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dimanche 16 juin 2013

Didactique pour enseigner
Collectif
Rennes : PUR (2019)

Ce gros livre (616 pages) est le fruit du travail du collectif Didactique pour Enseigner, ancré dans un séminaire de recherche tenu à l’IUFM/ESPE de Bretagne et rassemblant autour de la théorie de l’action conjointe en didactique (TACD) des doctorant.e.s, des docteur.e.s, des enseignan¬t.e.s-chercheur.e.s, des professeur.e.s (une seule dans les auteur.e.s de l’ouvrage). Il a été élaboré collectivement sur la longue durée et présente des contributions relatives à des situations d’enseignement-apprentissage diverses : en français, en mathématiques, en histoire, en EPS, en anglais, en physique, en danse, en musique… souvent dans l’insti¬tution scolaire, parfois universitaire, parfois aussi plus originales (« l’art du tham nong dans un monastère du Nord Laos » par ex.). L’ouvrage est organisé autour de 4 problématiques didactiques : l’équilibration contrat-milieu (les 2 premières parties), l’intégration de l’éthique dans les analy¬ses didactiques, les sémioses en jeu dans des situations d’imitation (« l’école et la culture »). Chaque partie se conclut par un « texte de tressage » analysant conjointement les situations et les interprétations des chapitres précédents. Les chapitres introductifs présentent les choix d’écriture et les notions-modèles récurrentes, repérées dans le texte par un * ; un glossaire d’une quinzaine de pages en précise les significations et les usages. Une conclusion revient enfin sur ce que les auteur.e.s considèrent comme les apports essentiels et les perspectives de l’ouvrage, et en particulier sur les changements nécessaires de la forme scolaire. Rendre compte de chacune des trente contributions dépasserait le cadre d’une recension et nécessiterait de surcroît un accent particulier sur ce que suggère aussi la comparaison entre disciplines. Les textes de tressage et les conclusions invitent judicieusement à porter attention sur ce que les concepts mobilisés permettent de caractériser comme générique. Mais la lecture de chaque situation et de chaque analyse met de façon détaillée et concrète l’accent sur ce qu’elles ont de spécifique de la discipline ou de l’enseignement concerné.
L’ambition des auteur.e.s est de s’adresser aux praticiens de l’enseignement, de la formation, et/ou de la recherche, en permettant des lectures plurielles. Prenons l’exemple de la première partie (« histoire d’équilibration, des équilibres difficiles ? ») : chaque situation présentée est décrite deux fois, d’abord d’une façon coutumière aux enseignants, puis en mettant au travail les concepts de la TACD (en particulier ceux de contrat et de milieu) ; l’analyse est complétée par des contre-factuels : ce qui aurait pu être fait aussi, autrement, plus efficacement, à partir des prémices de la situation présentée. On conçoit qu’un. e enseignant. e, y compris débutant. e, peut entrer aisément dans la situation et ses (dys)fonction¬nements et repérer comment il est possible de la modifier pour favoriser les apprentissages – sans nécessairement vouloir s’emparer des analyses en termes de TACD. Mais on conçoit aussi qu’un. e chercheur. e novice y trouve matière à réflexion sur les gains d’intelligibilité résultant de l’emploi de concepts de didactique et à compréhension du modèle de la TACD. Plus expérimenté. e, il. elle s’intéressera peut-être davantage au potentiel des contre-factuels pour approfondir l’analyse en spécifiant mieux les jeux successifs, et aux approches comparatives du texte de tressage. Ce dernier peut d’ailleurs être lu en amont des chapitres, pour mieux en appréhender la convergence autour de la problématique retenue.
Les apports nouveaux de cette somme me semblent cependant d’un autre ordre : il s’agit de permettre une réflexion outillée, argumentée par l’analyse minutieuse de situations particulières, d’une part sur les alternatives à la forme scolaire dominante, d’autre part sur l’intégration dans l’analyse didactique d’aspects souvent écartés car posés a priori distincts des enjeux de savoir. Ce sont ces questions qui président au choix de la plupart des situations analysées.
