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vendredi 7 janvier 2011

Cécile CARRA, Catherine COUTURIER et Bernard REITEL (dir.)
Identité(s) et universités nouvelles, une question de proximité ?
Arras : Artois Presses Université (2021)

Au point de départ de cet ouvrage publié par des enseignants-chercheurs de l’université d’Artois, université ouverte en 1992, une question : quelle est l’identité de notre université en lien avec son territoire dans le contexte de la dynamique de structuration de la recherche en œuvre depuis quelques années ? Pour y répondre les responsables de cette publication ont réuni quatorze contributions distribuées en quatre parties prenant en compte des universités récentes comme l’université d’Artois mais aussi des universités plus anciennes et/ou étrangères.
La première partie rassemble dans une perspective pluridisciplinaire quatre contributions qui ont pour ambition d’interroger la question des identités dans leur dimension historique, sociologique et économique.
En retraçant deux siècles du développement des universités septentrionales (1808-début XXIe siècle), Jean-François Condette montre comment se sont succédées au fil du temps des politiques favorisant une diffusion ou une polarisation des structures universitaires. Il met ainsi en évidence la complexité des liens qui se tissent entre les institutions universitaires et leur territoire.
Catherine Soldano s’intéresse à la place des petites et moyennes universités dans le contexte de la recomposition du paysage universitaire en cours de la dernière décennie. Elle en liste les enjeux et les problématiques pour conclure qu’elles doivent jouer la carte de la proximité pour faire émerger des spécialités. À cet égard, les universités de Chambéry et de Pau sont de bons exemples du bénéfice qu’on peut retirer d’une telle politique.
À partir des années soixante-huit, l’Italie a connu une augmentation considérable de ses universités régionales. Ce mouvement d’abord chaotique a été encadré par l’État à partir des années cinquante. En prenant les exemples des universités de Lecce, de Bergame et d’Udine, David Facci montre comment ces nouveaux établissements ont su se construire une identité propre face aux grandes universités historiques.
À partir du cas des IUT de Pau, d’Auch, de Figeac et de Tarbes, Rachel Lévy, Sophie Cazeaux, Malika Hattab-Christman et Hassan Ghorbani, mettent en évidence qu’au-delà de la proximité géographique, d’autres formes de proximité, cognitive, sociale, institutionnelle, doivent être mobilisées pour construire une identité.
Les quatre contributions de la seconde partie explorent ce qui se passe dans les universités en donnant la parole aux enseignants et étudiants dont les pratiques – enseignement et vie quotidienne – révèlent la manière dont les identités sont conçues.
Marie-Laure Viaud examine la transformation entre 1950 et 2000 des pratiques d’enseignement dans trois disciplines (histoire, sociologie et physique) au sein de dix sites universitaires franciliens. Ses recherches en archives complétées par des entretiens montrent qu’un souci d’innovation émerge dans les années cinquante-soixante pour s’imposer dans les années 1968-1990 avec en particulier une préoccupation majeure : la volonté de réduire l’échec en premier cycle. À partir des années quatre-vingt-dix, dans un contexte de réformes de plus en plus contraignantes, on enregistre un abandon des pratiques innovantes. L’auteure en tire comme conclusion que le développement de pratiques pédagogiques nouvelles suppose trois conditions. Il faut d’abord que s’exerce une pression forte telle la considérable augmentation des étudiants s’accompagnant de la modification de leur rapport au savoir. Il faut ensuite que circulent de nouveaux modèles. Il faut, enfin et surtout, que les enseignants disposent d’espaces de liberté comme ceux qui peuvent se créer quand naît une nouvelle discipline et/ou quand se constitue une nouvelle équipe enseignante.
Partant du constat des profondes transformations de l’Université au cours de cette dernière décennie, Catherine Couturier et cinq de ses collègues de l’université d’Artois s’interrogent sur la façon dont les enseignants de leur établissement se sont appropriés les évolutions en cours. Des questionnaires diffusés auprès de tout le personnel enseignant avec un taux moyen de réponses avoisinant les 32 %, il ressort plusieurs constats. Concernant leurs relations avec les étudiants perçus comme faibles, ils les considèrent satisfaisantes. Si les enseignants déclarent apprécier la recherche, ils n’en considèrent pas moins leur mission d’enseignement comme prioritaire. Les réponses au questionnaire mettent aussi en évidence leur intérêt pour le travail d’équipe. Enfin ils estiment avoir modifié profondément leurs pratiques. Au total, les auteurs de cette contribution dressent un tableau très nuancé tout en soulignant, et cela est important, le désarroi ressenti par leurs collègues pour parvenir à faire progresser leurs étudiants.
Dans leur contribution, Samuel Balti, Anne Père et Luc Adolphe présentent les résultats d’enquêtes menées trois années durant par des étudiants des trois campus constituant l‘université de Toulouse pour décrypter les relations entre l’Université et la ville. Si l’Université constitue un élément marquant du territoire, en revanche son identité est profondément marquée par les spécificités de chaque secteur où elle est installée.
