Appel à contributions pour le numéro thématique 76
(octobre 2025)
Les enseignants et l’hybridation des savoirs
David BÉDOURET, Véronique CASTAGNET-LARS
et Christine VERGNOLLE MAINAR
INSPE Toulouse Occitanie-Pyrénées
Université de Toulouse – Jean Jaurès
Ce dossier porte sa focale sur l’enseignant, quels que soient son degré, sa discipline ou sa filière d’exercice, comme acteur de la construction de situations d’apprentissage et de leur conduite en classe ou hors la classe. Le champ d’action et les activités des enseignants se sont en effet transformés pour répondre aux enjeux de notre monde contemporain, aux attentes sociales et aux prescriptions institutionnelles. Développement des TICE, inter et transdisciplinarité, « éducations à » (citoyenneté, environnement, développement durable, santé, risques, altérité, entre autres), démarche d’enquête, uchronie, tâche complexe, notamment, sont autant de nouveaux enjeux, ouvrant à des champs d’intervention élargis et de nouvelles pratiques, qui interrogent le métier d’enseignant (Bernard & Fluckiger, 2019 ; Lange, 2016). En parallèle, ces questionnements sont présents dans les disciplines universitaires de référence qui connaissent également des changements épistémologiques et paradigmatiques importants.
Ce renouvellement des attentes est porteur de changements dans les pratiques. Il questionne chaque enseignant dans ses habitudes de travail et sa posture professionnelle, et la recherche en didactique. En effet, celle-ci peut non seulement contribuer à identifier et caractériser ces changements dans une démarche descriptive et interprétative mais aussi aider à accompagner le renouvellement des pratiques, notamment en rendant possible le développement de recherches associant fortement les enseignants par le biais de recherches collaboratives ou de recherches-intervention (Vinatier & Rinaudo, 2015).
Ces transformations à l’œuvre portent tout particulièrement sur la formation des enseignants initiale, continue, continuée. Comment former dans un contexte où les attentes sont en évolution forte ? Quelles attentes prendre en compte ? Quelle place donner aux résultats de la recherche dans la démarche de formation ? Quelle différenciation apporter entre la formation à destination d’enseignants débutants et celle orientée vers les enseignants plus experts ?
Ces mêmes transformations sont de nature à questionner un champ très large tant en termes de pratiques que de recherches ; c’est pourquoi nous centrons notre réflexion sur les savoirs, définis comme ensembles de connaissances et de capacités, susceptibles de donner lieu à une hybridation, concept polysémique voire polémique. À la fois combinaison, hiérarchisation, métissage (Ruby, 2019), il peut être défini comme un processus d’enchevêtrement de savoirs de référence qui génère de la complexité (Bédouret et al., 2018) et, par-là, crée des passerelles entre les disciplines (Dogan et al., 1991). Mais ce terme peut aussi renvoyer à l’hybridation des savoirs pédagogiques et des pratiques d’enseignement-apprentissage, plus ou moins instrumentées par les outils numériques, qui engagent à articuler des modalités d’enseignement en présence et/ou à distance et, dans ce cadre, à mobiliser des ressources et des activités de natures et d’origines différentes (Peraya, Charlier & Deschryver, 2014). La focale de l’hybridation peut donc permettre d’analyser les reconfigurations à l’œuvre tant au niveau des dispositifs que des curricula et des pratiques d’enseignement et des apprentissages. Parce que cette hybridation offre à la fois aux enseignants un cadre conceptuel et des normes pratiques, les enseignants peuvent choisir de s’en saisir, ou pas, de façon consciente ou inconsciente, à la fois dans leurs activités en classe et au sein de leur école, dans leur établissement scolaire et dans le cadre des partenariats construits avec les acteurs des territoires.
Un premier axe de réflexion peut donc se focaliser sur le processus d’hybridation comme une mobilisation des savoirs par les enseignants qui mettent en contact des savoirs différents et les recombinent. Se pose alors la question de la réception et de l’assimilation de ces savoirs hybrides par les élèves et celle du rôle de l’enseignant dans ce processus (Lautier, 1997) : acteur passif ? acteur moteur ? passeur ? détracteur ?
