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vendredi 21 juillet 2000

Les gauches de gouvernement et l’école
Programmes, politiques et controverses du Front populaire


Ismaïl FERHAT (dir.)
Rennes : PU de Rennes (2019)

Ce livre regroupe les communications présentées lors d’un colloque organisé à Amiens le 1er et le 2 décembre 2016 à l’Université de Picardie-Jules Verne avec le soutien de l’OURS et de la Fondation Jean Jaurès. L’objectif de ce colloque était comme l’indique le titre de l’ouvrage d’étudier l’interaction complexe existant entre les gauches et l’éducation depuis le Front populaire jusqu’en 2012. Le sous-titre en précise fort justement l’architecture : trois parties complétées par des témoignages d’acteurs et une conclusion.
La première partie Quels projets de gauche pour l’École comprend trois contributions. Bruno Poucet s’interroge sur la signification du slogan « À écoles publiques, fonds publics, à écoles privées fonds privés » apparu dans les années cinquante. Après en avoir établi la généalogie qu’il fait remonter à la fin des années quarante quand se pose la question d’apporter ou non des fonds à l’enseignement privé, il montre que ce slogan devient rapidement l’élément incontournable d’une véritable liturgie et un point de ralliement. Marqueur idéologique, il est repris par les forces de gauche pour les élections de janvier 1956 amenant une majorité de gauche à l’Assemblée nationale qui ne parviendra pas à revenir sur la loi Barangé. Dès lors, l’échec des perspectives qu’il dessinait, puis le vote de la loi Debré le 31 décembre 1959 en font un lieu de mémoire réactivé lors des grandes manifestations laïques.
Sébastien Repaire s’intéresse à une famille spécifique, celle de l’écologie politique qu’il considère comme appartenant aux forces de gauche, point de vue discutable. Après avoir analysé la pensée écologique sur la question de l’éducation des années soixante-dix au milieu des années 1990, l’auteur montre que tout en proposant une réforme radicale de l’école, les écologistes manifestent un intérêt limité pour l’Éducation. Au total, leur discours a un impact très limité sur les politiques publiques.
Ismaïl Ferhat porte son attention sur ce qu’il définit comme un « angle mort » de l’étude des partis : la production des programmes politiques sur l’École. Prenant l’exemple du Parti socialiste dans les années 1971-2010, il retrace dans la première partie de sa contribution la structuration progressive du secteur éducation au PS. Il en précise ensuite les caractéristiques sociologiques : une majorité d’hommes alors que les femmes sont si nombreuses dans ce secteur, beaucoup de personnes non titulaires d’un mandat électif, des dirigeants souvent issus du monde éducatif. En conclusion, l’Auteur montre, et c’est un paradoxe, que si la priorité de l’éducation est constamment rappelée dans le discours socialiste, la fonction programmatique de son secteur éducation est fort limitée quand le PS est au pouvoir. À cette fonction programmatique se substitue un discours expert et réformateur, volontiers critique des personnels éducatifs et de leur supposé archaïsme.
La seconde partie, Des politiques éducatives de gauche, s’intéresse à la manière dont les gauches gèrent les questions d’éducation quand elles sont au pouvoir. Isabelle Clavel examine le travail de la Commission de l’éducation nationale où les députés de gauche étaient majoritaires sous la IVe République. Elle constate que cette Commission n’a pas initié de grandes réformes mais qu’elle ne s’est occupée que des questions budgétaires, limitant ainsi son action à un accompagnement des mutations profondes de l’école et de la société.
Partant du constat que les politiques éducatives municipales restent un territoire à défricher, Julien Cahon entreprend de saisir les liens entre le Parti socialiste et l’école au prisme de la question municipale entre 1971 et 1979. À l’aide d’exemples précis, il montre que le socialisme municipal a contribué à dynamiser la réflexion du parti sur les politiques éducatives. Il en profite pour souligner l’action novatrice de quelques élus.
À la date du 1er juillet 1986, les conseils régionaux gèrent les lycées, les lycées professionnels obtenant aussi une pleine compétence sur l’apprentissage. Comment entre 1986 et 1993 l’exécutif de la région du Nord-Pas-de-Calais aux mains de la gauche a-t-il fait face à cette situation et quelles évolutions a-t-il mis en œuvre avant la loi quinquennale de 1993 augmentant encore ses prérogatives ? Pour Stéphane Lembré, si la région a entrepris de rattraper son retard en matière scolaire, il n’en reste pas moins que la répartition des flux d’élèves entre filières générales et filières professionnelles reste déséquilibrée par rapport à la moyenne nationale. Les différences de scolarisation entre les groupes sociaux n’ont pas disparu. Sur d’autres plans, la région a étoffé ses services et construit des outils de connaissance de la situation régionale et élaboré des perspectives. Elle a mené pendant cette période une politique de concertation avec les représentants de l’administration de l’État en charge de l’éducation de l’emploi et de l’économie. Elle a aussi noué des liens avec les organisations patronales et syndicales avec les municipalités. Sa politique associant tous les partenaires unanimes sur les enjeux économiques s’est indiscutablement inscrite dans une dynamique modernisatrice.
