Coordination
Anne-Françoise DEQUIRE
Institut Catholique de Lille
CIREL/PROFEOR EA4354, Université de Lille
Francis DANVERS
Université de Lille, CIREL/PROFEOR EA4354
Le mot « silence » est introduit dans la langue française en 1190 (Bloch & Von Wartburg, 2003). Il tire son origine du latin « silentium » et est dérivé du verbe siler signifiant se taire. Dans son sens originel, le silence désigne « l’état de la personne qui s’abstient de parler, le fait de ne pas parler, de ne pas se plaindre ». Pour Le Littré (1762), il est : « une suspension que fait celui qui parle dans la déclamation » (Voltaire, Lettre d’Argental du 17 avril 1762). Dans une utilisation plus courante, le silence se définit par « l’absence de bruit, de sons indésirables ». Il fait l’objet de nombreuses réflexions en philosophie, en psychanalyse, en sociologie, en anthropologie, en histoire, en musicologie, en sciences de l’information et de la communication, en linguistique.
Chaque période de l’histoire a une manière de concevoir le silence. Si pour Alain Corbin (2018), le silence du XVIIe siècle est celui de l’oraison, de la prière, celui du XIXe siècle renvoie au romantisme habité par le sublime. Le silence est aussi une richesse, le moyen d’approfondir son Moi, de méditer, de se ressourcer. Au XXIe siècle, le silence fait peur, il suggère l’ennui, l’arrêt du rythme.
Pour David Le Breton (1997, 2017), la société ne privilégie plus le silence et a perdu le sens d’un silence de recueillement : « le seul silence que nos idéologies de la communication connaissent, c’est celui de la panne, de la défaillance de la machine, de l’arrêt de la transmission. Il est une cessation de la technicité plus que l’émergence d’une intériorité, d’une réflexion » (Le Breton, 1998 : 17). Quelle est alors la vertu du silence ? Pour Georg Simmel (1997), si la société est conditionnée par le fait de parler, elle est aussi conditionnée par le fait de se taire. Faut-il poser par hypothèse, qu’il y aurait une Parole du silence, comme le suggère Michel Maffesoli (2016) ?
Ainsi le langage ne peut pas tout. Le silence est parfois nécessaire. Les mots ne sont pas toujours suffisants pour saisir la totalité du monde, notamment pour ce qui est du domaine de l’indicible comme le résume Ludwig Witt-genstein (1922 : 7) dans son ultime proposition : « Ce qui peut être dit peut-être dit clairement ; Ce dont on ne peut pas parler, il faut le passer sous silence ».
Qu’il soit méditatif, introspectif, contemplatif ou mystique, le silence humain est toujours d’une certaine ma-nière, « parlant » (Danvers, 2019). Mais que dit-il vraiment ? Le silence n’est-il pas l’essence de la parole en son dire ? (Tirvaudey, 2010). Pour Anne-Marie Jovenet (2018), il importe d’écouter notre propre silence et le silence des autres et ce, aux différents âges de la vie. Osons-nous exprimer nos sentiments sur ce qu’il est difficile de vivre ? A qui le disons-nous ? Comment passer du « silence sur soi » aux « dire des sentiments » ? A l’école de La Neuville, Françoise Dolto (1990), en poursuivant la métaphore du sablier de silence, scansion du temps, affirmait que « quel-qu’un qui ne dit rien a droit à son temps. Et s’il l’emploie à se taire, tout le monde doit écouter son silence » (D’Ortoli & Amram, 2001 : 181). Le silence est une posture naturelle qui permet de reconquérir le moment présent, et par là même le mouvement de la vie.
Mais qu’en est-il du silence en éducation ? Quelle est la fonction du silence ? Est-il un objet de recherche ? A-t-il été étudié ? Si oui, dans quel(s) champs disciplinaire(s) (sociologie de l’éducation, didactique, philosophie de l’éducation, psychologie de l’éducation, etc.) ? N’est-il pas un objet controversé ? Par quel prisme est-il abordé (com-pétences professionnelles, gestion de la classe, etc) ?
Ce numéro de Spirale propose une approche inédite du silence en éducation. A partir d’une pluralité de situations éducatives, il s’agit essentiellement de comprendre quel sens on attribue au silence en éducation. A partir de ce fil conducteur, les contributions pourront porter sur les thématiques suivantes :
– Le silence en classe
Quand et comment les enseignants obtiennent-ils le silence dans leur classe ? quelles compétences (parole, geste, mimique, posture, émotion, affects, silence, etc) mobilisent-ils pour l’obtenir ? (Rousseaux, 2003)
L’école est-elle encore un « lieu de silence » ? Le silence n’est-il pas la condition d’un travail efficace ? Comment l’enseignant passe-t-il de l’absence de silence attentif des élèves à un silence attentif ?
En classe, le silence permet-il de capter l’attention des élèves, de fixer les apprentissages ?
Quel sens un professeur attribue-t-il au silence de ses élèves (écoute, rêverie, peur de prendre la parole, marque d’attention et de respect, etc) ? Le silence est-il alors le signe d’une activité ou d’un comportement passif ?
