pas le cas de l’informatique scolaire, qui au mieux est vue comme un outil pour apprendre les autres disciplines, à leur service (un moyen et non une fin), plus rarement comme une discipline en tant que telle, et quasiment jamais comme une discipline en dialogue avec les autres, s’alimentant des autres tout en alimentant les autres. Nous avons là un impensé de l’introduction de l’informatique et des technologies numériques à l’école. Les points d’articulation et les alliances restent à trouver.
L’ouvrage de Cédric Flukiger contribue certainement à poser les bases d’une réflexion épistémologique sur l’enseignement de l’informatique et ses technologies, et certaines clés pour son intégration institutionnelle et pratique dans les classes. Un des pièges serait de ne voir que l’activité des élèves et celle des enseignants convaincus avec des instruments numériques pour y voir une scolarisation à échelle de l’informatique et de ses objets. L’auteur nous invite à éviter deux écueils : celui d’une observation à hauteur d’homme (au plus près de l’activité) et celui de la description des forces sociales, par exemple telles que le développement intensif des technologies numériques dans nos sociétés (interprétations déterministes).
Seule une posture critique en didactique peut nous permettre de penser l’informati¬que scolaire, nouveau domaine à enseigner et à intégrer dans le paysage historique des disciplines scolaires, dans ses discontinuités dans et hors l’école, et ses continuités, des objets pratiques et manipulés en classe aux concepts de référence à appréhender, et selon quelle logique éducative et développementale. Une didactique ad hoc qui puisse installer la réflexion depuis les aspects les plus matérialistes de l’activité instrumentée jusqu’à leur domaine de référence, donc qui puisse travailler à tous les niveaux d’échelle de l’informatique scolaire et de ses extensions.
Critique, la didactique de l’informatique est aussi politique en ce sens qu’elle travaille à l’intégration d’un nouveau domaine disciplinaire, à la fois redouté et désiré, dans le paysage scolaire historique. De ce point de vue, la didactique de l’informatique interpelle la communauté de chercheurs en éducation et en informatique, et leur capacité à dialoguer avec les terrains professionnels et institutionnels.

Jacques BÉZIAT
EA.7454 CIRNEF
Université de Caen Normandie