La bande dessinée, la littérature de jeunesse, les pages web, la presse, la « grande littérature » et le manuel scolaire, en exposant des savoirs académiques plus ou moins vulgarisés, plus ou moins didactisés, constituent d’autres entrées possibles en science ou en histoire que l’expérimentation, l’observation, la recherche de traces ou de témoignages.
La lecture personnelle ou collective de ces écrits, suivie d’une évocation de cette lecture au travers un questionnement libre ou semi-dirigé en classe permet d’amener les élèves à faire la distinction entre les écrits fictionnels liés au monde de l’imaginaire et les écrits documentaires liées au monde réel et à son passé. Cela développe aussi une capacité de « reliance », capacité à relier les choses de manière à dépasser « l’insularisation » des savoirs. Cela facilite d’autant la reformulation d’un problème à résoudre par la suite, dans le cadre d’une démarche d’investigation que l’on se doit de favoriser en sciences expérimentales et qu’il peut être inté-ressant d’adopter en histoire. La lecture et le langage d’évocation accompagnant la découverte du monde et du temps long permettent alors à l’élève d’entrer dans des apprentissages savants et facilitent le passage d’un langage quotidien à un langage scientifique ou historique scolaire. En effet, évoquer c’est « faire exister dans sa tête », c’est faire revivre mentalement à l’élève quelque chose qu’il vient de lire et lui permettre de se décentrer, de ne plus être dans l’action immédiate. Ainsi, il peut accéder aux opérations mentales dont l’intérêt est majeur dans les apprentissages : savoir anticiper, imaginer, se projeter dans l’avenir, émettre des hypothèses, analyser, entrer dans la déduction ou encore se rappeler, mémoriser, critiquer, répondre aux questions, résoudre un problème. De nombreux travaux (voir les quelques références indi-quées ci-après) ont ainsi permis de mieux cerner le « penser en sciences et en histoire » et les processus cognitifs à la fois spécifiques et communs à ces deux disciplines mis en jeux en classe : exposition des faits, problématisation, construction de schèmes explicatifs, conceptua-lisation. Afin d’entrer dans cette abstraction conceptuelle, l’élève va donc devoir utiliser un outil indispensable à la construction du savoir qui est le langage d’évocation. Et les pro-grammes actuels de l’école, du collège et ceux du lycée de placer au cœur des démarches, la capacité à dire, tant à l’écrit qu’à l’oral.
Si l’on soumet la question des liens entre la lecture, le langage et le développement de la pensée au domaine de l’enseignement des sciences expérimentales ou de l’histoire, on mesure à quel point celle-ci est d’une grande richesse de par la diversité des activités auxquelles elle peut donner lieu et des enseignements que le professeur peut en tirer puis partager avec les élèves, pour mieux prendre en charge leurs apprentissages, afin de ne pas se contenter d’évaluer seulement leurs acquis mais d’apprendre à analyser ce qu’ils sont en train d’apprendre. Le numéro 64 de Spirale cherche ainsi à approfondir quelques aspects des rôles que tient le langage d’évocation dans la construction des savoirs scientifiques et historiques, et dans leurs apprentissages. Lire-dire : ce doublet didactique constitue en effet, pour une grande partie − ne manque que l’écrire −, le socle des activités voire des finalités d’un ap-prentissage. Cependant, la grande majorité des recherches portant sur le langage et la cons-truction de connaissances a trop souvent masqué un problème décisif : qu’est-ce qui tient ensemble ce doublet, c’est-à-dire lui donne une opérationnalité didactique ?
L’objectif de ce numéro est d’interroger, dans le cadre de situations d’enseignement-apprentissage, ce que peut traduire le trait d’union du doublet lire-dire, qui relève plus de l’articulation conceptuelle que de l’incantation. Un trait d’union cela sert de liaison et cela produit un composé à partir du lire et du dire. Cette liaison peut faciliter également les interactions entre ces deux éléments. La continuité et/ou la discontinuité entre le lire et le dire doivent alors être posées. En effet, la lecture personnelle est un temps d’appropriation individuelle des idées. Quant au langage d’évocation, s’il constitue un temps d’appropriation collective, il est évanescent. Le passage de l’un à l’autre gagnerait à être pensé car ce sont deux éléments incontournables dans la construction d’une pensée. Ainsi, l’évocation orale ou écrite d’une lecture individuelle est-elle utile ? Pour l’élève lecteur peut-être ? Mais pour les autres ? À quelles conditions pourrait-elle le devenir ? À condition d’être reprise par les autres élèves lecteurs du même texte ? D’être reformulée ? D’être décortiquée par le professeur pour créer une mise en commun et permettre un réexamen par l’élève de son propre dire à partir d’une grille d’analyse élaborée collectivement ? Enfin, l’évocation orale ou écrite d’une lecture individuelle est-elle utile pour l’enseignant ? Qu’apprend-il finalement sur l’apprentissage de l’élève orateur ou scripteur ? En quoi les discours échangés entre celui qui enseigne et celui qui apprend, aussi bien que les interactions entre apprenants, nous renseignent sur leurs difficultés comme sur leurs réussites ou sur les transformations de leurs cheminements de pensée ?
