Cet ouvrage d’universitaire en sciences de l’éducation à l’université de Limoges a pour ambition d’observer les remaniements identitaires « en train de se faire » dans le cadre d’un dispositif d’éducation formelle, d’en expliquer le mode processuel par l’analyse de ses déterminants et de ses effets.
En référence aux travaux de J. Guichard et al. (INETOP-CNAM-Paris), l’auteur conçoit l’orientation comme le lien entre un habitus et des représentations d’avenir. Une question centrale : comment se disent et s’écrivent à l’âge adulte des parcours liés à des transitions de vie ? Après une introduction méthodologique, M.-H. Jacques, 2020, traite des transitions au fil de la scolarité, de la formation professionnelle ou des études supérieures (Ch. 1).
Une première approche concerne la transition comme « palier » (classes paliers) : statuts et inscriptions temporelles des segments scolaires. Les différents paliers de l’organisation scolaire en France se sont construits sur la base d’une culture pédagogique et de curricula qui construisent un « habitus scolaire ».
Le deuxième volet envisage les étapes d’une transition sous le prisme d’un « déroulement primaire » : 1- une cohérence initiale ; 2- une période critique ; 3- une décision ; 4- une action ; 5- une remise en cohérence. La transition est d’abord comme reconfiguration de l’identité normative : qu’est-ce que la permanence ou la fidélité à soi ? « L’habitus est aux fondements de la mêmeté ».
La transition est ensuite analysée sous le mode de l’expérience et d’un système des activités liées au vieillissement (Caradec, 2004) qui peut déboucher sur le conseil en orientation pour « se faire soi » dans une perspective d’« éducation à l’orientation » si l’on se réfère aux pratiques professionnelles des conseillers d’orientation psychologues à l’Éducation nationale. L’idée maîtresse est de passer « d’un déterminisme à un probabilisme » avec pour visée la réflexion sur soi, l’apprentissage de la distance critique et l’autonomisation. Faire apprentissage et faire expérience : s’orienter, c’est se professionnaliser, s’insérer, infléchir sa vie professionnelle. Un schéma très éclairant sur le processus transitionnel illustre le principe méthodologique de l’enquête de terrain (pp. 99-100).
Le second chapitre de l’ouvrage est le plus dense et prend pour objet d’analyse la transition comme un remaniement identitaire triphasé (assimilation-accommodation-rééquilibrage). L’auteure s’appuie notamment sur les travaux de Piaget, Bourdieu et Lahire (concept d’« homme pluriel ») pour rendre compte des « destins différentiels » ou des parcours différenciés. L’apport de C. Dubar (1991) est mobilisé pour signifier que l’identité n’est pas d’un bloc mais qu’elle résulte d’une nécessaire transaction entre « identité pour soi » et « identité pour autrui ». L’observation d’une population d’apprentis (post-collège) met en évidence des paliers et des seuils transitionnels, des axes d’« anticipation de soi » et des parcours « non-linéaires », de même que l’importance des expériences identificatoires.
Les recherches de C. Negroni sont mobilisées pour rendre compte des « bifurcations professionnelles » sous l’angle des orientations scolaires et professionnelles.
Un lexique psychosociologique se déploie pour rendre compte des environnements de socialisation et de leur impact sur les individus (pp. 168-170). S’orienter, c’est accommoder et s’accommoder et se confronter à un cadre normatif qui métamorphose une épreuve en expérience.
La prise en compte d’une population de Master 2 en stage « professionnalisant » permet de mettre en lumière les liens entre contrôle symbolique, normativité et développement de soi. L’attention portée à des candidats engagés dans une procédure de validation diplômante par la VAE (Validation des acquis de l’expérience) souligne l’intérêt de l’expérience de « l’écriture de l’expérience ». Dans quelles conditions l’engagement est-il une source de développement ? L’ouvrage se termine en précisant des « concepts scientifiques » et des « concepts quotidiens » illustrant la figure des individus experts en « rééquilibrage identitaire », à la condition qu’ils soient reconnus en tant que tels. L’auteure insiste sur l’impact des offres institutionnelles de reconnaissance sur la forme identitaire désirée et sur le cadre sociohistorique de ces reconnaissances professionnelles.
In fine, un tableau détaillé nous est proposé pour rendre compte des transitions identitaires dans les parcours d’éducation (pp. 228-230). Quelques portraits s’y ajoutent : Jordy, une qualification fragile ; Thomas : vers une réussite positive… Autant de « configurations qui ont eu des effets transformateurs discrets sur la professionnalité de ces étudiantes et notamment sur leur capacité à être qualifiées et recrutées. »
Dans la partie conclusive, M.-H. Jacques nous pousse à aller plus loin en esquissant une « perspective pédagogique identitaire ». L’idée qui s’impose consiste à considérer que « la transition se voit un état permanent au fil d’un continuum de vie dans une société incertaine face aux orientations scolaires et leurs diplômes ».
Spécialiste de la question des transitions scolaires dans les processus d’éducation, M.-H. Jacques nous offre un ouvrage de synthèse remarquable issu des 380 références bibliographiques dont 40 appartiennent en propre à l’auteure. Une réserve cependant : la densité de cet ouvrage aurait peut-être gagné en clarté pédagogique si l’auteure avait choisi un plan en trois ou quatre parties.
Francis DANVERS
Laboratoire CIREL
Université de Lille