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lundi 15 décembre 2008

Livres reçus

Un cœur d’enfant ? Enquête généalogique sur l’expérience de l’enfant

Éric Dubreucq
Paris : L’Harmattan (2017, 2 tomes)

Un cœur d’enfant ? C’est sous ce titre qu’Éric Dubreucq, propose en deux tomes, « S’émanciper et s’épanouir » et « socialiser et libérer », ce qu’il nomme une « enquête généalogique sur l’expérience de l’enfant ». Comme ce sous-titre l’indique, partiellement, il s’agit d’une démarche d’inspiration foucaldienne, qui à travers l’étude souvent fouillée des textes, tente de repérer les pratiques et les discours éducatifs qui visent à faire advenir en l’enfant un sujet. Les textes étudiés, de langue française, concernent la période 1826-1952 ; 1826 correspondant à la publication de L’éducation de l’homme par Frœbel et le tout début des années cinquante aux enseignements de Roger Cousinet et Jean Piaget à la Sorbonne.
Il s’agit d’étudier les textes, les archives, qui formulent, accompagnent la production de « sa subjectivité ou de son intériorité » et qui paraissent une problématisation nouvelle de la fonction éducative.
L’ouvrage commence d’ailleurs par l’analyse d’un texte célèbre, celui d’Hannah Arendt, La crise de l’éducation, ce qui ne manque pas de surprendre puisque, même dans sa version anglaise, l’article est légèrement postérieur aux dates de fin de l’étude annoncée. Mais la relecture de ce texte, au-delà du débat qu’il a ouvert autour de la « querelle de l’école » et autour de l’interprétation et de la prospérité de l’œuvre de John Dewey, est l’occasion pour É. Dubreucq de pointer une absence au cœur de la controverse. L’impensé de cette controverse serait l’enfant. « Il consiste, plus naïvement, à se demander comment il peut se faire que, dans un monde où n’ont certes pas disparus les guerres et les autres phénomènes impressionnants, une expérience jadis aussi mineure que celle de l’enfant a pu acquérir une telle importance » (pp. 36-37).
L’auteur pose que cette expérience fait le fond de la querelle de l’école et constitue « le socle problématique de la production moderne du sujet humain ». L’impossibilité de résoudre le problème tenant au fait qu’aucun sujet humain ne peut être en position d’extériorité, l’auteur justifie donc son étude par la nécessité de « clarifier la constitution et la naissance » (p. 38) du problème. L’étude s’attachera donc à déterminer les champs pratico-discursifs où est produite l’intériorité enfantine, ce cœur de l’enfant. Trois champs sont repérés dans le premier tome :
 celui qui présupposant cette intériorité cherche à cultiver et développer son germe et tente de le préserver des modèles pédagogiques passés pour garantir son plein épanouissement ;
 celui qui s’attache à l’émanciper par la socialisation ;
 celui qui vise sa libération en s’appuyant sur sa nature et ses besoins.

