Caroline Hache propose, sur fond d’une recherche doctorale, un texte relativement court (99 pages de texte principal et 25 d’annexes) qui se lit aisément et rapidement, mais qui n’en est pas moins intéressant et percutant. L’auteure pose un regard original sur l’éducation prioritaire en s’intéressant à la grande réussite scolaire lorsque la majorité des travaux portant sur le sujet l’abordent en prenant pour point de départ la difficulté, l’échec scolaire ou le caractère défavorisé des populations. Ici, le point de vue est tout autre, il part du postulat que dans les zones d’éducation prioritaire, il y a tout autant d’élèves potentiellement en grande réussite scolaire qu’ailleurs.
Dès les premières lignes, on entre dans le vif du sujet. L’auteure adopte un style littéraire sans détours ni fioritures, rappelant par certains aspects le style scientifique, conférant ainsi une grande clarté à son propos : les thèses défendues par Caroline Hache s’identifient sans ambiguïté aucune. L’ouvrage est structuré en quatre chapitres (voir ci-après) entourés d’une introduction en ouverture et de perspectives et préconisations pour la formation en guise de conclusion.
L’introduction dépasse la seule fonction de présentation structurelle de l’ouvrage, elle en livre également les principales clés de compréhension en s’attachant à clarifier la problématique principale interrogeant judicieusement les deux concepts clés que sont la réussite scolaire (passe-t-elle nécessairement par l’accès à des études supérieures ?) et l’élève en grande réussite scolaire sans pour autant se résoudre à les circonscrire dans un cadre définitionnel trop strict. En cohérence avec les enjeux de l’étude, le parti pris ici consiste à d’abord donner la parole aux professionnels de terrain, c’est-à-dire aux enseignants, pour recueillir leurs points de vue, leurs définitions de l’élève en grande réussite scolaire. La présentation, succincte mais suffisante, des orientations méthodologiques retenues pour cette recherche, associant l’approche quantitative par questionnaire à la démarche qualitative par entretien, conclut l’introduction.
Le chapitre I (pp. 29-44) invite le lecteur à faire un pas de côté. Non sans trop s’éloigner du cœur du sujet, il s’attarde sur une nécessaire contextualisation de l’objet à l’aune des évolutions qu’ont connues les politiques éducatives, entre continuités et ruptures, en matière d’éducation prioritaire depuis la création des ZEP en 1981. Cet ancrage historico-politique est renforcé par une revue de littérature scientifique visant à mieux comprendre les problématiques propres à l’éducation prioritaire. Sont ainsi appréhendés les déterminants sociaux spécifiques à la ZEP, les caractéristiques scolaires spécifiques à la ZEP et enfin la place de l’excellence scolaire dans les ZEP. En dépit d’une certaine originalité de l’objet principal de l’ouvrage, ce premier chapitre revient largement sur des thématiques récurrentes des études en sociologie de l’éducation (qui constituent la majorité des références) s’intéressant à l’éducation prioritaire : l’hétérogénéité des élèves, la difficulté scolaire, le rapport au savoir, l’échec scolaire, les habitus et la question de l’héritage social ou encore l’absentéisme.
Avec le chapitre II (pp. 45-70), Caroline Hache nous entraîne dans une plongée au cœur de son étude ; elle y rapporte les principales données quantitatives permettant de saisir une première délimitation du profil de l’élève en grande réussite scolaire du point de vue des enseignants. Deux faits saillants sont à retenir de la lecture de cette section. D’abord, les critères et indicateurs d’appréciation de la grande réussite scolaire ne font pas tous consensus chez les professionnels. S’il y a un fort accord pour considérer que les résultats aux évaluations de la classe sont le premier critère à prendre en compte et qu’à l’autre extrême les évaluations institutionnelles ou les dires des enseignants des années précédentes sont les moins significatifs, une diversité nettement plus marquée dans les indicateurs intermédiaires est à relever. Le deuxième constat tient à la différence importante entre les critères et indicateurs retenus par les enseignants déclarant la présence d’élèves en grande réussite scolaire dans leurs classes en comparaison de ceux déclarant ne pas en avoir. Dans une perspective plus qualitative, le chapitre II se poursuit par l’examen des modalités quotidien¬nes de prise en charge par les enseignants des élèves en grande réussite scolaire. Celles-ci prennent deux formes. D’une part, les mesures dites d’internalisation de la gestion de ces élèves par lesquelles l’enseignant va chercher à adapter la nature du travail de l’élè¬ve, selon des formes très variées allant de simples exercices supplémentaires à des activités décrochées spécifiques. D’autre part des mesures dites d’externalisation visant à proposer à l’élè¬ve des activités alternatives en dehors de sa classe habituelle. Loin de constituer une solution de facilité, cela implique une anticipation importante par les enseignants étant ame¬nés à collaborer avec d’autres professionnels.
