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mercredi 1er février 2023

« L’interprétation des œuvres d’art dans les pratiques et institutions d’éducation, de formation et de culture
Construction et fonctionnement en musique, arts plastiques et visuels »
Présentation
- Spirale 71 (2023)

Sommaire
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UN FACE-À-FACE AVEC L’ŒUVRE :
LEBUT D’UNE INTERPRÉTATION ?

23 décembre 2022. Une classe d’élèves du secondaire est rassemblée dans le Kunstmuseum de Bâle (Suisse). Avant d’entrer dans les salles d’une exposition temporaire intitulée « La modernité déchirée », et sous-titrée « Les acquisitions bâloises d’art “dégénéré” » [1], chaque élève reçoit de l’enseignant une feuille comportant des rubriques et des questions. Eva Reifert et Tessa Rosebrok, les commissaires d’exposition, ont, quant à elles choisi un texte d’accueil pour le public : « En 1939, quelques jours avant le début de la Seconde Guerre mondiale, le Kunst-museum de Bâle a acquis 21 œuvres qui avaient été bannies par les nationaux-socialistes comme ”dégénérées”, retirées des musées allemands et, étant considérées comme ”commercialisables au niveau international”, vendues. Ces acquisitions ont constitué une étape tardive, mais décisive, dans la constitution de la remarquable collection d’art moderne qui contribue aujourd’hui à l’identité du musée et de la ville de Bâle. » [2]
Peu après leur arrivée, les élèves se dispersent, chacun. e à son tempo. Quels éléments contextuels vont influencer le mode de réception des œuvres présentées ? La muséographie ? Sans aucun doute. La préparation en classe ? Vraisemblablement. Les visites d’expositions antérieures ? C’est très probable. Les expériences réalisées avec des médiateurs/trices culturel. le. s ? C’est possible. Convient-il, dès lors, d’analyser la muséographie, les démarches pédagogiques préparatoires à cette visite, la complémentarité entre les fonctions de médiateur/trice culturel. e et d’enseignant. e ou encore les références que les élèves mentionnent ou convoquent à demi-mots ?
Ce numéro de Spirale ne traitera ni de muséographie, dans son impact sur l’interprétation des œuvres, ni des rapports longitudinaux que des élèves peuvent entretenir avec des productions artistiques. Ici, c’est sur l’interprétation dans son émergence en situation éducative collective que la focale est mise, même si la nature de cette interprétation repose, entre autres, sur maints facteurs exogènes.
Revenons à la situation de départ. Les élèves vont-ils/elles amorcer, consolider, modifier des interprétations de ces tableaux et sculptures ? Qu’est-ce qui, de la préparation en classe, est susceptible de constituer un facteur d’intérêt, in situ ? Au fil des face-à-face successifs avec les œuvres exposées, quelles dramaturgies vont s’esquisser ? Que vont évoquer, par exemple, les « Chômeurs (Prolétaires) » peints par Franz Franck en 1928/20 sur une toile monumentale ? La curiosité des élèves sera-t-elle éveillée en découvrant des traces photographiques d’œuvres détruites sur ordre du pouvoir nazi ? Y aura-t-il identification au « Joseph » sculpté par Voll ?
Schürer, un contemporain de Voll, cité par Schubert (2006 : 180), a livré une interprétation des œuvres de ce sculpteur : « Lorsqu’il y a quelques années, une exposition d’œuvres de ce jeune artiste a fait le tour du monde, beaucoup ont été effrayés par la force avec laquelle l’expérience plastique se présentait à eux. Des corps patauds en bois, des expressions d’horreur d’enfants de prolétaires, des femmes massives, une plénitude impétueuse des corps, qui faisait presque exploser toute la sculpture […]. Ces personnages étaient des cris, voire des chansons, plus que des appels. Des accusations qui éclatent, des tremblements, aussi. La peur était là. »
Dans le cas où les élèves développent une interprétation, ira-t-elle dans le sens de celle de Schürer ? Qu’est-ce qui va jouer un rôle dans leur création de significations ? Est-ce que ce sont des savoirs historiques et politiques, des choix esthétiques de l’artiste, ou encore d’autres marqueurs sémiologiques qui vont influer sur leur perception des œuvres ? Quels textes entrent dans l’équation des facteurs interprétatifs ? De quels détails les élèves vont-ils/elles s’emparer ? Quelle vue d’ensemble vont-ils/elles – ou non – construire ?
Même en se limitant à ce qui émerge en situation d’enseignement-apprentissage scolaire, beaucoup de réponses à ces questions sont vouées à rester dans une boîte noire. Elles appartiennent à une sphère composite, car une diversité de sources et de repères contribue à la réception artistique : le face-à-face avec l’œuvre s’appuie sur des signes qui renvoient à des significations antérieurement construites. Chaque regard individuel est porteur de mémoire, d’autobiographie, de savoirs, d’expériences, même au sein d’une classe…
Comment, dès lors, appréhender l’interprétation ?