Ces champs discursifs seront établis à partir de trois thématiques et de nombreux auteurs. Le jeu, l’activité, l’amour constitueront les thématiques et les auteurs mobilisés seront en grand nombre, toujours à travers de textes précis, analysés avec rigueur. Une partie importante de l’intérêt de ces deux tomes réside dans ces « retours » aux textes pour certains peu connus ou oubliés. C’est une invitation à lire des auteurs qui ne sont dans le meilleur des cas connus que de nom et parfois pour d’autres choses que leurs réflexions sur l’enfance ou la pédagogie (Élie Pécaut, Octave Gréart, Jules Michelet, Bréal, Maine de Biran, Germaine de Staël, M.-A. Jullien, Paulin Guizot de Meulan…). Les grands noms de la pédagogie tiennent évidemment une grande place. Sont-ils tous connus dans toute leur complexité ? On peut en douter et les lectures qu’en propose E. Dubreucq méritent toujours attention (H. Arendt, J. Dewey, Froebel, P. Kergomard, E. Claparède, J. Piaget, F. Buisson, J. H. Pestalozzi, A. Ferrière…).
À travers ces auteurs E. Dubreucq fait surgir deux univers textuels qui se rencontrent autant qu’ils s’affrontent, « la pédagogie républicaine » dont il montre que derrière la transmission et l’instruction elle aurait toujours porté un projet d’« éducation républicaine » et « l’éducation nouvelle ». L’opposition réductrice entre instruction et éducation est surmontée. Il s’agit dans l’école de IIIe République comme dans le mouvement de l’éducation nouvelle de répondre à un même problème, l’instauration du sujet à partir de l’enfant. « L’illusion où on se trouve pris – illusion d’autant plus forte qu’elle n’est pas entièrement illusoire – d’avoir affaire à une antinomie entre deux conceptions ou deux « théories » de l’éducation, tient, en réalité, à l’instauration même du jeu de vérité qui s’installe avec ce régime de subjectivation. Celui-ci se polarise tantôt en privilégiant la spontanéité et les élans libres d’une intériorité enfantine devant créer l’ordre de sa vie, tantôt en reposant sur le principe de cet ordre, qui subordonne cette intériorité aux normes et aux règles impératives qui la constituent » (T 1, p. 47).
Ces courants tendent vers un même but, travaillent à un même projet, l’émancipation et l’épanouissement d’un sujet.
Le terme d’« éducation républicaine » peut surprendre qui n’a pas lu les travaux précédents d’É. Dubreucq , car c’est une éducation sans contenu doctrinal, sans théorie arrêtée, qui consiste à problématiser la réalité, sociale, morale, politique, pas à apporter des réponses. C’est à chaque homme, au sortir de l’enfance et de l’école, d’apporter les réponses qui lui paraîtront appropriées.
L’étude des textes sur le jeu en éducation, illustre, comme ceux sur « l’activité » et « l’amour », ces tensions, ces oppositions, entre deux conceptions mais aussi leurs points de recoupement, et parfois de chevauchements. Il ne s’agit pas de minorer des différences, que les auteurs de « l’éducation nouvelle » mettent volontiers en avant mais de montrer que ces démarches relèvent d’une seule et même sphère de problématisation, celle qui oppose, par exemple dans le jeu, « la volonté d’instrumenter le jeu pour travailler la substance intime de l’enfant et celle de le laisser s’épanouir comme une expression spontanée de son être propre pour la cultiver » (T. 1, p. 79).
Le choix de ces thèmes, du « jeu », de « l’activité » et de « l’amour », peut surprendre, tant ils paraissent appartenir à la sphère de l’éducation nouvelle. Mais É. Dubreucq, sans nier cette réalité s’emploie à montrer leur présence et même leur prise en compte dans cette pédagogie républicaine notamment dans les différentes éditions du Dictionnaire de pédagogie de F. Buisson. Il s’agit surtout de montrer le problème au cœur de l’ouvrage, « le pouvoir de configuration de l’individualité enfantine, c’est à dire à la fois de celui qui en produit l’être et de celui qui dérive de leur être. Dans la formation des enfants, tantôt le pouvoir constitue dans leur cœur la source et l’origine de leurs élans propres, tantôt il vient peser sur eux pour y inscrire les normes et les formes qui le structurent » (T 1, p. 243).
Toute l’étude menée par É. Dubreucq conduit à affirmer l’existence, dans le cœur de l’enfant pris à sa naissance, d’un germe dont le développement porte le devenir de son individualité et de sa personnalité. « Dans ce cadre, la configuration de l’individualité enfantine s’opère dans des dispositifs de culture de ce germe, au fil d’une stratégie chargée d’accompagner dans son développement la puissance active déposée en elle, et de favoriser la série des transformations que l’être de l’enfant doit connaître pour accomplir son devenir » (T 1, p. 245).