Les trois contributions composant la troisième partie, L’École sujet de controverse à gauche ?, portent sur les polémiques et les débats ayant déchiré les gauches en matière d’éducation.
Jean-François Condette revient sur la politique scolaire de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale du mois de juin 1936 au mois de septembre 1939. Après avoir rappelé les revendications des différentes forces de gauche (Parti radical-socialiste, SFIO, PCF) dans les années 1930, il présente le plan de réforme générale des enseignements du 1er et du 2d degré défendu par Jean Zay : orientation en classe de 6e, harmonisation des programmes entre les différentes filières, méthodes actives. Force est de constater que le front de gauche n’a pas existé au niveau de l’École. La réforme souhaitée par Jean Zay, vilipendée par la droite et l’extrême droite, n’a pas été soutenue par ceux qui avaient vocation à la défendre. De plus, dès lors que la réforme proposée par Jean Zay se proposait de bouger les lignes entre la filière primaire et la filière secondaire, on a vu resurgir les querelles corporatistes au sein du monde enseignant.
Jérôme Krop s’intéresse aux réactions des partis de gauche face à la loi Haby resté dans la mémoire collective comme celle du collège unique. Il analyse leurs positions pendant l’élaboration de la loi puis leurs attitudes pendant sa mise en œuvre. Cela lui permet de mettre en évidence comment la gauche du programme commun a été prise à contre-pied par une réforme présentée comme une réforme pédagogique. Il insiste en particulier sur l’inca¬pacité des partis de gauche à s’emparer de la question des actions de soutien prévues par l’article 7 de la loi non pour en contester les intentions mais pour en dénoncer sa mise en œuvre. Les Gauches ont éludé la question de ce qui devait être une organisation pédagogique du collège permettant de réduire les inégalités. La question des inégalités reste toujours posée.
Les critiques portées par le PCF contre les théories pédagogiques de Célestin Freinet lui-même membre du Parti donnent matière à une contribution de Pierre Kahn et André D. Robert. Après avoir présenté les principaux éléments de l’offensive menée contre Freinet en particulier par Georges Cogniot et Georges Snyders, ils en pointent le paradoxe. En effet, l’attaque est menée contre un communiste adversaire déclaré de l’école capitaliste et partisan d’une éducation prolétarienne. Cette attitude fait naître une question : comment ceux qui condamnent Freinet peuvent-ils défendre les formes canoniques de l’enseignement secondaire français transmis par une école bourgeoise ? Pour nos deux auteurs, cette offensive contre Freinet est révélatrice des contradictions existant au sein du PCF sur la question du projet éducatif. D’un côté, il y a Freinet qui concentre son projet émancipateur sur l’école primaire, une école qui vit sur des traditions et une organisation pédagogique ne convenant pas aux élèves la fréquentant. Cela le conduit à prendre position en faveur des classes de transition. De l’autre le PCF qui se situe dans la perspective d’une démocratisation de l’enseignement secondaire par la multiplication des bourses d’études mais une démocratisation qui n’en changerait ni la structure pédagogique ni les finalités. Ce démo-élitisme fait du PCF le défenseur d’une tradition classique d’un enseignement secondaire qui ne serait plus réservé aux seuls enfants de la bourgeoisie.
Une quatrième et dernière partie réunit quatre textes fournis par des témoins au riche parcours syndical et politique ayant participé au colloque. Robert Chapuis, ancien responsable du secteur éducation du PSU, apporte son témoignage sur le PSU et l’éducation. Michel Duffour, sénateur, revient sur l’action de la Commission de l’enseignement du PCF dont il fut membre puis responsable. Jacques Guyard, syndicaliste, député-maire socialiste, évoque l’ambiguïté de la gauche lors du débat sur la réforme Haby en le focalisant sur la nature des professeurs du collège unique. Enfin Jean-Louis Piednoir, universitaire, délégué national du Parti socialiste à l’éducation, retrace l’action du Parti socialiste dans le débat sur l’éducation dans les années 1974-1981.
Dans une riche conclusion, Antoine Prost commence par rappeler que si les partis et les syndicats constituent le cœur de la gauche éducative, d’autres organisations et la presse de gauche mériteraient d’être interrogées sur leur rôle en matière d’éducation. Il regrette aussi que l’échelon régional n’ait suscité qu’une communication. Enfin, partant du constat d’une division profonde à l’intérieur de la gauche opposant deux conceptions de la démocratisation – le secondaire pour tous dont on voit que cela ne fonctionne pas, un autre enseignement à définir –, il en appelle à « réinventer une fabrique de consensus ». Mais non sans un certain pessimisme, il constate que « la discorde des gauches interdit à la gauche d’avoir un vrai projet pour l’Éducation : cela lui interdit dans l’immédiat d’agir durablement sur les politiques publiques qui concernent l’École et, en cas de crise, l’obligerait à laisser à d’autres le soin d’une reconstruction ».
Au total, cet ouvrage apporte un éclairage intéressant sur une question encore mal connue : l’interaction entre les gauches et l’Éducation depuis la IIIe République. Il faut en souhaiter la lecture par les enseignants et surtout les futurs enseignants

Philippe MARCHAND
IRHiS (Institut de recherches historiques du Septentrion
Université de Lille