La remise en question de la forme classique des situations d’enseignement apprentissage passe par la mise en œuvre de situations de résolution de problème, lesquelles pour être efficientes supposent une distance pertinente entre contrat et milieu : l’élève doit être confronté à une situation « qui échappe au système stratégique immédiatement disponible » (p. 24), à la différence de la succession rapide questions-réponses qui caractérise la forme dominante. C’est la visée de toutes les situations présentées. De ce point de vue les chapi¬tres de la 1re partie sont très démonstratifs en mettant en évidence des épisodes où les élè¬ves ne peuvent entrer dans le jeu didactique ou ne peuvent mettre en œuvre une stratégie appropriée. Mais on trouvera aussi particulièrement intérêt aux chapitres qui portent sur des savoirs non textuels, c’est-à-dire où la forme question-réponse n’est pas adaptée (en particulier dans la 4e partie) : les analyses orientent la réflexion vers des contrats et des milieux moins convenus en didactique. Les auteur.e.s s’y appuient sur le concept de « milieu-soi », désignant ce qui dans la personne et son activité sensible et/ou corporelle devient, en situation d’apprentissage, un milieu comme un autre, qu’il s’agit d’explorer afin de repérer ce qui fait problème et de travailler à sa résolution : ceci vaut pour la danse par exemple, mais aussi pour la relation didactique incorporée. Le pas de côté qui résulte de ces analyses permet à qui le souhaiterait d’interroger autrement les pratiques disciplinaires.
La 3e partie questionne ainsi la façon dont l’analyse didactique s’enrichit de la prise en compte des dimensions éthiques, c’est-à-dire pour les auteur.e.s « celles qui ressortissent à l’attention à autrui » (p. 429). Être attentif à l’élève ne relève pas ici d’un savoir-faire pédagogique. L’attention de l’enseignant. e à ce que fait l’élève en situation d’apprentissage porte à parts égales sur le savoir en jeu et sur l’attention que l’élève porte à ce qui est demandé/montré pour accéder à ce savoir : elle constitue ainsi un « élément majeur de l’ac¬tion didactique conjointe », en ce qu’elle est attention à la construction des significations dans l’apprentissage, donc indissociable des enjeux cognitifs. Mais cette attention en se traduit pas nécessairement par la parole : le regard, le geste, la proxémie sont signes d’atten¬tion et d’interaction. Autrement dit, découpler dans la professionnalité enseignante ce qui relèverait de la prise en charge des savoirs et ce qui relèverait des postures à l’égard des élèves est hasardeux : selon les analyses argumentées dans ces chapitres, pratique éthique et pratique épistémique sont solidaires. L’une et l’autre contribuent à reconnaître et soutenir l’émancipation de l’élève.
Au total donc une somme dont la lecture est tout à fait stimulante, même pour ceux. celles qui ne sont pas familiers de la TACD, en ce qu’elle permet, au-delà d’une initiation aux concepts de cette théorie et à leur heuristique, de voir comment les chercheur.e.s qui s’y inscrivent s’emparent de questions tout à fait actuelles tant du côté de l’enseignement que de celui de l’épistémologie des didactiques. C’est peut-être à propos de la définition de la « culture » que l’écart avec d’autres recherches est le plus sensible : si considérer l’édu¬cation comme une « entrée dans la culture » fait consensus, la définition adoptée par la TACD de la culture comme complexe de praxéologies (pour le dire rapidement) insiste sur le fait que tout savoir est connaissance pratique, et conduit à considérer autrement les contenus disciplinaires : par exemple en privilégiant la lecture sur le texte ou l’image, l’inter¬prétation sur l’œuvre. Cette approche est congruente avec le développement de l’organisa¬tion des disciplines autour des compétences, même si les auteur.e.s ne défendent pas ce point de vue, peut-être moins avec la tradition de certaines disciplines. Et penser tout apprentissage comme résolution de problème semble assez loin des stratégies professionnelles promues par les décideurs actuellement en France.

Nicole TUTIAUX GUILLON
CIREL-Théodile
INSPE Lille-Hauts de France
Université de Lille