Comment l’enseignant laisse-t-il mûrir les silences pour permettre un approfondissement de la réflexion ?
– Le silence d’un élève
Quelles stratégies les professeurs mettent-ils en œuvre pour aider l’élève silencieux à entrer dans « la langue de l’école » ?
Comment un professeur peut-il mettre en confiance un élève silencieux afin qu’il prenne sa place dans la classe ?
Quelles compétences l’enseignant doit-il développer dans sa classe pour « entendre » le silence de l’élève ? La conduite adoptée par le psychanalyste dans le cadre de la cure notamment la règle d’abstinence de la parole pour libé-rer celle du patient peut-elle enrichir la posture du maître dans sa classe ? (Costantini, 2008)
Face au silence d’un enfant, comment le rapport au savoir de l’enseignant est-il interrogé ?
Quelle signification attribue-t-on au silence de l’enfant ?
Le silence d’un élève ou son mutisme témoigne-t-il d’une expression d’une souffrance ?
Quelles sont les conséquences de ce silence ?
– Le silence de l’enseignant et/ou du formateur
Quel est l’impact des silences de l’enseignant durant son cours ?
Les silences de l’enseignant venant relayer sa parole sont-ils des moments féconds de l’apprentissage ?
Le silence est-il un apprentissage pour l’enseignant/le formateur ?
Sait-il se taire ? Sait-il écouter ? Peut-il choisir de ne pas répondre ?
Cette thématique est transversale aux sciences de l’éducation et aux pratiques de formation tout au long de la vie ; nous nous attacherons à valoriser les approches pluridisciplinaires (anthropologie, psychologie, philosophie, art, histoire, sociologie, médiologie).
Les propositions d’articles pourront s’élargir aux objets suivants :
Silence et orientation : (les non-dits de l’orientation des jeunes et des adultes),
Silence et laïcité (minute de silence après les attentats…),
Silence et art (musique, musée, etc),
Silence et violence à l’école (bouc-émissaire, harcèlement scolaire…),
Enfants « mutiques » (psychose infantile, angoisses),
Silence et handicap (handicap à l’école, altérité)
Silence et adolescence (sexualité, pudeur, jugement moral).
Bloch O. & Von Wartburg W. (2003) Dictionnaire étymologique de la langue française. Paris : PUF.
Corbin A. (2018) Histoire du silence. De la renaissance à nos jours. Paris : Flammarion.
Costantini C. (2008) Comment des enseignants d’école maternelle « entendent » le silence de l’élève ? Étude clinique : des questions du chercheur aux questions de recherche. Thèse de doctorat, Université Paris 10 (dir. Cl. Blanchard-Laville).
Danvers F. (2019) S’orienter dans la vie : une expérience spirituelle ? Tome 4. Villeneuve d’Ascq : PU du Septentrion.
D’Ortoli F., Amram M. (2001) La Neuville : l’École avec Françoise Dolto. Paris : ESF.
Jovenet A.-M. (2018) Des silences sur soi aux dires des sentiments, comment faire avec soi-même. Villeneuve d’Ascq : PU du Septentrion.
Le Breton D. (1997) Du silence. Paris : Métailié.
Le Breton D. (1998) « Le silence pour penser » – Cultures en Mouvement 7 (17).
Le Breton P. & Le Breton D. (2017) Le silence et la parole, contre les excès de la communication. Paris : Erès.
Maffesoli M. (2016) La parole du silence. Paris : Le Cerf.
Rousseaux P. (2003) « Fonction du silence en pédagogie : une dimension performative » – Éduquer 5
http://journals.openedition.org/rechercheseducations/211
Tirvaudey R. (2010) Les mots du silence. Paris : Mon petit éditeur.
Thoreau H.-D. (2010) Bruit et silence suivi de Les temps obscurs. Paris : La Brèche éditions.
Wittgenstein L. (1922/1993) Tractacus logici-philosophicus (trad. franç. G.-G. Granger). Paris : Gallimard.
Calendrier et indications aux auteurs
Réception des projets d’articles (résumé d’une page) : 15 décembre 2019
– signification aux auteurs que leur projet est retenu : 15 janvier 2020
– réception de l’article (30 000 signes, tout compris) : 15 mars 2020
– communication des avis des experts : 15 juin 2020
– réception de l’article définitif : 15 octobre 2020
– livraison du numéro : novembre 2à20
– publication : janvier 2021
Nous attendons pour le 15 décembre 2019 un résumé d’une page présentant votre projet d’article. Vous y pré-ciserez la/les question(s) que vous envisagez de traiter, le cadre théorique dans lequel vous vous inscrivez, les choix méthodologiques et les données sur lesquelles vous travaillez, ainsi que quelques résultats, même très provisoires.
Vous veillerez à y indiquer précisément :
– vos noms, prénoms
– votre institution
– votre adresse postale professionnelle et une adresse électronique
– un titre d’article
– quelques mots-clés.
Les propositions sont à envoyer à
Anne-Françoise DEQUIRE
anne-francoise.dequire@institut-social-lille.fr
Francis DANVERS
fdanvers@orange.fr