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vendredi 21 juillet 2000

Un dictionnaire de didactique de la littérature
Sous la direction de Nathalie BRILLANT RANNOU, François LE GOFF, Marie-José FOURTANIER & Jean-François MASSOL
Paris : Honoré Champion (2020)

Saluons ici la parution de cet ouvrage inédit et essentiel. Ce « dictionnaire de didactique de la littérature » va très vite se révéler un outil incontournable. Plus qu’un dictionnaire, c’est un manuel complet pour les enseignants (du premier et du second degré), les étudiants et leurs formateurs. L’originalité de cet ouvrage tient d’abord au fait que la question de l’enseignement de la littérature est abordée du point de vue des trois pointes du triangle didactique : les savoirs, présentés dans les parties consacrées aux notions (parties I et II), les élèves dans la partie dédiée aux expériences de lecteur et de scripteur (partie III), les enseignants dans la partie consacrée aux démarches outils et dispositifs d’enseignement (partie IV). Les contributeurs, tous des chercheurs connus et reconnus dans le champ de la didactique du français, de la didactique de la littérature, s’attachent à rendre compte de l’avancée des recherches pour chacune des entrées. Outre cette organisation, l’ouvrage offre une bibliographie complète, une table des matières très précise, la liste alphabétique des notices, autant d’éléments qui font de cet ouvrage non pas un simple dictionnaire, mais un véritable guide pour tous.
L’ouvrage s’ouvre sur une synthèse intitulée : « L’Histoire de la didactique de la littérature. Émergence d’une discipline » (ibid., pp. 15-34). En une vingtaine de pages, Annie Rouxel et Gérard Langlade, figures historiques de la recherche en didactique de la littérature, retracent les différentes étapes qui ont marqué la naissance de cette discipline depuis une cinquantaine d’années. Ils fixent comme point de départ la naissance du collège unique et la reconfiguration du français, discipline enseignée, et rappellent les différents courants qui l’ont marquée et ont contribué à son émergence. Sont donc soulignés les apports successifs de la typologie de textes promue par Jean-Michel Adam, puis l’analyse du discours de Dominique Maingueneau et enfin celle de la pédagogie par objectifs, issue de la taxonomie de Bloom. Dans la décennie suivante, ce sont le modèle de la lecture méthodique, les travaux d’Umberto Eco et la conception de la séquence pédagogique qui triomphent dans l’enseignement de la littérature, au collège comme au lycée. Même si les auteurs rappellent à propos du modèle de la séquence pédagogique qui s’impose que, « loin de s’enfermer dans une mise en œuvre, même intelligente, de cette modélisation de l’enseignement, la réflexion didactique, constamment tendue vers la recherche, suppose dans sa dimension praxéologique la liberté innovante de l’enseignant. Celui-ci peut imaginer et tester d’autres dispositifs, d’autres activités dont il peut tirer des savoirs nouveaux » (ibid., p. 28), il n’en demeure pas moins que l’enseignement de la littérature au cours de cette pé-riode est dominé par celui des formes. Dans la dernière période qui s’ouvre au début des années 2000, il s’agit, en réaction aux dérives formalistes de la période précédente, de re-donner sa place au sens, à la lecture subjective et au sujet. En effet, « la lecture littéraire à quelque niveau que ce soit, est dominée par la dimension du sujet. Elle n’a de sens et de valeur que par son engagement. Le sujet s’approprie le texte, le singularise et lui donne vie. C’est pourquoi la lecture littéraire ne peut être qu’une lecture subjective riche de la multiplicité de ses réalisations » (ibid., p. 31). Les dernières pages de ce très riche avant-propos sont consacrées à la lecture subjective et à sa didactique. Les auteurs ne se contentent pas de définir le concept, mais surtout ils soulignent l’importance du choix des œuvres étudiées puisqu‘elles doivent être « aptes à susciter […] les réactions personnelles des élèves et à provoquer des réalisations lectorales plurielles » (ibid., p. 33), et proposent des dispositifs didactiques afin de favoriser l’implication du lecteur dans l’œuvre.