Ainsi, les propositions d’articles peuvent questionner les points d’appui théoriques aux-quels font référence les professeurs. Cette référenciation est-elle toujours une transposition didactique ou adopte-t-elle une logique ascendante ? Dans quelle mesure la transposition didactique (Chevallard & Johsua, 1991) qui renvoie à une transformation des savoirs de référence par étapes depuis la production universitaire vers la classe est-elle questionnée par la possibilité qu’ont désormais les enseignants d’aller chercher des savoirs de référence pertinents ? En effet, les enseignants ont accès, sans doute plus facilement d’auparavant, à des publications scienti-fiques pertinentes, dans leur champ disciplinaire ou en dehors de ce cadre, témoignant de la sorte d’une acculturation progressive du corps enseignant à la démarche de recherche, parfois même dans son caractère pluridisciplinaire.
Dans ce contexte, les questionnements sont multiples :
– Quels types de savoirs sont mobilisés ? Quelles formes d’hybridation présentent ces savoirs dans les activités mises en œuvre ? Une perspective historique sur la généalogie des savoirs peut être envisagée.
– Quels moyens sont utilisés par l’enseignant pour s’informer et se former ? La multiplication des supports et des sources d’information et de formation a pu engendrer une culture hybride des enseignants. Quels sont ces supports ? Quelle place des médias, des instituts de formation ? Quelle culture hybride se met en place ? Comment se fait la circulation des savoirs entre les sphères de sa production, la formation et le monde scolaire (Crinon & Muller, 2018) ?
– En quoi parler d’hybridation est-il susceptible d’éclairer, d’un point de vue didactique, les pratiques et les cultures professionnelles des enseignants ?
Un deuxième axe de contributions peut se centrer sur l’hybridation des curricula. En effet, il convient d’interroger le potentiel décalage entre le curriculum prescrit (normatif, institutionnel) et le curriculum réel relevant de la pratique des enseignants (Perrenoud, 1993). Les curricula se sont diversifiés avec la prise en compte de l’hétérogénéité des élèves, la mise en place de partenariats, le développement des projets inter/transdisciplinaires de type « éducations à » (Barthes et al., 2019) convoquant plusieurs disciplines et invitant d’autres acteurs de l’école (directeur d’établissement, professeur, documentaliste, infirmière, etc) ou des territoires (des institutionnels, des associatifs, des structures d’éducation non formelle, ou encore des habitants (Lange, 2012). La temporalité même des curricula peut être repensée avec la prise en compte du parcours de l’élève dépassant la vision annuelle ou cyclique en vigueur actuellement. Les questions socialement vives (QSV) (Legardez & Simonneaux, 2006) ou les questions sociales ordinaires (QSO) ont aussi participé à la recomposition des curricula. Ainsi, l’hybridation est au cœur de la confection par les enseignants de ces nouveaux curricula réels et souvent basés sur l’expérience (Leininger-Frézal, 2018) ce qui pose la question de leur positionnement par rapport aux attentes sociétales, aux discours institutionnels et politiques, au regard de la formation à l’esprit critique.
Dans ce contexte, des questionnements à deux niveaux d’échelles peuvent être posés :
– Au niveau de la classe et de l’école et de l’établissement scolaire : quels curricula mettent en place les enseignants ? Autour de quelles pratiques inter/transdisciplinaires ? Comment se construit le travail en équipe ? En quoi les QSV ou QSO, les « éducations à » participent-elles à l’hybridation des curricula ? Quels effets de ces pratiques sur la motivation des élèves et les apprentissages ?