Dans le chapitre III (pp. 71-86), l’accent est mis sur le milieu complexe et composite au sein duquel évoluent les élèves en grande réussite scolaire, se situant à l’interface du quartier, de la famille, des pairs et de l’école pour ne citer que les principales sphères d’influence. Sur la forme, le propos s’apparente à une discussion, mettant en tension les résultats de l’étude de Caroline Hache avec les apports de la littérature scientifique, proposant ainsi une rupture bienvenue après le chapitre précédent particulièrement dense du point de vue des données quantitatives. On pourra notamment retenir l’image d’un corps professoral sensible à l’attention à porter à ces différents milieux et plus encore à la complexité de la gestion de leurs interactions. L’argument est de poids pour défendre la pertinence et la nécessité de s’inscrire dans une démarche de coéducation, seule approche permettant de se défaire de tout risque de généralisation excessive quant à l’influence de ces différents milieux. En d’autres termes, l’étude de Caroline Hache pointe l’extrême singularité des situations que sont celles des élèves en grande réussite scolaire, à l’instar d’un discours similaire en de nombreux points à celui se rapportant aux élèves en situation de décrochage scolaire ou de handicap. Dans ce contexte, le climat scolaire joue un rôle prépondérant dans le nécessaire équilibre d’une relation pédagogique fragile entre l’enseignant et l’élève en grande réussite scolaire.
Enfin, le dernier chapitre (chapitre IV, pp. 87-94) interroge l’éthique professionnel-le de l’enseignant confronté à la présence d’élèves en grande réussite scolaire dans ses clas-ses. Qualifiés « d’oubliés des enseignants », les élèves en grande réussite scolaire sont para-doxalement à l’origine d’un sentiment de mal-être des professionnels. Ainsi Caroline hache révèle dans ce dernier chapitre toutes les tensions qui animent les enseignants pris entre le désir de soutenir cette grande réussite et de la valoriser par l’implication des élèves dans des rôles spécifiques (le tutorat par exemple), et la nécessité de s’occuper de l’ensem¬ble des élèves de la classe les incitant à miser, parfois à contrecœur, sur la grande autonomie dont font preuve les élèves en grande réussite scolaire.
En conclusion, Caroline Hache nous livre un ouvrage captivant, au rythme soutenu, abordant la thématique de l’éducation prioritaire sous un angle original. L’enseignant et le formateur y trouveront sans doute leur compte en ce qu’il offre un résumé efficace d’un travail de recherche solide, dont la présentation des résultats allie avec équilibre des données empiriques (éléments statistiques et extraits d’entretiens) et des données issues de la littérature scientifique.
On pourra cependant parfois regretter que les propos ne soient pas plus illustrés de cas concrets à même de satisfaire pleinement l’appétit des plus curieux, et cela en dépit de la précaution de l’auteure d’avertir le lecteur de cette caractéristique de l’ouvrage. Nuançons quelque peu cette remarque en soulignant le caractère particulièrement convaincant de la dernière partie de l’ouvrage consacrée à la discussion de cinq idées reçues sur la grande réussite scolaire en éducation prioritaire et la proposition de sept pistes de réflexion pour aider les enseignants dans la gestion quotidienne de l’excellence en ZEP.
Éric FLAVIER
LISEC (EA2310)
Université de Strasbourg