L’ouvrage est ensuite divisé en quatre parties : chaque partie est composée de plu-sieurs articles classés par ordre alphabétique. Rédigée par un spécialiste de la question et suivie d’une courte bibliographie, chaque entrée fait le point sur les aspects théoriques de la notion et met en avant les différents sens qui lui ont été attribués, puis montre son importance pour la didactique de la littérature et la façon dont elle est actualisée dans les textes et/ou les pratiques de classe. Les articles, qui présentent des notions sujettes à discussion, exposent également les questions en cours. Par exemple, Nathalie Brillant Rannou, dans l’article consacré au « Plaisirs de lecture » (ibid., pp. 256-257), après avoir évoqué les différentes réflexions autour de cette question du plaisir, conclut en évoquant les réflexions parallèles pour l’écriture. Il est évidemment impossible de présenter ici un résumé de chacun des articles fort riches de ce volumineux ouvrage, c’est pourquoi je me contenterai d’en examiner un ou deux.
La première partie, intitulée « Jalons historiques et théoriques en didactique de la littérature », regroupe des notices consacrées aux concepts issus de la théorie littéraire, sur lesquels s’appuie la didactique de la littérature. Cette partie s’ouvre sur un article de Pierre Sève qui montre combien la notion d’auteur et d’auctorialité a été stimulante pour la didac-tique de la maternelle au lycée, non seulement pour enseigner la lecture, mais aussi pour penser la question de l’écriture à l’école, de son enseignement et de son évaluation. La compréhension, question essentielle pour l’enseignement de la littérature, est abordée dans deux articles, respectivement intitulés « Compréhension/Interprétation/Inférences » et « Compréhension, Interprétation, Explication ». Le premier fait un rappel très clair et très utile des différentes théories rendant compte des relations entre compréhension et interpré-tation, et des principaux critères qui permettent de les distinguer. Le second remet en pers-pective dans le cadre scolaire la question de la compréhension et montre la fécondité des travaux du philosophe Paul Ricœur pour éclairer la question des relations entre compréhension et interprétation. Jean-Louis Dufays et Bertrand Daunay, quant à eux, prennent le temps de préciser la notion de « lecture littéraire ». Et après avoir rappelé les conditions de son émergence, ils signalent que ce n’est que très récemment, sous la plume de Brigitte Louichon que sa définition s’est stabilisée. Ils montrent enfin l’importance et la richesse de la notion qui « permet de comprendre et de favoriser les réactions des élèves face aux textes littéraires, de manière à développer chez ces « sujets lecteurs » les moyens d’appréhender les textes en prenant en compte, outre les aspects formels et historiques qui peuvent aider à construire le sens d’un texte, leurs propres réactions subjectives et les conflits possibles d’interprétations entre les élèves ».
Dans un article de six pages (ibid., pp. 67-73), Marie-France Bishop et Jean-François Massol, retraçant l’avènement de l’enseignement de la littérature en France, distinguent « les périodes de l’enseignement de la littérature dans le secondaire » et celles de « la lecture des textes à l’école élémentaire ». Cette distinction est essentielle concernant la littérature, car c’est à partir de son enseignement au collège et au lycée que la question didactique a émergé. Cette mise en perspective nous rappelle que l’entrée de l’enseignement de la littérature dans le premier degré est relativement récente. Notons que cette partie, outre les apports théoriques et les éclaircissements sur de nombreux concepts théoriques convoqués dans l’enseignement de la littérature, présente les rencontres des chercheurs en didactique du français et l’Association française des enseignants de français, ainsi que trois revues de didactique de la littérature : Le Français Aujourd’hui, Pratiques, La revue de recherche en littératie médiatique multimodale. Ce choix des auteurs rend hommage à ces publications scientifiques qui ont diffusé les travaux des chercheurs. Ce sont ces équipes qui, depuis plusieurs dizaines d’années, publication après publication, ont permis que les concepts théoriques rassemblés dans ce dictionnaire soient élaborés, conceptualisés, discutés pour devenir ensuite habituels dans les pratiques de classe.
