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vendredi 16 novembre 2018

« (Se) Former à l’éthique : enjeux et perspectives »
Présentation
- Spirale 61 (2018)

Sommaire

La question de la formation à l’éthique est un sujet qui suscite un intérêt grandissant en France notamment dans les pratiques professionnelles liées au travail sur autrui : d’abord dans le secteur de la santé, mais aussi celui du travail social, et enfin de l’école. Plus encore que dans les autres activités humaines où la question de l’éthique est abordée en formation (futurs managers, journalistes ou encore ingénieurs) l’éthique tend aujourd’hui à s’inscrire dans ces secteurs d’activité comme une composante majeure des cursus de formation initiale et continue.
C’est dans le secteur de la santé que sont apparus les premiers dispositifs formels de formation à l’éthique professionnelle dans le sillage de l’émergence de la bioéthique, dans les années soixante-soixante-dix. Ce champ interdisciplinaire concerné par des questions de nature anthropologique, morale et sociale inédite, s’est créé en réponse aux scandales des expérimentations sur l’homme notamment durant la Seconde guerre mondiale, ainsi qu’aux nombreuses inquiétudes suscitées par les progrès technoscientifiques. Si les premières formations en éthique biomédicale diffusaient essentiellement un discours moral sur les pratiques fondées sur de grands principes : justice, autonomie, bienfaisance (Beauchamp & Childress, 2001 [1979]), elles se sont ensuite recentrées sur la clinique et plus spécifiquement sur la relation soignant-soigné (Mouvement de l’éthique clinique). Mais les situations contemporaines du soin (maladies chroniques, vieillissement, situations de handicap) et l’évolution du contexte social, économique et politique de la santé (raréfaction des ressources, droits du patient, etc.) ont remis en question le bien-fondé de ces approches. Le soin est devenu une pratique complexe qui se déploie dans un secteur de la santé en pleine mutation. Dans ce contexte, l’éthique est apparue davantage comme une compétence clinique à part entière qu’il convient de développer au même titre que les autres compétences professionnelles (Patenaude et al., 2001) pour se rendre capable d’interroger les finalités et le sens d’une action de soins à l’issue souvent incertaine, mais aussi développer des pratiques plus collectives, plus inclusives, et inscrites dans un cadre socioprofessionnel plus affirmé. Dans cette perspective, la formation à l’éthique en santé ne peut plus se limiter à l’enseignement de grandes thématiques de l’éthique biomédicale. Elle doit aussi favoriser une compréhension du contexte socioprofessionnel (Godin, Moulin & Vanpee, 2004), une pratique plus réflexive, dialogique et collaborative (Patenaude et al., 2001), ou encore former à la délibération éthique des acteurs en situation (Molewijk et al., 2008). De telles approches rejoignent un certain nombre de recommandations ou de rapports édités en France (Rapport Cordier de 2003, avis n° 84 du CCNE , recommandations de l’ANESM ) qui prônent une pédagogie plus amarrée aux contextes et aux pratiques cliniques.
On retrouve un mouvement similaire, de l’éthique comme transmission de grands principes à une forme d’apprentissage plus ancrée dans les pratiques, dans le travail social. En France, l’éthique du travail social fait l’objet de travaux de recherche et d’enseignements, mais aussi de pratiques de développement professionnel en formation continue depuis les années quatre-vingt-dix. La publication des avis commentés du Comité national des avis déontologiques (Bonjour & Crovazier, 2014 [2003]) constitue un indicateur fort de la prise en compte de la question déontologique à l’échelle des institutions. À l’instar du champ de la santé, celui du travail social s’est profondément complexifié, marqué par une exigence de rationalisation des pratiques (Melchior, 2008) et un décalage entre les représentations que les travailleurs sociaux se font de leurs missions et ce qu’on leur demande de faire. Dans ce contexte, les conclusions du rapport au Ministre de l’emploi et de la solidarité « Éthique des pratiques sociales et déontologie des travailleurs sociaux » (CSTS 2001) préconisaient de dépasser l’approche déontologique et de compléter l’objectif de transmission de valeurs « préexistantes » et la construction d’un sens partagé dont la fonction se réduisait parfois à légitimer les pratiques professionnelles par le développement d’une meilleure compréhension des contextes de l’action et des conflits qui peuvent émerger (Bouquet, 2017 [2003]). Une autre forme de dépassement, préconise une clinique du sujet éclairée par la psychanalyse, et dans une formation éthique qui soit avant tout un travail sur soi (Rouzel, 2014 [1997]). Dans les deux modèles de dépassement, l’éthique est perçue comme une ressource d’action visant le développement d’une pratique plus critique et plus réflexive. Exercer sa responsabilité de travailleur social ne consiste plus à appliquer des standards de pratiques mais à faire évoluer sa pratique en fonction des situations spécifiques.
