L’année 2020 restera sans conteste l’année du silence.
Fin 2019, la Covid 19 apparaît dans la région chinoise de Wuhan avant de se répandre dans le monde. L’Organisation mondiale de la santé déclare l’état d’urgence de santé publique de portée internationale le 30 janvier 2020. Afin d’éviter la propagation de cette pandémie, les différents États prennent des mesures de confinement et de restrictions importantes. Le 16 mars 2020, la France se mure dans le silence pendant trois mois.
Si l’expérience du confinement a été une épreuve pour de nombreuses per-sonnes, elle a permis de réentendre « le bruit du silence ».
Des scientifiques, climatologues, biologistes, sismologues, océanographes, ont montré à travers différentes recherches, les bienfaits du silence pour notre planète et pour les êtres humains. D’après l’étude réalisée par l’observatoire de l’environnement sonore Acoucité (juin 2020) [1], les Français ont jugé le retour du silence bénéfique en milieu urbain durant le confinement. En 2016, une recherche de l’ADEME [2] révélait que 9 millions d’habitants étaient soumis à des niveaux sonores impactant fortement leur santé. D’après l’association Bruitparif, le confinement a permis de réduire de 60 à 90 % les émissions sonores liées aux trafics routiers en Ile-de-France. Une autre étude conduite par des chercheurs internationaux (Lecocq et al., 2020) indiquait que le « bruit sismique » avait diminué de 50 % à la suite de l’arrêt des chantiers, des usines, des transports durant cette période confinée.
Le silence des humains a permis le retour des animaux sauvages dans les centres-villes mais a aussi gagné les océans en diminuant la pollution sonore sous-marine, bienfait pour les mammifères marins.
Une quinzaine de chercheurs européens (Rutz et al., 2020) ont créé un néologisme l’« anthropause » pour désigner ce temps d’arrêt de l’activité humaine, notamment des voyages, et ont invité les États à tirer des enseignements de ces études pour construire une relation plus durable avec la nature.
Mais qu’est-ce que le silence ?
Le mot « silence » est introduit dans la langue française en 1190 (Bloch & Von Wartburg, 2003). Il tire son origine du latin silentium et est dérivé du verbe siler signifiant se taire. Dans son sens originel, le silence désigne « l’état de la personne qui s’abstient de parler, le fait de ne pas parler, de ne pas se plaindre ». Pour Le Littré (1762), il est « une suspension que fait celui qui parle dans la déclamation » (Voltaire, Lettre d’Argental du 17 avril 1762).
Dans une utilisation plus courante, le silence se définit par « l’absence de bruit, de sons indésirables ». Il fait l’objet de nombreuses réflexions en philosophie, psychanalyse, sociologie, anthropologie, histoire, musicologie, sciences de l’information et de la communication, linguistique.
Chaque période de l’histoire a une manière de concevoir le silence.
Si pour Alain Corbin (2018), le silence du XVIIe siècle est celui de l’oraison, de la prière, celui du XIXe siècle renvoie au romantisme habité par le sublime. Le silence est aussi une richesse, le moyen d’approfondir son Moi, de méditer, de se ressourcer. Au XXIe siècle, le silence fait peur, il suggère l’ennui, l’arrêt du rythme.
Pour David Le Breton (1997, 2017), la société ne privilégie plus le silence et a perdu le sens d’un silence de recueillement : « le seul silence que nos idéologies de la communication connaissent, c’est celui de la panne, de la défaillance de la machine, de l’arrêt de la transmission. Il est une cessation de la technicité plus que l’émergence d’une intériorité, d’une réflexion » (Le Breton, 1998 : 17). Quelle est alors la vertu du silence ? Pour Georg Simmel (1997), si la société est conditionnée par le fait de parler, elle est aussi conditionnée par le fait de se taire. Faut-il poser, par hypothèse, qu’il y aurait une « parole du silence », comme le suggère Michel Maffesoli (2016) ?
Le langage ne peut pas tout. Le silence est parfois nécessaire. Les mots ne sont pas toujours suffisants pour saisir la totalité du monde, notamment pour ce qui est du domaine de l’indicible comme le résume Ludwig Wittgenstein (1922 : 7) dans son ultime proposition : « Ce qui peut être dit peut-être dit clairement. Ce dont on ne peut pas parler, il faut le passer sous silence ».
Qu’il soit méditatif, introspectif, contemplatif ou mystique, le silence hu-main est toujours, d’une certaine manière, « parlant » (Danvers, 2019).
Qu’en est-il du silence en éducation ? Quelle est la fonction du silence ? Est-il un objet de recherche ? Quel sens lui attribue-t-on ? Dans ce numéro de Spirale, nous proposons une approche inédite du silence en éducation et en formation dans laquelle plusieurs lectures se croisent.
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Anne-Françoise DEQUIRÉ
Proféor-CIREL
Université de Lille
FUPL
Francis DANVERS
Proféor-CIREL
Université de Lille