Cet ouvrage s’inscrit dans la collection des guides pour l’enseignement de l’éditeur Retz dans laquelle avait été publié en 2006 un autre titre, déjà consacré à la lecture, Apprendre à lire à l’école, de R. Goigoux et S. Cèbe. La filiation entre les deux ouvrages est indéniable : on y retrouve la même volonté de fournir aux enseignant.es de CP des balises pour s’orienter dans un domaine trop souvent opacifié par les polémiques, politiques et scientifiques. L’enjeu de ce titre est donc de fournir des pistes didactiques pour les enseignant.es engagé.es dans l’enseignement de la lecture en CP.
Pour ce faire, J. Riou, maître de conférences en Sciences du langage à l’université de Grenoble Alpes (UGA), membre du laboratoire LIDILEM (Linguistique et didactique des langues étrangères et maternelles) et enseignant à l’INSPE de l’académie de Grenoble, s’appuie sur les résultats de recherches didactiques et tout particulièrement sur les résultats de la recherche Lire-Écrire (dir. Goigoux, 2016), qu’il connaît bien puisque c’est sur celle-ci qu’a porté son travail doctoral. Cet appui fonde l’un des intérêts majeurs de l’ouvrage : rendre accessibles, aussi bien par le style et la clarté de la présentation que par la sélection des résultats saillants, les principales conclusions de cette recherche. Mais J. Riou ne limite pas ses sources à cette recherche et en appelle aussi à des recherches anglo-saxonnes (ex : Price-Mohr & Price, 2020) pour justifier certaines propositions ou prises de distance avec les préconisations institutionnelles du moment. L’une des qualités de l’ouvrage est en effet de chercher en permanence à distinguer ce qui relève de représentations ou de discours non fondés scientifiquement des résultats d’études scientifiques. J. Riou s’efforce sans cesse de distinguer ce que l’on sait – ce qui a pu être prouvé – de ce que l’on ne sait pas. Ce souci de rigueur permet de mettre à distance certaines polémiques (sur les méthodes, sur l’entrée par le phonème ou le graphème, sur le choix du manuel, par exemple) sans taire les débats qui animent la communauté scientifique à partir du moment où ceux-ci reposent sur une logique de la preuve. Cet ouvrage constitue donc, pour les enseignant.es et futur.es enseignant.es, un outil précieux pour prendre connaissance de manière rapide et synthétique des résultats importants de la recherche sur l’apprentissage de la lecture au CP et pour trouver quelques conseils qui en découleraient.
Pour dispenser ses conseils, l’ouvrage s’organise en sept chapitres. Le premier chapitre « Éléments de contexte » rappelle combien la lecture est un phénomène complexe dont l’enseignement/apprentissage ne peut se restreindre à celui du code, sur lequel se focalisent pourtant bon nombre de controverses. J. Riou inscrit sa réflexion dans un modèle d’enseignement de la lecture où s’imbriquent quatre dimensions : le code, la compréhension de texte, la production d’écrits et l’acculturation. Si ce modèle fait désormais plutôt consensus, du moins au sein de la recherche en didactique, il reste à savoir quelle part accorder à chacune de ces composantes, quelle progression suivre et quelle articulation opérer entre ces composantes. Les six autres chapitres s’emploient à répondre au moins à deux de ces questions, l’articulation entre les composantes n’étant que peu abordée, si ce n’est de manière quantitative dans l‘avant-dernier chapitre (chapitre VI) consacré à la répartition du temps hebdomadaire à consacrer aux différentes composantes.