– Au niveau du territoire de l’école/établissement : Quelles pratiques et quels dispositifs permettent une hybridation entre scolaire / non scolaire, formel / non formel, dans / hors les murs… ? Comment se construit l’ouverture au territoire, dans une logique « d’école ouverte » ? Quels types de partenariat sont mis en place ? Quel recours aux professionnels de la médiation en direction des scolaires ? Quelle place pour le « terrain » ? Quels effets de cette ouverture au territoire, sur la prise en charge du curriculum prescrit ainsi que sur la motivation des élèves et leurs apprentissages ?
Enfin un troisième axe peut se pencher sur le rôle de l’hybridation dans les interactions et les interrelations entre enseignants et enseignés. Le recours à l’hybridation modifie-t-il le comportement de tous les acteurs ? L’enseignant est-il amené, consciemment ou inconsciemment, à changer sa posture et son discours par rapport à l’élève, voire demander à ce dernier de transformer les siens ? La construction des savoirs se joue aussi dans l’orchestration faite par l’enseignant, de la classe vue comme communauté discursive (Jaubert, 2007). Dans ce contexte l’hybridation peut combiner, selon des dosages variés, incompréhension, méconnaissances, stéréotypes, nouveautés, découvertes pour aboutir à une restructuration des savoirs. De fait, l’hybridation voulue par les enseignants ne donne pas lieu nécessairement à une hybridation identique, en miroir, à celle du maître : l’élève met alors en place un processus d’hybridation qui lui propre, faisant son propre dosage entre tous les ingrédients proposés par l’enseignant. En ce sens, la question de la langue, de la diversité, de l’altérité et d’une manière plus générale de l’influence des enjeux sociétaux sur les identités et les mémoires collectives, à l’échelle individuelle, doit être prise en compte (Barthes et al., 2019).
Ardoino J. (1988) « Vers la multiréférentialité » – in : Collectif Perspectives de l’analyse institutionnelle (247‑265). Paris : Méridiens-Klinksieck.
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Barthes A., Blanc-Maximin S. & Dorier E. (2019) « Quelles balises curriculaires en éducation à la prospective territoriale durable ? Valeurs d’émancipation et finalités d’implications politiques des jeunes dans les études de cas en géographie » – Éducation et Socialisation 51.
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Bédouret D., Vergnolle Mainar C., Chalmeau R., Julien M.-P. & Lena J.-Y. (2018) « L’hybridation des savoirs pour travailler (sur) le paysage en éducation au développement durable » – Projets de Paysage 18.
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Bernard F. & Fluckiger C. (2019) « Innovation technologique, innovation pédagogique : Éclairage de recherches empiriques en sciences de l’éducation » – Spirale - Revue de Recherches en Éducation 63 (3-10).
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Chevallard Y. & Johsua M.-A. (1991) La transposition didactique : du savoir savant au savoir enseigné, avec un exemple de la transposition didactique. Grenoble : Éd. La pensée sauvage.
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Elalouf M.-L., Robert A., Belhadjin A. & Bishop M.-F. (dir.) (2012) Les didactiques en question(s). État des lieux et perspectives pour la recherche et la formation. Bruxelles : De Boeck.
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Wallenhorst N. & Pierron J.-P. (2019) Éduquer en Anthropocène. Lormont : Le Bord de l’Eau.
15 janvier 2024 : diffusion de l’appel à contributions
15 mars 2024 : Réception des projets d’articles
15 avril 2024 : Réponse aux auteurs
1er septembre : Livraison des articles par les auteurs
septembre-décembre : travail des experts
15 janvier 2025 : Retour des expertises aux auteurs
janvier-mars 2025 : Navettes entre les auteurs, les directeurs-trices du numéro et les experts
juin 2025 : Livraison du dossier (articles dans leur version définitive accompagnés de l’introduction).
Nous attendons pour le 15 mars 2024 le projet d’article résumé en une page présentant le projet d’article envisagé, où les auteurs indiqueront une problématique générale et le questionnement qui en découle sans omettre de préciser le numéro de l’axe dans lequel ils s’inscrivent. Enfin, une liste des références bibliographiques mobilisées dans le cadre de l’étude entreprise sera jointe au résumé.
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Recommandations aux auteurs
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