Ce sont les caractéristiques de la vie étudiante à l’INU Champollion d’Albi, petite université de ville moyenne créée au début des années quatre-vingt-dix comme antenne de l’université de Toulouse, qui retiennent l’attention de Thibault Courcelle et Mathieu Vidal. Exploitant les résultats de deux enquêtes menées par des étudiants de la filière géographie, leur étude montre le rôle spécifique d’un établissement de proximité dans une politique d’aménagement du territoire se donnant pour objectif de favoriser l’accès à l’enseignement supérieur d’étudiants qui n’auraient pu le faire dans d’autres conditions. Elle montre aussi que la présence d’une université ne suffit pas en l’absence d’animation en dehors du campus pour que la ville soit perçue comme une ville étudiante.
Bernard Reitel et Sylvie Coupleux questionnent la construction des identités des étudiants de l’université d’Artois, université pluridisciplinaire et multi-sites. Au préalable, ils définissent les notions-clés mises en œuvre dans leur recherche. En un second temps, ils brossent un portrait des étudiants de l’Artois mis en perspective avec des étudiants de l’ensemble de la France. Ils en concluent que « l’université d’Artois participe à la construction de l’identité de ses étudiants, à leur formation et à leur autonomisation, dans un contexte où la proximité se décline à travers une petite taille qui favorise l’interconnaissance et l’appropriation des lieux ».
Partant du constat d’une double logique à l’œuvre au cours des trois dernières décennies, d’une part celle de la profonde modification du paysage universitaire français avec la multiplication des établissements de proximité, de l’autre celle de la mondialisation, de l’internationalisation et de la course à l’excellence, les quatre contributions de la troisième partie examinent les tensions qui en résultent.
Jean-Emile Charlier et David Urban s’intéressent à la politique menée par la Communauté française en Belgique (CFB) dans le domaine de l’enseignement supérieur dont elle a la responsabilité. La CFB a voulu stimuler les établissements pour les faire participer à sa prospérité économique et sociale. Pour obtenir ce résultat, la CFB a privilégié les regroupements institutionnels et la mise en compétition des établissements. Il s’ensuit pour ces établissements la perte de l’identité acquise au cours des siècles. Ils sont tenus de s’en forger une nouvelle dont les finalités définies à l’échelon supérieur sont de produire des élites internationales détachées du local et d’accueillir des étudiants dont il faut respecter et valoriser les diversités culturelles. Pour les auteurs, de telles finalités apparemment simples deviennent compliquées dès lors qu’il faut organiser des enseignements dans une autre langue que celle que pratiquent quotidiennement les étudiants.
En prenant comme exemple l’université d’Artois, la contribution de Caécile Carra et de Daniel Faggiannelli se fixe pour objectif de montrer comment de nouvelles régulations institutionnelles et territoriales participent d’une évolution de l’identité de l’université et de ses enseignants-chercheurs. L’enquête menée auprès de ces derniers met au jour une transformation de l’organisation de la recherche et de ses modalités d’exercice, le développement aussi de nouvelles dynamiques identitaires.
Depuis sa création, l’université d’Artois entretient des relations avec des acteurs socio-économiques locaux et en particulier avec des clusters qu’elle a contribué à fonder. Pour Bénédicte Jamin, les interrelations ainsi établies avec les territoires contribuent à faire évoluer l’identité de l’université d’Artois. Cette dernière entend afficher sa volonté de devenir un acteur incontournable du développement socio-économique de son territoire tout en n’oubliant pas sa vocation première d’être universitas.
Enfin, Camille Vergniaud prend l’exemple de deux universités, l’une française, l’autre étrangère, pour montrer comment elles mobilisent le partenariat avec les acteurs extérieurs et l’ancrage territorial.
Dans la quatrième partie, la parole est donnée à Philippe Duez, ancien directeur d’UFR, qui se fixe pour objectif de mettre en rapport l’ensemble des questionnements en matière d’identités rencontrés par les universités et leurs composantes avec leur stratégie en matière de formation. Prenant comme exemple l’académie de Lille (80 % des étudiants des Hauts-de-France, 3e position en France pour le nombre d’étudiants, des universités publiques anciennes, d’autres nouvelles), il évoque dans une première partie le rôle ambigu des autorités de tutelle menant une politique de discrimination à l’égard des universités de petite taille. Il analyse ensuite le rôle des conditions économiques et démographiques dans la recherche d’une nouvelle forme d’identité par l’université. Enfin il présente les scénarios et les options stratégiques pouvant y être associés selon l’option choisie. En conclusion, il appelle les universités à se rapprocher plutôt que de se faire concurrence et à insister sur leur rôle dans la production et la critique des connaissances à un moment « où l’on doute de nos savoirs face aux différents défis économiques, écologiques et sociaux ».
Pour Bernard Reitel qui conclue l’ouvrage, si les universités sont un lieu d’expressions de tensions dont les différentes contributions font état, elles offrent un cadre propice à l’émergence d’identités à la condition de leur prise en compte et de leur mobilisation par les pouvoirs publics dans leurs perspectives pour l’enseignement supérieur.
Au total, cet ouvrage a le grand mérite d’apporter un éclairage substantiel sur la façon dont les universités nouvelles cherchent à se positionner et à construire leur identité dans un contexte international de plus en plus internationalisé.

Philippe MARCHAND
IRHIS UMR 8529
Université de Lille