Eirick PRAIRAT*, Camille ROELENS** & Rémi CASANOVA***
* Université de Lorraine – LISEC
** Université de Lausanne – CIRÉ
*** Université de Lille – CIREL
Ce numéro thématique entend s’inscrire dans le prolongement, l’exploration et la discussion de nombreux travaux de recherches en sciences humaines et sociales en général et en éducation et formation en particulier (voir ci-dessous notre bibliographie indicative) qui, depuis une quarantaine d’années, s’attachent à montrer la fécondité de la pensée d’Hannah Arendt pour faire face à une question majeure – tant politique d’éducative – de notre temps, à savoir de relever le défi d’éduquer pour un monde non-totalitaire.
Étonnant destin que celui de l’œuvre d’Hannah Arendt dans les différents domaines de la réflexion et de l’action qui prennent l’éducation pour objet : elle qui avouait sans ambages (1961/ 1972 : 224) n’être en rien spécialiste de l’éducation et de la pédagogie est peu à peu devenue – dans l’accord de fond comme dans la critique sans détour – une référence quasi incontournable pour penser les mutations (hyper)modernes de l’éducation et de la culture, ou encore le statut de l’autorité, de la vérité, du travail et de l’action politique dans les sociétés contemporaines. Figure inspirante pour l’éducation, donc, car celle qui s’était donné comme tâche intellectuelle et comme rôle public de penser ce qui arrivait de tumultes dans les trois premiers quarts de XXe siècles chargés en tragédies inédites nous aide encore à nous orienter face aux questions vives de notre temps. La découverte en 1945 de l’étendue des crimes nazis la plonge dans l’horreur pure et la confronte à une triple interrogation fondamentale qu’elle résume ainsi : « Que s’est-il passé ? Pourquoi cela s’est-il passé ? Comment cela a-t-il été possible ? » (1951/2002 : 8). De là semble découler une quatrième question, en forme de défi pour l’action et l’esprit : comment penser (en général) et éduquer (en particulier) pour un monde non-totalitaire ? Telle est la double question, massive et problématique, qu’il s’agira ici d’explorer.
On s’intéressera donc dans ce dossier à l’influence que l’œuvre d’Hannah Arendt – en même temps que sa trajectoire intellectuelle et biographique – a pu, peut encore et pourrait à l’avenir avoir pour appréhender les principes, valeurs, normes, pratiques, objectifs et ressources de l’éducation, en même temps que la dimension intrinsèquement politique de l’humaine condition. Comment penser la praxis éducative dans le monde incertain de ce début de XXIe siècle ? Comment préparer les nouvelles générations à l’action (notamment politique) et préserver en eux les capacités à commencer quelque chose de nouveau dans le monde ? Comment penser les espaces politiques et éducatifs et les institutions qui les structurent dans un monde où leur légitimité ne va plus de soi ? Telles sont, sans exhaustivité, les problématiques qu’il s’agira d’explorer, dans une perspective résolument interdisciplinaire et multi-référentielle. Nous envisageons pour cela trois axes principaux de travail, qui devront être investis en satisfaisant à la double exigence suivante : 1°) s’emparer au moins pour partie des sources et ressources de pensée que constituent les écrits et publications d’Hannah Arendt pour se confronter aux enjeux éducatifs contemporains ; 2°) bien expliciter la manière dont ce qui est proposé se rapporte au projet d’ensemble d’éduquer pour un monde non totalitaire, projet dans l’étude constituera la trame même du présent numéro.
I) Histoire des idées politiques et pédagogiques :
allers-retours
Outre le travail des textes d’Arendt eux-mêmes, il sera ici possible de montrer comment les polémiques (par exemple avec d’autres intellectuels juifs autour du procès Eichmann ou avec les tenants américains de l’éducation progressiste dans les débats scolaires du temps) dans lesquelles Hannah Arendt fut prise construisent, à différentes époques, la réflexion et la praxis éducatives. Il sera aussi possible de se concentrer sur les fidélités et les éventuelles ruptures que permet au pédagogue le projet de penser son action avec Arendt ou, le cas échéant, contre elle. On pourra aussi étudier la manière dont les œuvres d’Hannah Arendt ont été progressivement diffusées, connues, discutées et mobilisées dans la recherche en éducation et formation et/ou la formation des enseignant.e.s et autres professionnel.le.s.