Le dernier chapitre du premier tome, « le germe, l’amour, la mère », montre que deux conceptions de la germination de l’être enfantin qui connectent, grâce « au vecteur de l’amour, les activités de la volonté et de la liberté enfantines aux normes portées par l’amour éducateur des adultes, qui les gouvernent alors, en les constituant en objets de leur propre pouvoir et de leurs affections » (T 1, p. 289).
Deux formulations sont proposées de ce processus. Le premier, énonce que « parce que l’enfant aime celui ou celle qui l’aime, il faut l’aimer pour imprimer à son amour son orientation morale et l’amour du devoir ; parce qu’il aime à être aimé, il faut l’aimer pour le rendre aimant » (T 1, p. 288). La seconde affirme que le premier amour n’est pas tant celui éprouvé pour la mère aimante mais pour sa puissance d’agir, « de son propre pouvoir, amour de soi et non amour d’autrui. Aimant à aimer, l’enfant aimé aimera en lui les commandements de qui l’aime ». Ce processus l’amènera, à l’occasion et presque par nécessité, au caprice ; dont É. Dubreucq propose, notamment à travers l’analyse de L’éducation domestique de Pauline Guizot de Meulan, une étude originale.
Le premier tome s’achève sur le constat que ces trois thèmes, qui abordent les notions de création, fête, besoins, intérêt, coopération, instruction, exercice, devoir, discipline, autorité, autodiscipline,…, conduisent à repérer non pas deux stratégies mais trois. « […] celui, dans le moment de la « pédagogie républicaine », d’une stratégie de culture de l’enfant censée en permettre la germination et l’épanouissement et celle de sa socialisation, qui tente de l’émanciper par l’inculcation de règles et de normes ; celui, dans le mouvement de « l’éducation nouvelle », de cette même stratégie de socialisation orientée par l’impératif de s’émanciper […], c’est-à-dire un art de le gouverner, non en seule vue de son irrépressible épanouissement, mais de son inscription dans un ordre social renouvelé » (T 2, p. 50).
Le second tome, Socialiser et libérer, ayant pour objectif d’étudier ce pouvoir de production du sujet sous différents aspects mis en lumière dans le premier, s’ouvre sur l’étude du processus de socialisation et même de normalisation, notamment telle qu’elle s’exprime dans l’œuvre de Durkheim. É. Dubreucq, s’attache à mettre en lumière toutes les nuances de la pensée pédagogique du fondateur de la sociologie en France et particulièrement son absolue condamnation de l’autoritarisme magistral, qui ne peut que détruire ce qu’elle prétend inculquer. La parole du Maître, pendant masculin de l’amour maternel, n’a pas qu’une action normative extérieure, car elle s’efforce d’agir « sur la substance intime de l’enfant, d’inscrire dans sa personnalité les formes et les normes d’un ordre social qui lui sont communiquées par une autre intériorité, celle du maître » (T 2, p. 50). Sans nier ou méconnaître ce que peut avoir de normatif et d’autoritaire la conception durkheimienne de l’éducation, ce processus de « socialisation méthodique de la jeune génération », autrement dit « l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas mûres pour la vie sociale », Dubreucq met en lumière les points de rencontre, et pas seulement de confrontation, de ce processus de socialisation avec le respect de la « personnalité ». L’éducation est certes le souci d’introduire aux normes sociales d’une société donnée, l’enfant, mais sous la forme achevée d’un sujet libre. « L’être intérieur de l’enfant résulte ainsi d’une imprégnation normative, mais il doit aussi dans cette opération d’intériorisation, conquérir une forme d’autonomie dont le substrat est sa propre personnalité. Car, il ne s’agit pas seulement, dans cette problématisation, de palier les effets potentiellement destructeurs de l’imprégnation disciplinaire, mais d’empêcher l’effacement et l’étouffement d’une personnalité qui est sans cesse guettée par l’excès ou le défaut de normativité » (T 2, p. 11).
Les deux chapitres suivants sont consacrés aux deux dispositifs censés libérer l’enfant, cultiver ses élans en faisant naître une société dans laquelle pourra s’effectuer une libération, supposant le déploiement de sa vie, de son travail et de ses élans. Comme l’écrit É. Dubreucq, deux « utopies », incarnées dans les pratiques de l’éducation nouvelle, lui paraissent réaliser cette libération :
 la formation d’une école organisant la vie sociale des enfants, potentiellement étrangère, à la vie sociale des adultes ;
 la transformation de l’école en « école-atelier », sous l’influence de Proudhon et surtout de Freinet, pour transformer la société.