Le domaine de l’éducation et de l’enseignement scolaire a également connu des transformations importantes depuis les années soixante : crise de l’autorité, démocratisation de l’école, allongement des études, impact des crises sociales, économiques, etc. Ceci a généré un besoin de réflexion éthique sur les pratiques éducatives et s’est traduit par une recrudescence de travaux de recherche sur l’éthique enseignante à travers des numéros spéciaux de revues académiques (Prairat, 2012 ; Durand & Fabre, 2014) et des ouvrages (Moreau, 2012 ; Prairat, 2013 ; Dupeyron & Miqueu, 2013 ; Beauvais, Haudiquet & Miceli, 2014). Ces productions, qui relèvent surtout d’un discours axiologique sur les pratiques, sont à mettre en perspective avec les travaux québécois engagés depuis les années 1990 dans la recherche et la formation éthique des enseignants, et qui font de l’éthique une compétence à développer tout au long de la vie professionnelle dans une visée de résolution de problèmes pratico-moraux (Desaulniers et al., 2005 [1997] ; Gohier & Jeffrey, 2005, Jutras & Gohier, 2009). Ils en situent l’émergence dans le besoin qui se fait jour de « savoir-agir » dans des situations complexes pour lesquelles il n’y a pas de réponses évidentes et prédéterminées. Développer une compétence éthique favoriserait alors une action autonome et responsable dépassant les idéaux transcendants qui ont teinté les finalités de l’éducation depuis des siècles, au profit d’une capacité à discerner, choisir, décider et agir avec justesse en situation.
Pour autant, cette compétence éthique qui fait désormais partie du référentiel de la professionnalité enseignante depuis 2013, n’est pas à envisager comme support à une action éducative strictement individuelle. En effet, la transformation de la professionnalité enseignante que l’Institution scolaire appelle de ses vœux dans le Bulletin officiel du 25 juillet 2013, repose sur le développement du travail en équipe, rendant possible la collaboration des différents acteurs de la communauté éducative. Il devient donc de plus en plus nécessaire d’apprendre à délibérer collectivement pour résoudre un certain nombre de problèmes d’ordre éthique que soulève la mise en œuvre d’un travail concerté et conjoint. En particulier la communauté éducative est sommée de réfléchir sur le principe de bienveillance qui oriente, dans les textes officiels, l’activité pédagogique et la relation avec les élèves. Dans cette dynamique de reconfiguration des pratiques enseignantes, la relation prend un sens nouveau : elle n’est plus directement orientée par le principe de l’efficacité de l’enseignement-apprentissage. Elle doit donner place à une éthique relationnelle qui prend en compte l’élève dans sa dimension singulière et en particulier en tant qu’être sensible, doué d’émotions, pour contribuer à sa réussite scolaire (Marsollier, 2016). Ces préoccupations nouvelles faisant suite à la mise en évidence d’un climat scolaire particulièrement dégradé en France s’inscrivent dans un contexte de prise en charge globale des problématiques d’exclusion et d’échec qui invite à repenser la dimension éthique de la professionnalité enseignante en partenariat avec les autres acteurs de la communauté éducative. Ce questionnement, en même temps qu’il invite à repenser plus globalement la visée même de l’école interroge la place de l’éthique professionnelle, reconnue défaillante dans la formation des enseignants (Lorcerie, 2014).
Sur le plan théorique, toutes ces évolutions du statut et de la place de l’éthique rendent compte d’un tournant pragmatique (Maesschalck, 2010). Dans cette perspective, l’éthique ne vise plus uniquement à produire un discours moral sur les pratiques. Elle devient une ressource d’action, une compétence, que les professionnels doivent développer et intégrer à leurs pratiques pour redéfinir les finalités de leur agir, mais aussi pour apprendre à construire les modalités d’une intervention sur autrui qui, en plus d’être évolutive, revêt un caractère souvent incertain. En quoi ce changement de paradigme influence-t-il la formation ? Il ne s’agit plus « uniquement » de transmettre des valeurs issues des grandes traditions philosophiques pour viser la construction d’un ethos commun. Il s’agit aussi de se rendre attentif aux conditions par lesquelles les acteurs vont pouvoir initier collective-ment des pratiques éducatives, de soins et d’accompagnement adéquates. L’éthique se définit de ce point de vue dans une finalité de capacitation des acteurs (Bégin, 2015).
Sur le plan épistémologique, l’éthique s’inscrit dès lors dans le paradigme de l’apprentissage (Aiguier, 2017). Développer une pratique éthique s’apprend en situation, à travers notamment des dispositifs de résolution de problèmes pratico-moraux (Bégin, 2003) et des démarches réflexives. Mais cet apprentissage n’incombe pas qu’aux seuls acteurs souvent sommés d’adopter une attitude responsable. Il incombe aussi aux organisations, appelées à créer les dispositifs et les environnements favorables à cet apprentissage. Ceci implique donc un partage de la responsabilité entre les acteurs, les organisations et les institutions. Ainsi déclinée, on retrouve en toile de fond la définition de l’éthique esquissée par Paul Ricœur (1991) : « La visée de la vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes ».