II) Les institutions éducatives et formatives actuelles
au prisme de la pensée d’Arendt
Une chose est l’érudition sur une œuvre de l’esprit et ce qui l’entoure, une autre peut-être de questionner les implications pratiques qu’elle a pu connaitre. On pourra ainsi se demander ce que sont les organisations et les institutions qui se revendiquent explicitement des idées d’Arendt, ou encore celles qui ont subi son influence de manière plus implicite. Quelles traces trouve-t-on dans les organisations et les institutions de ses idées et préconisations ? Comment le processus d’implantation, de transposition, de transmission, de mutation éventuelle s’est-il développé ? Les démarches théoriques et empiriques pourraient ici trouver à s’hybrider.
III) Vies éthiques en éducation et formation
L’œuvre d’Arendt peut inspirer aujourd’hui des travaux académiques sur l’éthique en éducation et formation en général, et professorale en particulier. La rencontre avec sa pensée peut aussi sans doute induire plus largement des inflexions dans un parcours de vie, et en particulier dans ce qui touche à l’assomption de responsabilités éducatives et formatives. L’investissement de cet axe autorise donc tant les approches relevant de l’éthique normative ou appliquée en éducation et formation que les approches biographiques.
Adler L. (2005) Dans les pas de Hannah Arendt. Paris : Gallimard.
Arendt H. (1951/2002) Le système totalitaire. Paris : Gallimard.
Arendt, H. (1961/1972) La crise de la culture. Paris : Gallimard.
Arendt H. (1961/1983) Condition de l’homme moderne. Paris : Calmann-Lévy.
Arendt H. (1974) Vies politiques. Paris : Gallimard.
Arendt H. (2003/2009) Responsabilité et jugement. Paris : Payot & Rivages.
Bentouhami-Molino H. (2008) « Le cas de Little Rock. Hannah Arendt et Ralph Ellison sur la question noire » – Tumultes 30 (161-194).
Biesta G. (2010) « How to Exist Politically and Learn from It : Hannah Arendt and the Problem of Democratic Education » – Teachers College Record 112 (556-575).
Bohman J. (1997) « The Moral Costs of Political Pluralism : The Dilemmas of Difference and Equality in Arendt’s “Reflections on Little Rock” » – in : L. May and J. Kohn (eds.) Hannah Arendt : Twenty Years Later (53-80). Cambridge : MIT Press.
Bourgeois P. & Robichaud A. (2018) « La figure de l’enseignant intellectuel chez Hannah Arendt » – Éthique en Éducation et en Formation 5 (39-54).
Brudny M. I. (2004) « Hannah Arendt (1906-1975) » – Cités 20 (179-184).
Caloz-Tschopp M. C. (1998) « Citoyenneté et éducation : le droit d’avoir des droits dans la philosophie politique de Hannah Arendt » – Le Télémaque 14 (41-52).
Caloz-Tschopp M. C. (2003/2004) « Les sans-État “Ni minoritaires, ni prolétaires, en dehors de toutes les lois” (H. Arendt) » – Tumultes 21-22 (215-242).
Courtine-Delamy S. (2013) « Alléluia : l’espoir et la promesse du commencement chez Hans Jonas et Hannah Arendt » – in : C. Larrère et É. Pommier (éds.) L’éthique de la vie chez Hans Jonas (103-118). Paris : Publications de la Sorbonne / La philosophie à l’œuvre.
Courtine-Denamy S. (1994/1998) Hannah Arendt. Paris : Pluriel.
Eslin J. C.(1996) Hannah Arendt. L’obligée du monde. Paris : Michalon.
Faes H. (2015) « Hannah Arendt et les définitions de l’homme » – Revue Philosophique de la France et de l’Étranger 140 (341-358).
Fistetti F. (2008) « Hannah Arendt à l’âge de la mondialisation » – Tumulte 30 (109-124).
Foray P. (2001) « Hannah Arendt, l’éducation et la question du monde » – Le Télémaque 19 (79-101).
Gordon M. (1999) « Hannah Arendt on Authority : Conservatism in Education Reconsidered » – Educational Theory 49 (161-180).
Jesuha T. (2015) « L’agir et le faire chez Hannah Arendt : réflexions et prolongements » – Cahiers Philosophiques 143 (81-104).
Legros R. (1989) « Une mise en question de l’éducation progressiste » – Le Messager Européen 3 (66-74).
Levinson N. (1997) « Teaching in the Midst of Belatedness : The Paradox of Natality in Hannah Arendt’s Educational Thought » – Educational Theory 47 (435-451).