Ces deux chapitres constituent plus de la moitié de ce second tome et s’il n’est pas possible d’en rendre compte dans le détail, il est néanmoins nécessaire d’en dire la richesse et l’intérêt tant le propos s’écarte des textes les plus convenus, sans rien négliger d’essentiel, au profit de l’étude et de l’analyse des écrits peu connus, comme cette île utopique organisée pour donner naissance à un « monde des émiles » dont on attend qu’il change celui des adultes, aux réflexions de Proudhon sur le dispositif de « l’école-atelier ». De même la pensée de Freinet fait-elle l’objet d’une lecture qui non seulement s’écarte de l’imagerie mais aussi des poncifs sur les techniques Freinet. C’est à une étude, assez originale, des écrits et des sources de la pensée de Freinet que s’attache É. Dubreucq.
Mais ce qui constitue probablement le moment crucial de l’ouvrage, dans ses deux tomes, est le quatrième et dernier chapitre, « La pastorale de l’enfance ». É. Dubreucq, par une longue référence à la pastorale chrétienne, telle qu’énoncée par M. Foucault, entend établir que ces idées de germination, socialisation, libération, n’entretiennent pas une relation de succession, pas même dialectique mais contribue à l’élaboration d’une pastorale profane. Tout d’abord, il revient sur l’idée de « pastorale chrétienne » que développe Foucault, dans ses travaux tardifs et sur l’idée que c’est au sein de cette pastorale que naît l’idée, devenue évidente pour ne pas dire invisible, du caractère central de l’institution de l’enfant . L’éducation est posée comme un pouvoir différent du pouvoir disciplinaire mais aussi du « bio-pouvoir ». « Ce pouvoir est différent du pouvoir disciplinaire, en tant que celui-ci s’exerce, de manière privilégiée, sur le corps et du biopouvoir, lequel tend à s’appliquer à lui, en s’étendant toujours plus vers la totalité du collectif dans la gestion de ses flux : il est un pouvoir pastoral de subjectivation, dont l’objet direct est le cœur singulier de l’enfant, et qui, en assurant la conduite de son devenir, porte sur l’âme individuelle de l’adulte » (T 2, p. 227).
Dans cette pastorale profane se tient la thèse d’É. Dubreucq, même si Foucault, comme il le reconnaît, n’a pas pris l’expérience de l’enfant comme objet essentiel de son travail d’exploration généalogique de l’homme moderne. La pastorale profane se définit comme le pouvoir de production et de configuration des individualités modernes dans le cadre d’une gouvernementalité sécularisée. Les modalités d’éducation étudiées précédemment dans leurs différences relèvent de cette pastorale, (le « salut » n’est plus en vue), « conduire l’enfant vers ce qu’il doit devenir pour être lui-même et accomplir son être » (T 2, p. 228). Ce qui interdit la contrainte disciplinaire sur les corps ou l’imposition d’un modèle exclusif auquel il devrait se conformer. L’individualité de l’enfant va être produit notamment par l’évaluation permanente des personnalités singulières (souligné dans le texte, T 2, p. 230). La réglementation réciproque des individualités singulières constituant un mode d’assujettissement essentiel, se substituant à la discipline ou au modèle. « Dans les trois grandes stratégies de production enfantine se trouve le même principe de réglementation mutuelle des individualités, qui se décline dans des dispositifs différents, qui tantôt peuvent s’accorder, tantôt doivent s’opposer : moi relié à autrui par un régime d’amour réciproque à celui ou celle qui éveille en lui un égal amour ; moi attaché à une collectivité par un régime de normativité chargé de le tirer de son état solitaire pour le porter à son existence solidaire ; ou encore moi associé à ses semblables par un régime de collaboration développant en lui mutualité et réciprocité » (T 2, p. 230).
Revenant sur « la querelle de l’école », É. Dubreucq fixe les limites (et l’intérêt ?) de son entreprise, en précisant que la démarche généalogique ne peut prétendre à la résolution d’un problème ; « il ne peut chercher qu’à l’élucider, à produire un effet de lucidité herméneutique chez celui qui, s’en trouvant saisi, tente de le formuler » (T 2, p. 240). Si cette démarche présente un intérêt, et la question mérite d’être posée à l’issue d’un si long travail, c’est de nous inviter à remonter, en deçà des difficultés, vers son lieu de naissance.
Reste à savoir, ce qu’un lecteur de « bonne foi » pourra tirer de ce travail d’analyse de plus d’un siècle de production d’écrits pédagogiques. Sans doute même, tout en sachant qu’il s’agit là d’une critique externe, le lecteur pourra regretter que la réalité des pratiques scolaires et éducatives n’ait aucune place : le Dictionnaire de pédagogie de F. Buisson est certes une référence, mais sa connaissance, notamment par les praticiens dans leur classe, reste une inconnue. De même, exercice et spécialisation universitaire obligent, on ne peut que regretter l’absence de références à Rousseau, pourtant cité et dans l’esprit des auteurs cités par É. Dubreucq. En quoi 1826 est-il un commencement ? Et de quoi ?