Les propositions de contribution devront permettre de construire quelques repères et de proposer des pistes de réflexions étayées au sujet de l’articulation du lire et du dire. Plusieurs champs d’analyse sont susceptibles de retenir l’attention : il s’agit de comprendre dans quelle mesure et comment lire et dire s’articulent dans une perspective développementale langagière, d’une part ; il s’agit aussi de penser l’activité didactique elle-même, d’autre part. Mais articulation ne veut pas dire forcément interaction et il est d’autres modes d’articulation, de la concomitance à l’inclusion : le dire sur le lire nécessite préalablement le lire, l’inverse n’est pas vrai. Par ailleurs, penser l’articulation ne veut pas dire la même chose selon que l’on se place sous l’angle des compétences (individuelles), des activités (didactiques) ou des pra-tiques (sociales). Et ce n’est pas la même chose selon qu’on choisit le point de vue de l’objet textuel ou des processus qui composent lecture et oralité, lecture et écriture ; ou selon le niveau d’enseignement ; ou selon les disciplines. Enfin, l’objectif des dispositifs didactiques articulant lire et dire peut se situer à différents « niveaux » en termes d’apprentissages selon que l’on cherche à modifier une disposition générale des élèves ou l’appropriation de savoirs et de savoir-faire. Ainsi, sous l’apparente unité de la problématique que laisse entrevoir l’expression « articulation lecture-oralité » ou « articulation lecture-écriture » se trouvent en fait de nombreuses problématiques didactiques, qui ne sont pas nécessairement unifiées et qui devraient donner lieu à des contributions issues de différents champs de recherche : sciences du langage, psycho-sociologie, épistémologie, théorie de l’argumentation convergeant et dia-loguant avec les didactiques des sciences et de l’histoire. Les domaines d’études concernés par ce numéro sont l’école primaire et le second degré, et deux disciplines scientifiques qui se prêtent à la vulgarisation et à la didactisation scolaire, les sciences expérimentales et l’histoire, cadre de la problématique.
QUELQUES RÉFÉRENCES
Chabanne J-C. & Bucheton D. (2002) Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. Paris : PUF.
Joubert M. (2007) Langage et construction de connaissances à l’école. Un exemple en sciences. Bordeaux : PU de Bordeaux.
Torro A. (1999) Le lecteur interprète. Paris : PUF.
Hassani Idriss M. (2005) Pensée historienne et apprentissage de l’histoire. Paris : L’Harmattan.
Olson D. R.(1998) L’univers de l’écrit, comment la culture écrite donne forme à la pensée. Paris : Retz.
Orange C. (2012) Enseigner les sciences. Problèmes, débats et savoirs scienti-fiques en classe. Bruxelles : De Boeck.
Schneeberger P. & Vérin A. (dir.) (2009) Développer des pratiques d’oral et d’écrit en sciences, Quels enjeux pour les apprentissages à l’école ? Lyon : INRP.
Tutiaux-Guillon N. (2008) « Histoire-géographie : un trait d’union pour traduire un modèle commun » – in : L. Viennot (dir.) Didactique, épistémologie et histoire des sciences (89-111). Paris : PUF.
CALENDRIER ET PROCÉDURE
• Réception des projet d’articles (résumé d’une page) : 30 septembre 2018
• Signification aux auteurs que leur projet est retenu : 15 octobre 2018
• Réception de l’article (40 000 signes, tout compris) : 15 janvier 2019
• Communication des avis des experts : 15 avril 2019
• Réception de l’article définitif : fin août 2019
• Publication : octobre 2019
Nous attendons pour le 15 septembre 2018 un résumé d’une page présentant le projet d’article envisagé. Vous veillerez à y indiquer précisément :
– vos noms, prénoms
– votre institution
– votre adresse postale professionnelle et une adresse électronique
– un titre d’article
Le texte doit aussi préciser clairement la/les question(s) que vous envisagez de traiter, le cadre théorique dans lequel vous vous inscrivez, les choix méthodologiques et les données sur les-quelles vous travaillez, ainsi que quelques résultats, même très provisoires [si vous souhaitez envoyer un article développé dès cette première échéance, nous le lirons avec la même atten-tion].
Les propositions sont à envoyer en fichier attaché (en format .doc ou .docx) à :
jgunther.eggingeratuniv-artois.fr
catherine.soupletatuniv-lille3.fr
L’intitulé du fichier sera nommé comme suit : Spirale64_votre nom.doc (ou .docx).
L’article est attendu pour le 15 janvier 2018. Il sera rédigé en suivant strictement les options rédactionnelles spécifiques à la revue Spirale, notamment en ce qui concerne la bibliographie : http://spirale-edu-revue.fr/spip.php?article635
La contribution ne peut excéder 40.000 signes (espaces blancs compris). Elle sera soumise à un logiciel anti-plagiat. Si des révisions devaient être nécessaires, la version définitive devra être remise au plus tard fin août 2019.