UNE MULTIPLICITÉ D’APPROCHES
ET DE TRADITIONS INTERPRÉTATIVES

Nous avons commencé par reconnaître l’intérêt qu’il y a à sonder les dynamiques particulières de l’interprétation en musique, en arts visuels, en théâtre, en littérature, en danse ou dans d’autres disciplines encore. Ce qui implique de porter attention aux formes d’émergence de l’acte interprétatif en classe – dans des activités de réception et de production, dans les échanges oraux, dans l’écriture vs la lecture, dans la fabrication du son vs la comparaison entre plusieurs versions lors d’écoutes successives, dans la composition plastique vs l’analyse d’un tableau ou d’une production graphique…
Cet acte interprétatif, tout individuel qu’il apparaisse, s’inscrit dans une ou des traditions. Et les traditions interprétatives, situables, bien que multiples ne peuvent manquer d’influer sur les acteurs scolaires en présence. C’est la raison pour laquelle nous avons, dans l’appel à contributions pour ce numéro de Spirale, mentionné certaines de ces traditions. À commencer par une longue tradition allemande, associant expérience esthétique et interprétation. Cette tradition marque l’enseignement musical de son empreinte (Hellekamps & Musolff, 1993 ; Koch, 2008 ; Liebsch, 2016). Dans un texte intitulé « Interprétation didactique de la musique », Jank (1996) s’appuie sur cette tradition et sur une approche philosophique de l’expérience esthétique (Gadamer, 1965 ; Harmann, 1953 ; Boehm, 1990). Il énonce certaines caractéristiques d’une didactique accordant une place à l’expérience esthétique. Selon Jank (1996 : 255, notre traduction), « un cours qui prend en compte les potentialités de l’expérience esthétique doit être conçu et structuré en faisant preuve d’une certaine ouverture. Mais cette ouverture ne signifie pas que les contenus et la structure du cours soient laissés au hasard, ni qu’ils soient à bien plaire. Elle trouve ses marques grâce à quatre paires de concepts (qu’il est possible de compléter). Ces paires fonctionnent comme des pôles et fixent didactiquement un horizon à l’écoute avertie et à la signification musicale. Les voici :
 objet – sujet
 perception esthétique – expérience esthétique
 décodage – expérience esthétique
 écoute musicale – production musicale. »

On notera que la perception est étroitement imbriquée dans le système ébauché par Jank dans ce passage ; l’auteur insiste sur la nécessité de créer, didactiquement, un espace particulier, pour que l’interprétation soit possible ; le décodage (des paramètres sonores, des aspects formels et structurels d’une œuvre, des caractéristiques de l’un ou de l’autre genre musical…), fait partie des éléments d’un système. Le but étant de réunir les conditions de l’expérience esthétique en milieu scolaire ; les activités de réception (écoute) et de production (faire de la musique) sont susceptibles de fonctionner comme un binôme. L’interprétation de la musique est, du point de vue didactique adopté par Jank, bien davantage qu’un simple face-à-face avec une œuvre.
Une autre tradition vivace est celle de l’interprétation dans les arts visuels en Italie et en France. En 2012, le Musée du Louvre organisait par exemple un cycle de conférences et de colloques intitulé : Le sens de l’œuvre - Le sens à l’œuvre. De l’interprétation dans les arts visuels, qui était présenté ainsi : « L’interprétation, dans la mesure où elle constitue l’œuvre en tant que telle et la distingue d’un simple objet, est inhérente au phénomène artistique : jusqu’à un certain point, chaque œuvre d’art est réinventée par le regard qui s’y attache. L’interprétation est créatrice. C’est l’idée à laquelle fait allusion la traduction française du titre de l’étude désormais classique de Salvatore Settis (1978) sur les différentes interprétations de La Tempête de Giorgione. De ce point de vue, l’œuvre, notre recherche du sens et les jeux d’interprétations qui procèdent de cette rencontre apparaissent comme un tout. »