Daniel MORFOUACE

Les personnels d’inspection. Contrôler, évaluer, conseiller les enseignants. Retour sur une histoire, France-Europe (XVIIe-XXe siècle)

Jean-François Condette (dir)

Rennes : PU Rennes (2017)

Cet ouvrage de 365 pages, réalisé sous la direction de Jean-François Condette est issu de deux journées d’études organisées à l’université d’Artois les 21 novembre 2014 et 16 mars 2015.
Les 16 contributions, dont 6 relatives à l’Europe, qui le constituent, sont d’abord centrées sur les pratiques et les actions locales, plutôt que sur les plans statutaire et institutionnel mieux fournis dans la littérature. Cet ouvrage s’inscrit bien sur dans le contexte actuel plus général d’une obsession des pratiques d’évaluation, mais aussi d’un tropisme ancien et actuellement renouvelé, du rôle des familles et des autorités locales dans le regard porté sur les pratiques enseignantes. C’est ainsi que tout au long du XIXe siècle en particulier, la volonté forte d’affirmation du contrôle étatique coexiste avec l’importance d’une évaluation par les acteurs locaux. Certes l’école devient bien une affaire d’état au XIXe siècle, ce qui fait, pour reprendre l’expression de J.-F. Condette, des inspecteurs de véritables missi dominici. Il n’empêche que le pouvoir d’évaluation réel reste bien au niveau local.
Durant les XIXe et XXe siècles, cette tension entre les deux logiques perdure, l’époque actuelle déclinant cette tension en volonté d’atténuation du regard étatique centralisé par le renforcement de la vision locale au nom de la décentralisation.
L’ouvrage se révèle aussi particulièrement intéressant par son analyse de la diversité des finalités de la visite d’inspection, diversité qui en fait un élément central du fonctionnement de l’École en France. Pendant longtemps en effet, la fonction prioritaire de l’inspection reste bien celle du contrôle de conformité, contrôle qui au XIXe siècle en particulier franchit aisément les limites entre vie professionnelle et vie privée. Mais à cette logique de contrôle s’ajoute vite une pratique de l’évaluation des enseignants qui met en œuvre des logiques d’expertise de l’action éducative menée par les acteurs locaux. Le contrôleur devient alors, aussi, un évaluateur.
Bien entendu à ces fonctions cruciales s’ajoute celle de la gestion de carrière des enseignants : inspecter, c’est aussi évaluer pour classer, pour récompenser ou au contraire, pour punir le praticien. Mais par delà le regard porté sur l’enseignant, l’inspecteur est aussi celui qui vient évaluer une classe, des élèves, un établissement scolaire. De fait, cette évaluation de la structure de base du système éducatif répond à la nécessité de vérifier sur place et sur pièce, l’usage qui est fait des deniers publics.
Enfin l’inspecteur est aussi un envoyé, celui qui doit transmettre sur le terrain, les messages institutionnels, aussi bien au niveau de l’enseignant et de sa classe qu’au niveau de l’établissement.
Il ne faut bien sur pas oublier un rôle qui fut parfois objet de polémique : l’inspecteur est aussi un formateur d’enseignant et l’on se rappelle encore ce rôle important au sein des Centres Pédagogiques Régionaux, en particulier dans les années quatre-vingts.
Diversité des rôles mais aussi diversité des modalités d’inspection : il y a les inspections individuelles mais aussi les inspections collectives, les « inspections surprises » mais aussi les inspections « préparées ».
À cette diversité des rôles et des modalités, s’ajoute une grande diversité des corps d’inspection eux-mêmes : les inspecteurs du primaire ne sont pas les inspecteurs pédagogiques régionaux (IPR), qui eux-mêmes ne sont pas les inspecteurs généraux (IG).
Les limites du travail de l’inspecteur se trouvent sans doute dans la difficulté à assumer toutes les taches qui leur sont demandées, ces taches ayant par ailleurs tendance à augmenter alors que les moyens attribués ne s’accroissent pas en proportion. Les nouveaux systèmes de gouvernance au sein du système éducatif, y compris au niveau local de l’établissement, interpellent les corps d’inspection à la fois du coté de leur hiérarchie (voir l’importance de leur rôle comme conseillers des recteurs), à la fois du coté du terrain ou grandissent des concurrents potentiels, les chefs d’établissement en particulier.
Il s’agit bien aujourd’hui d’un corps ou de corps à qui l’on demande de se mettre au service d’un pilotage plus moderne du système éducatif, mais dans un contexte identitaire où n’existe pas le consensus à l’égard de ces évolutions, ce qui explique sans doute, pour une bonne part, l’impression fréquente d’un corps déstabilisé.
Au total, un ouvrage passionnant qui intéresse bien au delà de la seule question des inspecteurs.