Ce numéro de la revue Spirale rassemble des articles traitant de l’éthique telle qu’elle s’énonce dans les lieux où se dessine un discours sur les normes professionnelles (en lien avec le mandat social confié aux acteurs), mais aussi telle qu’elle se manifeste dans l’activité effective des sujets, et enfin telle qu’elle se donne comme une praxis à construire par les partenaires de la relation professionnelle (éducateur/éduqué, soignant/soigné). Enfin certains développent un point de vue qui tente de prendre de la hauteur en interrogeant la cohérence des principes ou des méthodes.

Nous avons rassemblé dans une première section quatre articles présentant des recherches où sont analysés des dispositifs de formations s’inscrivant essentiellement dans les perspectives des éthiques du sujet, centrés autrement dit sur l’agent moral, la réflexivité et l’expérience des acteurs.
Mireille Kerlan propose une réflexion sur l’intégration de l’éthique professionnelle, inscrite dans les programmes de formation des orthophonistes depuis leur récente masterisation. Dans une perspective philosophique, elle souligne les limites d’un modèle rationnel de l’éthique et définit celle-ci comme une pratique participant de la construction pour le sujet d’un savoir expérientiel. L’auteur, également praticienne et formatrice, propose le développement d’un regard critique sur le soin, les normes et valeurs et la relation thérapeutique à chaque étape de la prise en charge d’un patient et conçoit l’anamnèse, moment clé du travail d’orthophoniste, comme une enquête singulière deweyienne, une coconstruction entre soignant et soigné.
Céline Chauvigné et Didier Moreau présentent une recherche menée au-près de futurs professionnels des métiers de l’éducation et de la formation au moment critique de leur entrée dans le métier, dans un contexte institutionnel délicat (universitarisation de la formation). Leur recherche montre que les futurs enseignant et Conseillers principaux d’éducation trouvent dans les engagements sociaux et citoyens qu’ils ont pu vivre à titre personnel, une formation de soi susceptible de constituer une ressource pour construire leur éthique professionnelle. Cette éducation de soi, vu comme un perfectionnement moral, participe alors au développement d’une citoyenneté sociale émancipatoire pour les élèves.
Véronique Cabaret et Martine Beauvais Azarro présentent un dispositif de recherche-accompagnement consacré à l’émergence et à l’affirmation de la pensée critique d’étudiants inscrits dans six cursus différents de formation en santé. À partir d’une analyse réflexive de leur posture singulière de chercheur-accompagnateur des formateurs en santé engagés dans la démarche, elles montrent notamment en quoi la formation par la recherche constitue un des leviers possibles du développement de la pensée critique. Elles montrent aussi en quoi la construction collective de cette dernière favorise le développement d’une éthique collective.
Ilaria Pirone et Jean-Marie Weber, au travers de la présentation d’un dis-positif d’analyse de pratiques d’inspiration psychanalytique, préparant à la certification des conseillers pédagogiques au Luxembourg, envisagent la formation à l’éthique professionnelle comme la mise en place d’un accompagnement soutenant le travail d’élaboration subjective propice au questionnement, caractéristique majeure de la posture éthique toujours en ajustement. Former consiste ainsi à favoriser chez les professionnels la capacité à relever le défi éthique du souci de l’autre qui suppose de réfléchir à l’articulation toujours problématique entre les normes et les règles, la présence respectueuse et attentive à l’autre et les enjeux inconscients.