PERCEPTION, SAVOIR ET INTERPRÉTATION
S’il est admis que, pour lire un texte et interpréter ce qui est lu, il faut en passer par différents apprentissages (du décodage des signes à la critique), la réception d’œuvres sonores ou plastiques peut susciter, quant à elle, le recours à une certaine forme de spontanéité. Comme si la sensibilité individuelle et les expériences personnelles des élèves permettaient, déjà, l’interprétation. Dans des activités de réception (concerts, visites d’expositions, par exemple), tout se passe alors comme si la confrontation des élèves avec les œuvres (pour reprendre l’expression de la Charte présentée le 17 septembre 2018 par les Ministères de la culture et de l’éducation nationale en France) pouvait avoir lieu sur la base d’une perception individuelle, mais au sein du collectif-classe : « La confrontation aux œuvres permet aux enfants de se familiariser avec le sensible et de développer leur créativité. À l’heure où les médias de masse concourent à une certaine homogénéisation culturelle, il est très important d’enrichir les perspectives des enfants en leur faisant partager la diversité des arts et de la culture européenne et des autres continents » (Charte du 17 septembre 2018).
La conception sous-jacente à cette Charte suppose une définition de la perception, puisqu’il s’agit de se familiariser avec le sensible. Celle-ci serait une forme de rencontre (une confrontation, dans son acceptation pacifique) peu ou pas médiatisée avec le monde des sons, des formes, des couleurs, des matières… Et cette rencontre sensible serait le substrat premier de l’interprétation, par le sujet, d’un artefact qualifié d’artistique.
Dans l’enseignement musical ou artistique, d’autres conceptions de la perception existent et viennent modifier cette perspective. L’une d’elles insiste sur la distinction entre une perception immédiate et une interprétation. Pour Pastorini (2010), le voir-comme est « un voir, non un interpréter » ; le voir-comme « appartient au domaine de la factualité immédiate de ce qui jaillit à l’improviste sans la médiation d’un raisonnement interprétatif » (ibid. : 3).
Pour Barbaras (2009) la perception a une double dimension : «  la perception se fait là-bas, dans le monde, et elle se fait en moi ; elle rejoint la chose telle qu’elle est en soi et elle saisit cette chose à travers les états du sujet » (p. 8). Ce « là-bas, dans le monde » renvoie à une inscription sociale et historique de l’artefact, impossible à ignorer, même si l’expérience est, selon Barbaras (2009), la conciliation des deux dimensions de la perception.
Arasse (1992), quant à lui, n’a cessé d’interroger les regards multiples qui peuvent être posés sur un tableau. Ce qui l’a amené à problématiser l’œuvre, c’est-à-dire à faire en sorte que les outils interprétatifs remplissent plusieurs conditions cumulatives : qu’ils situent et historicisent le regard sur un tableau, tout en interrogeant le savoir sur ce tableau.
Chatelain (2018) estime de son côté que le rapport subjectif et le développement de représentations personnelles ont été privilégiés par certains critiques, « face à “l’actionnisme musical”, c’est-à-dire à une pratique musicale sans réflexion et conceptualisation des expériences » (p. 35). Elle voit, « de l’autre côté, les apprentissages construits en rapport avec les travaux en psychologie de l’apprentissage musical (Gruhn, 2004 ; 2008) [qui] se concentrent davantage sur des aspects plus techniques » (Chatelain, 2018 : 35). Selon elle, « cette approche peut être interprétée comme une conséquence des tests tels que PISA. L’adoption des standards de formation dans les curricula allemands a abouti à la demande de pouvoir mesurer les compétences musicales des élèves ». Que faire de cette articulation entre perception, expérience, savoir et interprétation ? C’est une des questions cruciales pour l’enseignant de musique ou d’arts plastiques et visuels – et, a fortiori, pour la recherche en éducation artistique.
Un prolongement à cette question concerne le choix des outils interprétatifs construits (ou à construire) en classe. Pour les didacticiens comme pour les pédagogues, l’analyse des apprentissages artistiques réalisés en classe n’est pas imaginable sans l’énonciation préalable du fondement épistémologique de l’analyse.