Le deuxième chapitre s’attèle à la planification des correspondances graphophonémiques (CGP) en envisageant la vitesse, l’ordre et l’entrée à préconiser pour cet enseignement. Ainsi, après avoir mis en avant la complémentarité des activités de synthèse et d’ana¬lyse, l’ouvrage conseille de débuter l’apprentissage par les CGP les plus fréquentes, en adoptant un « tempo » (Goigoux, 2016) relativement élevé dans cet enseignement, soit 14 ou 15 CGP dans les neuf premières semaines du CP. Signalant qu’aucune recherche n’a pu faire la démonstration d’une plus grande efficacité d’un départ par le graphème ou par le phonème dans l’enseignement des CGP, il voit cependant dans le départ par le phonème l’avantage de relier les activités du CP avec celles réalisées en maternelle sans pour autant en faire un principe. Le plus important se situant ailleurs, notamment dans la complémentarité d’activités de décodage et d’encodage.
Le troisième chapitre est consacré au choix des écrits pour enseigner la lecture. Il préconise, comme le font désormais les programmes, de distinguer au début de l’apprentis-sage les textes pour apprendre à comprendre des textes pour apprendre à déchiffrer (dont il situe le taux de déchiffrabilité – taux des CGP dans un texte connu des élèves – à 60 % en s’appuyant sur l’étude qu’il a menée avec Fontanieu (2016), taux calculable avec l’outil Anagraph dont J. Riou est l’un des concepteurs). Ces deux enseignements sont à mener de front (et non selon une conception où l’apprentissage de la compréhension viendrait après celui du décodage), en parallèle jusqu’à ce que textes pour apprendre à comprendre et textes pour s’entrainer à décoder puissent se rejoindre. Le français ayant la particularité de ne pas contenir que des graphèmes retranscrivant du son (les phonogrammes), J. Riou invite les enseignant.es à se saisir des lettres muettes pour initier un travail de la morphologie qui part de l’observation pour aller vers la compréhension du fonctionnement de notre lague.
Le quatrième chapitre traite de l’enseignement de la compréhension. Définie comme la capacité à se faire le film de l’histoire (Fuchs & Fuchs, 2007), ce modèle de situation est dynamique (Bianco, 2015) et J. Riou rappelle que la compréhension s’enseigne. Mettant en garde contre un enseignement qui donne actuellement une grande place à la fluence, J. Riou souligne que celle-ci se définit par l’association de la précision, de la vitesse et de la prosodie. Réduite à un exercice de précision et de rapidité, au détriment de la prosodie, celle-ci risquerait de faire oublier que lire n’est pas seulement décoder et que la compréhension repose sur d’autres compétences à développer : capacité à trier l’essentiel de l’accessoire, à faire des inférences, à lever les implicites et capacité à remettre en cause certaines des représentations construites au fur et à mesure de sa lecture pour en construire de nouvelles en progressant dans le texte. L’enseignement de la compréhension aurait sans doute mérité un plus long développement que celui proposé ici. Si J. Riou y signale l’importance de l’acculturation (fréquentation de la littérature de jeunesse, réflexion sur les rôles de la lecture, fréquentation des lieux de culture…), peu de pages lui sont consacrées. Dans ce chapitre, l’auteur met davantage en avant les manques en matière d’enseignement de la compréhension (notamment en analysant une séance type de lecture collective) qu’il ne fournit de pistes pour mener à bien cet enseignement.
Le chapitre V met en avant l’importance de l’écriture dans l’enseignement de la lecture. S’intéressant notamment aux tâches de la calligraphie, de la copie (différée ou non), à l’exercice de la dictée (sous ses différentes formes) et à la production d’écrit (autonome ou non), il révèle les avantages et les limites de certaines d’entre elles, ce qui sera certainement très utile aux enseignant.es.
Le chapitre VI tente de proposer une répartition des quatre composantes (travail du code, production d’écrits, compréhension de texte et acculturation). S’il peut sembler intéressant d’avancer un emploi du temps type et une répartition des différentes tâches en insistant sur celles qui ont une incidence plus forte sur la performance des élèves (écriture sous la dictée, production d’écrits autonomes, lexique, morphologie, lecture à haute voix) afin de les distinguer de celles qui ont une rentabilité réduite (ex : production d’écrits à partir d’étiquettes pré-imprimées), la répartition proposée trouve une de ses limites en ce qu’elle ne laisse aucune place à l’enseignement de l’oral sur les 10 heures que l’institution attribue à la discipline du français.