Ménissier T. (2008) « L’animalité comme limite et comme horizon pour la condition humaine selon Hannah Arendt » – in : J. L. Guichet (éd.) Usages politiques de l’animalité (223-252). Paris : L’Harmattan.
Norris T. (2006) « Hannah Arendt & Jean Baudrillard : Pedagogy in the Consumer Society » – Studies in Philosophy and Education 25 (457-477).
Ny M. L. (2004) « Hannah Arendt : une biographie intellectuelle » – Le Télémaque 25 (149-160).
Pierron J. P.(2012) « La Possibilité et la Fragilité. Le thème de la vulnérabilité de l’enfant chez Hannah Arendt, Hans Jonas et Emmanuel Levinas » – Revue Philosophique de Louvain 110 (81-101).
Point C. (2020) « L’autorité éducative : inquiétudes et promesses de Hannah Arendt » – Le Télémaque 57 (133-150).
Poizat J. C.(2009) « Assumer l’humanité, Hannah Arendt : la responsabilité face à la pluralité de Gérôme Truc » – Le Philosophoire 31 (177-188).
Poizat J. C.(2013) Hannah Arendt, une introduction. Paris : Pocket.
Pommier É. (2013) « Éthique et politique chez Hans Jonas et Hannah Arendt » – Revue de Métaphysique et de Morale 78 (271-286).
Quelquejeu B. (2001) « La nature du pouvoir selon Hannah Arendt. Du “pouvoir-sur” au “pouvoir-en-commun” » – Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques 85 (511-527).
Revault d’Allonnes M. (2006) Le pouvoir des commencements. Essai sur l’autorité. Paris : Seuil.
Revault d’Allonnes M. (2011) « Hannah Arendt penseur de la crise » – Études 415 (197-206).
Roman J. (1990) « Hannah Arendt : l’éducation entre privé et public » – in : P. Kahn, A. Ouzoulias et P. Thierry (éds.) L’éducation : approches philosophiques (211-225). Paris : PUF.
Tassin E. (2017) Le trésor perdu. Hannah Arendt, l’intelligence de l’action politique. Paris : Klincksieck.
Young-Bruehl E. (1982/1986) Hannah Arendt. Paris : Anthropos.
Zarka Y. (2016) « Hannah Arendt et l’origine du mal » – Cités 67 (3-16).
Calendrier et consignes aux auteurs
Janvier 2023 : Appel à contributions
Fin mars 2023 : Réception des projets d’articles (voir ci-dessous)
15 avril 2023 : Sélection des propositions de contribution et réponse aux auteurs
1er septembre 2023 : Livraison des articles
Septembre-décembre 2023 : Double expertise des textes
Janvier-mars 2024 : Navettes entre les auteurs, les directeurs du numéro et les experts
Juin 2024 : Livraison du dossier (articles dans leurs versions définitives accompagnés de l’introduction).
Nous attendons pour le 30 mars 2023 un résumé d’une page présentant le projet d’article envisagé, où les auteurs indiqueront une problématique générale et le questionnement qui en découle sans omettre de préciser le numéro de l’axe dans lequel ils s’inscrivent. Enfin, une liste des références bibliographiques accompagnées des sources archivistiques mobilisées dans le cadre de l’étude entreprise seront jointes au résumé.
Vous veillerez à y indiquer également :
– vos nom et prénom
– votre institution
– votre adresse postale professionnelle et une adresse électronique
– un titre d’article
Les propositions sont à envoyer en fichier attaché (en format. doc ou. docx) à Rémi Casanova, Eirick Prairat et Camille Roelens aux adresses suivantes :
remi.casanovaatwanadoo.fr
eirick.prairatatuniv-lorraine.fr
roelens.camillejeanatorange.fr
Si vous souhaitez envoyer un article développé dès cette première échéance, nous le lirons avec la même attention.
L’intitulé du fichier sera nommé comme suit : Spirale74 votre nom.doc (ou. docx).
Les propositions retenues donneront lieu à une proposition d’article qui n’excèdera pas 30 000 signes (espaces compris), attendue pour le 1er septembre 2023. Elle sera rédigée en utilisant la feuille de style et en suivant strictement les options rédactionnelles spécifiques à la revue Spirale, notamment en ce qui concerne la bibliographie : http://spirale-edu-revue.fr/spip.ph...
Elle sera soumise à un logiciel anti-plagiat avant le processus d’expertise, la revue ne publiant que des articles originaux.
Si des révisions devaient être nécessaires, la version définitive des articles et de la présentation devra être remise au plus tard le 30 juin 2024.