DIMENSION HISTORIQUE DE L’INTERPRÉTATION
EN ÉDUCATION ARTISTIQUE

Les traditions musicologique et esthétique questionnent volontiers la dimension historique de l’interprétation des œuvres. Une diversité de définitions et de conceptions de l’interprétation, ainsi qu’une large palette d’activités de production ou de réception censées contribuer à des apprentissages de nature interprétatives témoignent de l’ancrage de cette notion en éducation artistique. En revanche, l’interprétation est plus rarement interrogée sous l’angle de la didactique. Inscrites dans des contextes sociaux, culturels et institutionnels porteurs de significations (Judet de la Combe, 1997) et médiatisées par l’enseignant, des traditions interprétatives déterminent un certain rapport aux dimensions historiques de leur transmission. C’est à ces dimensions historiques que s’intéresse ce premier axe de ce numéro.
La contribution de Baryga à ce numéro rend compte d’une tentative de transmission de savoirs propres à l’histoire des arts, par le truchement d’une activité de création de bande dessinée. Ceci sur la base d’un constat et d’une hypothèse. Le constat d’abord : les élèves sont généralement enclins à « raconter les œuvres ». L’hypothèse, ensuite : la « traduction » d’une œuvre en bande dessinée constituerait une forme d’interprétation propice à l’appropriation de savoirs relatifs à cette œuvre, elle-même fonction de sa situation historico-culturelle.

RAPPORTS ENTRE LA PERCEPTION
ET L’INTERPRÉTATION DANS LES PRESCRIPTIONS

Une deuxième partie de ce dossier questionnera les prescriptions et les pratiques d’interprétation censées en découler ainsi que les notions sous-jacentes à ces prescriptions et pratiques (perception, culture…), mais aussi le rapport entre les prescriptions officielles, les pratiques effectives et le curriculum (y compris le curriculum caché) d’études artistiques, et enfin les biais perceptifs en éducation artistique.
À cet égard, l’étude de Loquet et Audroing, figurant dans ce numéro, revient sur l’émission du son chanté et sur l’expérience chorale qui amène à différencier des paramètres entrant dans la fabrication d’un son. Des paramètres physiologiques (respiratoires, posturaux…) et des paramètres qualitatifs (timbre, justesse vocale…), que les auteures détectent dans la pratique d’un chef de chœur et dans les exercices effectués par des choristes. L’analyse de ces pratiques chorales est abordée à partir des sensations internes du corps, ce dernier étant considéré comme « milieu sensoriel ».
Au départ, les auteures postulent que l’expérience sensorielle que font les enfants choristes pour fabriquer le son est au fondement des savoirs interprétatifs d’œuvres chantées. Leur démarche les amène à passer au crible les choix lexicaux du chef de chœur ainsi que les activités physiques (exercées par les choristes) – des activités physiques qui se différencient des pratiques quotidiennes. Ainsi, elles prennent en considération une des caractéristiques de l’enseignement vocal, à savoir le peu de visibilité des gestes techniques accomplis par les interprètes ; et la nécessité, pour ceux-ci, d’opérer des distinguos grâce à leurs sensations internes, mais faisant l’objet de définitions mutualisées.