L’ouvrage s’achève sur un chapitre qui revient sur les méthodes d’enseignement de la lecture et de l’écriture en prenant ses distances par rapport aux discours préconisant telle ou telle méthode avec tel ou tel manuel. Parce que ces discours négligent l’usage qu’en font les enseignant.es, qui nécessairement les adaptent en fonction de leur propre conception de la lecture et de leur contexte d’enseignement, ils manquent les réalités des pratiques et avancent des conclusions que la recherche Lire-Écrire a infirmées (Goigoux, 2016).
Dans le format réduit qu’est celui de cet éditeur, l’ouvrage de J. Riou aborde des points essentiels de l’enseignement de la lecture (principes d’ensemble et focus sur certaines tâches ou exercices). Il fournit des pistes qui s’appuient sur les résultats de la recherche Lire-Écrire et qui répondront à de nombreuses questions que se pose inévitablement un.e enseignant.e en charge de cet enseignement. Il est donc un guide utile, clair et rigoureux, pour faire prendre conscience à tout.e enseignant.e de CP de la nécessité de mener de front quatre composantes dans l’enseignement de la lecture (travail du code, de la compréhension, écriture et acculturation). On regrettera cependant que ces quatre dimensions soient l’objet d’un traitement assez inégal. Alors qu’un chapitre entier est octroyé respectivement à l’enseignement des correspondances graphophonémiques (CGP) (chapitre II), au choix des écrits pour apprendre à lire (chapitre III), à l’enseignement de la compréhension (chapitre IV) et aux tâches d’écriture (chapitre V), l’acculturation ne fait l’objet que d’une sous-partie de deux pages dans le chapitre sur la compréhension qui n’aborde jamais l’in¬terprétation. Sachant le poids de la fréquentation et du rapport à l’écrit dans les inégalités scolaires, il manque sans doute à cet ouvrage un développement sur l’importance et les moyens de créer ou d’entretenir un lien entre l’enfant et la lecture pour que l’enseignement de celle-ci ne soit pas seulement appréhendé en termes de performance (savoir lire) mais aussi en termes de pratiques et de significations. Les différentes finalités de cette activité, le sens qu’un individu donne à la lecture et le rapport qu’il construit avec ses objets comptent pour une part non négligeable dans les pratiques du (futur) lecteur et donc dans sa formation.
Maité EUGÈNE
Théodile-CIREL
Université de Lille
Fuchs L. S.& Fuchs D. (2007) « The role of assessment in the Three-Tier approach to reading instruction » – in : D. Haager, J. Klingner and S. Vaughn (dir.) Evidence-based reading practices for response to intervention (29-42). Baltimore, MD : Paul Brookes Publishing.
Goigoux R. & Cèbe S. (2006) Apprendre à lire à l’école. Paris : Retz
Goigoux R. (dir.) (2016) Apprendre à lire et à écrire au cours préparatoire. Lyon : IFÉ.
Price-Mohr R. & Price C. (2020) « A Comparison of Children Aged 4-5 Years Learning to Read Through Instructional Texts Containing Either a High or a Low Proportion of Phonically Decodable Words » – Early Childhood Education Journal 48 (39-47).
https://doi.org/10.1007/s10643-019-00970-4.
Riou J. & Fontanieu V. (2016) « Influence de la planification de l’étude du code alphabétique sur les performances des élèves en décodage au cours préparatoire » – RFP 196 (49-66).
Riou J., Daubias P., Fesselier Y., Guiraud C. & Roussel G. (2016) Conception de la plateforme numérique Anagraph, un outil d’aide à la planification de l’enseignement de la lecture.
http://anagraph.ens-lyon.fr