Les cinq articles qui composent la section suivante présentent des dispositifs de formation ancrée dans une perspective pragmatique affirmée de façon plus explicite.
Judith Vari analyse les effets d’un jeu sérieux basé sur des mises en situation de décision dans un univers fictionnel, conçu pour la formation éthique des travailleurs sociaux. Elle souligne la possibilité pour les étudiants, grâce à ce jeu, d’être confrontés à des situations problématiques similaires à celles vécues dans le métier, dès le début de la formation, dans l’univers protégé du jeu où les erreurs sont sans conséquences. La recherche menée auprès de groupes d’étudiants de différents horizons met en évidence les effets formateurs de la rétroaction immédiate qu’offre le jeu. L’auteur souligne néanmoins la nécessité de la médiation enseignante, lors des debriefings qui suivent l’expérimentation, pour lui donner sens et assurer la réalisation des objectifs de la formation.
Marie-Claude Boudreau et Martin Montour analysent dans le contexte québecois des dispositifs de formation à l’éthique dans la police. Le débriefing technique, qui vise à corriger dans une approche comportementaliste, les comportements jugés non conformes aux normes, apparaît insuffisant aux auteurs pour développer les compétences éthiques des acteurs. Il y manque une réflexion sur les fondements des normes et sur les processus de décision. En amenant les policiers à partir de situations vécues en vue de faire émerger leurs motivations d’agir, avant de les confronter aux normes et à leur culture professionnelle, le retour d’expérience permet dans une perspective réflexive et pragmatique qui donne droit à l’erreur, un apprentissage individuel mais aussi collectif et organisationnel de l’éthique.
France Jutras, Christiane Gohier, Luc Desautels et Philippe Chaubet présentent les résultats d’une recherche collaborative mobilisant deux groupes d’enseignants du collégial des régions de Montréal et de Québec et dont l’objectif est le développement de la professionnalité et tout particulièrement, dans le contexte qui nous occupe, de la compétence éthique. Reconnue comme une des compétences professionnelles dans le référentiel qui cadre l’activité enseignante, elle suppose la capacité à répondre de ses décisions lorsque l’on est aux prises avec les dilemmes moraux dont la fréquence, la diversité des registres et la complexité caractérisent l’expérience des acteurs de l’école. Les auteurs montrent, dans leur article, comment la participation à une démarche de délibération axée sur la réflexion éthique contribue au développement de cette compétence et au renforcement d’une identité professionnelle partagée.
Anne-Françoise Dequiré et Maya-Hélène Balhawan Fussel présentent quant à elles un dispositif original de formation à la relation dans le soin qui a été expérimenté dans le cadre d’un projet européen Interreg. Ce projet intitulé « Dignity in Care » vise à soutenir l’apprentissage de la relation de soin par l’immersion d’étudiants (dans une posture de soignants), de formateurs et de professionnels de santé (qui jouent le rôle des patients) au sein du laboratoire sTimul. Ce dernier est un environnement de soins (type EPHAD) reconstitué qui permet d’éprouver la relation dans le soin à partir d’un jeu de rôles entrecoupé de temps de débriefing. L’analyse de cette expérience par les auteures a montré l’apport réel d’une formation expérientielle et réflexive qui permet de mieux appréhender le contexte du soin, de comprendre les ressorts de la relation de soin, mais aussi d’apprendre à construire une pratique de soin plus collective.
Jérôme Zimowski présente enfin une recherche-intervention consacrée à la simulation en santé. Il rappelle tout d’abord le contexte actuel de la formation en santé et l’injonction des tutelles d’enseigner les gestes techniques d’abord sur des mannequins plutôt que sur des patients. Cet impératif de sécurité des patients justifie de ce fait le recours aujourd’hui de plus en plus systématique à la simulation. Mais si cette dernière est présentée de ce fait comme une méthode respectant une certaine éthique de la pédagogie (« jamais sur le patient la première fois »), l’auteur propose d’élargir l’usage des pratiques de simulation en santé à l’apprentissage de l’éthique du soin. Le débriefing réalisé à l’issue d’une séance de simulation en santé paraît en effet propice au développement d’un agir éthique de l’apprenant, et ce compte tenu du processus réflexif et délibératif mis en œuvre.