APPROCHE SITUÉE DE PROCESSUS DE CONSTRUCTION
D’UN « SAVOIR-INTERPRÉTER »
EN ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE COLLECTIF

Que ce soit en duo, dans un orchestre symphonique ou de jazz, dans la pratique de l’orchestre en classe pour la musique, comme dans la confrontation aux œuvres, en classe ou au musée pour les arts plastiques et visuels, interpréter en collectif tient à n’en pas douter d’un apprentissage et donc de modes de transmission. C’est cette construction d’un « savoir-interpréter » qu’il s’agit, pour certains chercheurs, de problématiser. Ceci sous l’angle d’un processus incluant l’altérité dans les « pratiques ordinaires » d’enseignement des arts.
La contribution de Buyck, Lenzen, Ligozat et Voisard à ce dossier sur l’en-seignement de l’interprétation s’appuie sur une ingénierie didactique dans le contexte scolaire suisse romand et dans le cadre du plan d’études romand (PER). Sachant que le PER assigne aux enseignant.e.s de faire expérimenter aux élèves des « interprétations et danses sur des thèmes variés, avec ou sans support acoustique », les auteurs ont analysé la mise en œuvre d’une ingénierie visant à ce que les élèves s’approprient de façon singulière les quatre enchainements (simplifiés pour le primaire) de Rosas Danst Rosas de la chorégraphe A. T. de Keersmaeker. Une expérience à dimension performative, qu’il convient d’articuler aux repères et préconisations du PER. Celui-ci prévoit de situer toute séquence de danse contemporaine à l’école dans un système où cohabitent une logique d’activités motrices, la notion de « potentiel esthétique » ou encore la conception d’activités permettant à l’élève d’exprimer sa « sensibilité ».
La contribution de Sanchez Iborra, quant à elle, s’interroge sur la façon « d’éduquer le regard des jeunes élèves de maternelle ou de cycle 2, construire un lexique spécialisé, s’exprimer plastiquement en partant de reproductions ou d’œuvres originales au musée. Et, ce faisant, produire des savoirs interprétatifs chez les jeunes élèves ». Elle part de l’hypothèse que « l’essentiel de la transmission pédagogique des notions artistiques ou culturelles passe par le langage oral en cycle 1 ». A partir de quatre études de cas, l’auteure mène une enquête empirique à partir des interactions verbales des protagonistes et procède à des observations participantes dont une des finalités est de détecter des « stratégies pour faire acquérir des notions artistiques et culturelle dans une éducation à l’art et par l’art » chez des professeurs des écoles stagiaires.

ANALYSE DE PRATIQUES EFFECTIVES/SITUATIONS
ET MILIEUX DIDACTIQUES AMÉNAGÉS
EN VUE D’UNE PROGRESSION DES ÉLÈVES
DANS LEURS ACTIVITÉS INTERPRÉTATIVES

Dans cet axe de réflexion, seront questionnés plus avant les outils didacti-ques pour l’analyse de situations d’enseignement et d’activités scolaires liées à l’interprétation d’une œuvre ainsi que le rapport entre activités de production et de réception dans la progression d’acquisitions de savoirs interprétatifs.
Si l’interprétation de l’œuvre passe souvent, en classe ou au musée, par l’activité langagière des élèves comme porteuse de savoirs, l’analyse des situations didactiques révèle l’importance de l’aménagement de milieux favorisant un accès, par le faire et la corporéité, dans la construction des savoirs interprétatifs.
La contribution de Melis aborde le rapport entre activités de production et de réception, dans la progression d’acquisitions de savoirs interprétatifs. L’auteure propose comme définition des savoirs interprétatifs « la capacité et les moyens donnés aux élèves de pouvoir parler des œuvres en passant d’abord par l’expérimentation plastique ». Elle questionne « le processus qui, à partir d’un signe, remonte à une signification » (Pastorini, 2018 : 3), dans le cadre d’une séquence en arts plastiques conçue par des professeurs des écoles. En l’espèce, ce contexte est important, puisque les moyens dont l’enseignant. e dispose pour concevoir et aménager des situations d’enseignement sont ceux d’un. e généraliste. Le dessein de l’auteure est le suivant : « En nous interrogeant sur l’activité enseignante en Arts platiques de professeurs non spécialistes, nous faisons référence à ce qui caractérise le réel de l’activité [c’est-à-dire] un ensemble d’interactions de trois natures : interactionniste, écologique et culturel² (Clot & Béguin, 2004 : 36) se développant dans un milieu. Nous cherchons à comprendre comment les enseignants agissent sur le milieu afin de créer des espaces de “capacitation” ».