Gilles BAILLAT

Instruire les gestes didactiques de métier Quelles perspectives pour la formation ds enseignants ?

Fabienne Brière-Guenoun

Rennes : PU de Rennes (2017)

Les recherches dont rend compte cet ouvrage se cristallisent autour de préoccupations liées à l’enseignement, la formation, l’exercice du métier et leurs articulations. Elles s’inscrivent dans une approche anthropologique et comparatiste du didactique à laquelle sont incorporés des éléments issus de la clinique de l’activité. Elles visent à instruire les gestes didactiques de métier, concept dont l’introduction procède de la confrontation des définitions et des usages (dans la recherche) des différents concepts rattachés aux gestes des enseignants tout en intégrant l’investigation du rapport au métier du professeur.
Les différentes études présentées, menées dans le contexte de l’enseigne-ment de l’éducation physique et sportive, s’intéressent aux savoirs professionnels, aux pratiques d’enseignants exerçant en milieu difficile ou débutant dans le métier.
Leur restitution ambitionne d’éclairer l’analyse des gestes didactiques de métier et ses implications en termes de développement professionnel ou de formation, tout en mettant au jour les débats et les perspectives de recherche au carrefour de la didactique et de l’ergonomie.
Au-delà, les modalités d’investigation se veulent une contribution à l’analyse des gestes didactiques de métier dans d’autres disciplines scolaires ou d’autres institutions.

Bouc émissaire : le concept en contextes

Rémi Casanova et Françoise-Marie Noguès (éds.)

Villeneuve d’Ascq : PU du Septentrion (2018)

C’est un véritable origami que les auteurs déplient à travers des époques, des personnages, des disciplines divers. Que retenons-nous ? Que le bouc émissaire est un processus inévitable, intemporel et universel.
Alors quel intérêt à le décrypter si on n’y peut rien ? C’est le pari assumé par Rémi Casanova et Françoise-Marie Noguès : agir sur le bouc émissaire, quitte à plonger au cœur des tabous si l’intensité de la crise l’exige, au-delà des contextes et des déterminismes.
Facteur de division et de réconciliation, de déclencheur et de régulation des conflits : le processus du bouc émissaire est la clé indispensable au fonctionnement de chaque groupe, de toute institution.
Stigmatisé, désigné, accusé, innocent(é), tête-de-turc, victime d’un pervers narcissique, souffre-douleur, sacrifié, totemisé, instrumentalisé, harcelé, isolé, culpabilisé : il est avant tout l’un de nous, assigné à porter, à transformer, depuis la nuit des temps, les fautes de l’ensemble du groupe.
Pierre Delion le suggère dans la préface, ce livre s’adresse « à tous ceux qui se soucient de “l’être avec l’autre”, à un moment où l’hypertrophie des égos atteint des sommets inégalés ».

Spirale – Revue de Recherches en Éducation – 2019 N° 63 (173-180)