La troisième et dernière section du numéro de Spirale propose trois articles dont l’approche se distingue des précédentes par leur souci d’interroger de façon critique certains allants de soi épistémologiques, méthodologiques et conceptuels qui caractérisent les perspectives les plus récentes en matière de compétence éthique et de formation à l’éthique professionnelle. Les recherches dont ils se font l’écho se mettent ainsi à distance des dispositifs pour en clarifier les fondements et en interroger la mise en œuvre.
Audrey Gonin et Benoît Tellier revisitent un cas classique au Québec de dilemme éthique dans le champ de l’intervention sociale. À travers le cas de Claude, ils analysent les limites des démarches délibératives visant la recherche d’un consensus au travers l’échange d’arguments. Leur visée universaliste et abstraite ne prend pas assez en compte le fait les enjeux éthiques comportent nécessairement une dimension sociopolitique liés au contexte relationnel, social et historique particulier dans lequel s’inscrivent les situations. Les auteurs préconisent une démarche située permettant de créer un espace politique où s’actualisent les positions et les rapports sociaux et transformer nos manières d’appréhender le monde et d’y agir.
Irène Pereira s’interroge sur les conditions de la mise en œuvre du référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation de 2013 et en particulier, de l’articulation en formation initiale entre la capacité à transférer les connaissances issues de la recherche dans la pratique du métier et le développement de la réflexion éthique. Elle met en évidence la nécessité de repenser le dialogue entre l’épistémologie et l’éthique, la raison instrumentale de la science et la raison pratique qui réfléchit sur les fins de l’activité, pour rendre possible une formation des futurs enseignants évitant l’aliénation toujours possible à des contenus de connaissance appliqués sans le recul suffisant. Ce point de vue surplombant revient sur la construction du référentiel de compétences en suggérant qu’il convient d’en penser la cohérence à partir des préoccupations éthiques de la professionnalité.
Grégory Aiguier interroge dans un article conclusif les fondements théoriques et pédagogiques de la notion de compétence éthique ainsi que la conception de l’éthique qu’elle préfigure. Partant d’une relecture du contexte d’émergence de cette notion dans les métiers de l’intervention sur autrui, il montre en quoi les formations développées dans cette perspective semblent soutenir la visée d’une adaptation des professionnels à leur contexte organisationnel et socioprofessionnel, plus qu’une une remise en cause des logiques d’action et d’organisation à l’œuvre. Il propose dès lors de revisiter la formation à l’éthique dans une perspective plus critique et plus émancipatrice, en mobilisant pour ce faire la philosophie pragmatiste, et notamment l’œuvre de John Dewey. Pour ce dernier, l’éthique vise en effet, à travers une démarche d’enquête sociale, à soutenir l’engagement des acteurs à résoudre les problèmes qu’ils rencontrent en situation et donc à développer leur pouvoir d’agir.

Croisant des points de vue disciplinaires divers, par exemple, philosophiques, psychologiques, psychanalytiques, anthropologiques ou encore sociologiques, les articles attestent et témoignent dans leur contenu de la complexité du problème de la formation à l’éthique dans le cadre du développement de la professionnalité dans les domaines de la santé, du social et de l’école. Y apparaissent des tensions entre processus expérientiels et procédures standardisées de formation, entre apprentissages individuels et dispositifs collaboratifs, entre apprentissage actantiel et organisationnel, entre recours à des référentiels abstraits prédéterminant les valeurs qui devraient sous-tendre la formation en éthique et revendication d’une approche plus pragmatique, assumant l’incertitude de l’agir et s’appuyant sur le débat et la participation des différentes parties prenantes dans l’élaboration des normes et des modalités d’action à construire en fonction de la singularité des situations et des contextes. Les articles, chacun à leur façon, selon les cadres théoriques d’analyse retenus, explorent les propositions de résolution dialogique (Morin, 1986) élaborées par les différents auteurs et donnent une place dans leurs analyses à la façon dont s’opère (ou non) un tournant pragmatique dans la formation à l’éthique dans les contextes professionnels qu’ils étudient.

Christelle DIDIER
Université Lille SHS
EA CIREL-Proféor
christelle.didier@univ-lille3.fr
Valérie MELIN
Université Lille SHS
EA CIREL-Proféor
valerie.melin@univ-lille3.fr
Grégory AIGUIER
Fédération universitaire et polytechnique de Lille
EA 7446 Ethics/Centre d’Éthique Médicale
gregory.aiguier@univ-catholille.fr


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Spirale - Revue de Recherches en Éducation – 2018 N° 61 (3-11)