LA CO-CONSTRUCTION DE L’INTERPRÉTATION
DANS UN DOUBLET/SAVOIRS SAVANTS
ET SAVOIRS TECHNIQUES

Quelles sont les spécificités, similitudes, porosités relevées entre les différents types d’institutions (scolaires, muséales, musicales), tant dans l’analyse des formes d’interventions, des contenus, des milieux aménagés pour les élèves, que des options prises ou imposées par des contextes et des situations spécifiques ? De quel rapport à l’art (Dias-Chiaruttini, 2015) et aux savoirs interprétatifs témoignent des dispositifs institutionnels et des pratiques ordinaires ? Nous nous poserons aussi la question du rapport entre savoirs interprétatifs et savoirs techniques dans des pratiques effectives d’enseignement artistique.
Bellu rappelle une des conditions de l’interprétation du répertoire de « musique savante occidentale » : la « restitution », par l’interprète, d’une partition écrite, dans laquelle toutes les caractéristiques du jeu instrumental ne peuvent figurer de manière exhaustive. Ce qui pose nécessairement la question des choix opérés par les enseignant.e.s, dans les cours qu’ils/elles dispensent aux interprètes débutant.e.s. Bellu ajoute : « L’acte d’interprétation implique aussi un acte de réception », en précisant que nombre d’œuvres écrites pour des débutants ne sont pas disponibles en version enregistrée. Voilà qui oblige l’élève (ici : de violoncelle) à aborder ces œuvres uniquement au travers de la partition. Quant au professeur, il doit faire la part d’une approche « sensible » (mettant la focale sur les qualités du son) vs d’une approche « analytique » (mettant la focale sur les caractéristiques de la partition). Ce qui amène Bellu à analyser l’agir enseignant au prisme de multiples variables sous-jacentes : la corporéité, la lecture solfégique, l’approche sémiologique d’une visée performative, la répartition des rôles dans la co-construction de l’interprétation…

MUSIQUE D’AVENIR
Qu’il s’agisse de projets ou de collaborations, les enseignements artistiques sont régulièrement amenés à faire cohabiter des démarches pluridisciplinaires et à susciter des interventions croisées entre spécialistes de différentes disciplines. Monter un opéra à l’école, sonoriser un numéro de cirque, créer un « son et lumière » ou choisir une musique pour une chorégraphie donnée constituent des exemples de ces croisements et associations disciplinaires. Comment fonctionne l’interprétation lorsque deux ou plusieurs approches disciplinaires sont en présen-ce ? Quels outils comparatistes d’analyse sont choisis pour appréhender les caractéristiques de ce type de situations ? Quelles méthodologies de recherche paraissent adéquates pour en rendre compte ?
Si l’histoire des arts à l’école ou l’analyse des références introduites dans les pratiques d’enseignement s’avèrent propices à une approche comparatiste (Cariou, Vendramini & Scherb, 2019 ; Gaillot, 2012), le corpus des études portant sur l’interprétation et se basant sur une approche comparatiste n’est pas encore très développé. Il y a là un vaste champ à explorer !

Isabelle MILI
Catherine GRVET BONZON

Didactique de la musique, des arts et du mouvement
Université de Genève

Références bibliographiques

Arasse D. (1992 / 2014) Le détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture. Paris : Flammarion
Barbaras R. (2009) La perception. Essai sur le sensible. Paris : Vrin.
Boehm G. (1990) « Über die Konsistenz ästhetischer Erfahrung » – Zeitschrift für Pädagogik 36, 4 (469-480).
Cariou D., Vendramini C & Scherb A. (2019) « Rencontrer une œuvre des Beatles en histoire des arts à l’école primaire. Une approche comparatiste en didactique » – Éducation et Didactique 13-1 (9-42).
https://journals.openedition.org/educationdidactique/3677
Chatelain S. (2018) « La recherche en didactique de la musique en Allemagne. Points de repère et perspectives » – Revue des HEP de Suisse Romande et du Tessin 23 (31-43).
http://www.revuedeshep.ch/site-fpeq-n/Site_FPEQ/23.html
Dias-Chiaruttini A. (2015) « Lecture d’une l’œuvre d’art au musée d’art et en classe de français. Approche didactique » – Spirale — Revue de Recherches en Éducation 56 (19-32).
https://doi.org/10.3406/spira.2015.1003
Gadamer H.-G. (1965/1990) Warheit und Methode, Grundzüge einer philosohischen Herme-neutik, 2. Durch einen Nachtrag erw. Aufl, Tübingen : Mohr.
Gaillot B. A.(2012) Arts plastiques. Paris : PUF.
Gruhn W. (2004) Wahrnehmen und Verstehen. Wilhelmshafen : Florian Netzel.
Gruhn W. (2008) Der Musikverstand : Neurobiologische Grundlagen des musikalischen Denkens, Hörens und Lernens. Hildesheim : Olms.
Hellekamps S. & Musolff H.-U. (1993) « Bildungstheorie und ästhetische Bildung » – Zeit-schrift für Pädagogik 39, 2 (275-292).
Hartmann N. (1953) Ästhetik. Berlin : De Gruyter.
Jank W. (1996) « Didaktische Interpretation von Musik oder Didaktik der musikalischästhetischen Erfahrung ? Eine Problemskizze » — in : Th. Ott [Hrsg] Musik befragt. Musik vermittelt. Peter Rummenholzer zum 60 (228-261). Geburtstag. Augsburg : Wiener
https://www.pedocs.de/volltexte/2020/18589/pdf/Jank_1996_Didaktische_Interpretation_von_Musik.pdf
Judet de la Combe P. (1997) « Sur la relation entre interprétation et histoire des interprétations » – Revue Germanique Internationale 8 (9-29).
Koch P. L.(2008) « Ästhetische Bildung » – Handbuch der Erziehungswissenschaft. Leyde : Brill | Ferdinand Schöningh (691-718).
DOI : https://doi.org/10.30965/9783657763504_035
Liebsch D. (2016) Die Geburt der ästhetischen Bildung aus dem Körper der antiken Plastik : zur Bildungssemantik im ästhetischen Diskurs zwischen 1750 und 1800 (vol. 2). Hamburg : Felix Meiner Verlag.
Pastorini C. (2010) « Le sens de la perception chez Wittgenstein » – Dogma 13.
https://dogma.lu/le-sens-de-la-perception-chez-wittgenstein/PDF pp. 1-13
Settis S. (1978/1987) L’Invention d’un tableau. « La Tempête » de Giorgione. Paris : Minuit.
Schubert D. (2006) « Holzbildwerke von Christoph Voll » – in : Anzeiger des Germanischen Nationalmuseums (173-188).
https://archiv.ub.uniheidelberg.de/artdok/2127/1/Schubert_Holzbildwerke_von_Christoph_Voll_2006.pdf

Spirale - Revue de Recherches en Éducation – 2023 N° 71 (3-11)


[1« Zerrisene Moderne. Die Basler Ankäufe “entarteter” Kunst » https://kunstmuseumbasel.ch/fr/expositions/2022/la-modernite-dechiree

[2Texte original, en allemand : « 1939, wenige Tage vor Ausbruch des Zweiten Weltkriegs, erwarb das Kunstmuseum Basel 21 Werke, die von den Nationnalsozialisten als “entartet” verfemt, aus deutschen Museen entfernt, und, da als “international verwertbar” eingestuft, veräussert worden waren. Diese Ankäufe waren ein später, aber entschiedener Schritt beim Aufbau der herausragenden Sammlung moderner Kunst, die heute die Identität dces Museums und der Stadt Basel mitprägt. »