Dans la deuxième partie sont regroupées les notions qui permettent de décrire les textes. Bien évidemment on y retrouve les entrées « classiques » consacrées à la question des genres littéraires et aux différents genres. Deux entrées me semblent particulièrement intéressantes : ce sont celles consacrées à l’intertextualité et au personnage. Violaine Houdard-Mérot, après avoir rappelé son origine et ses différents sens, souligne l’importance et la vitalité de la notion d’intertextualité en didactique tant pour la lecture que pour l’écriture, tout en mettant en garde contre les risques de confusion avec la réécriture et l’imitation. L’article consacré au personnage est également très stimulant. Les auteurs rappellent l’importance du travail de Catherine Tauveron qui, « dès 1995, a posé le personnage comme "une clef pour la didactique du récit" » (ibid., p. 179) et montrent que, désormais, le personnage est une notion clef pour l’enseignement de la littérature. Ce dernier fait d’ailleurs l’objet de préconisations particulières dans les derniers textes officiels.
La troisième partie intitulée « Les expériences de lecteur et de scripteur : comment lit-on ? Comment écrit-on ? », est peut-être la plus originale de cet ouvrage : les entrées qui y sont rassemblées sont en effet centrées sur les activités des lecteurs et des scripteurs. Ces notions qui semblent s’appliquer à l’enseignement de la littérature dans le second degré sont aussi de plus en plus mobilisées dans le premier degré et appartiennent désormais au vocabulaire de tous les enseignants chargés de faire de leurs élèves des lecteurs. Parmi les notions ici convoquées, arrêtons-nous sur celles du débat interprétatif, du non lecteur, ou encore du texte du lecteur. Le riche article d’Ana Dias Chiaruttini vient compléter de façon très précise les deux articles consacrés à la compréhension (cf. 1re partie) et après avoir livré au lecteur les différentes conceptions, l’auteur termine son propos en présentant la posi-tion de Fish, qui « ne reconnaît aucune autonomie ni au texte ni au lecteur, ce qui d’un point de vue didactique est particulièrement heuristique pour penser les contraintes de l’activité du sujet didactique (assujetti à une situation de lecture) quand il est pensé comme un sujet lecteur » (ibid., p. 236). Le choix des entrées « non-lecteur » et « texte du lecteur » pourraient surprendre celui qui ne serait pas au fait des concepts utilisés dans l’enseignement de la littérature. L’article consacré au « non-lecteur » fait le point sur les études socio-logiques concernant la lecture des jeunes et s’appuie notamment sur les travaux de Bernard Lahire ou de Sylvie Octobre. Si cette question concerne a priori les élèves du second degré, la question est bien finalement celle de la façon dont l’école peut « susciter un réel intérêt pour la lecture de littérature » (ibid., p. 253) et intéresse au premier chef les enseignants du premier degré. Une esquisse de réponse a été apportée par Sylviane Ahr qui propose de favoriser la mise en œuvre de lectures actualisantes. Marie-José Fourtanier pour qui, « le syn-tagme “texte du lecteur” désigne à la fois l’apport du sujet lisant à la réalisation de l’œu-vre lue et le résultat (qui peut être très divers) de cet apport » (ibid., p. 271), montre com-bien cette expression est féconde pour l’enseignement de la lecture littéraire. Désormais son enseignement s’intéresse au lecteur réel « porteur de ses affects, de son imaginaire, de sa culture et de ses lectures antérieures » (ibid., p. 272) et l’une des modalités privilégiées pour faire émerger le « texte de lecteur » est celle de l’écriture : celle des auteurs et celle des élèves.
Très logiquement la dernière entrée regroupe les pratiques de classe et permet de faire le point sur celles qui ne sont pas toutes stabilisées. Ainsi, l’article consacré au « Carnet de bord » tout en renvoyant à celui consacré aux « Théories de la réception » aborde la question de la diversité des pratiques de classe face à un même objet. Ces disparités, selon les auteurs, refléteraient « les tensions qui marquent encore aujourd’hui l’enseignement de la lecture de la littérature, à quelque niveau que ce soit » (p. 283). Face à cette hétérogénéité les auteurs rappellent les différentes conceptions de la lecture en jeu dans cette pra-tique de classe recommandée par les instructions officielles à partir du cycle 2. Elles insistent sur l’importance pour les enseignants de prendre le temps de réfléchir à la conception de la lecture de la littérature présentée dans les consignes données aux élèves. Cette der-nière partie du dictionnaire s’achève sur une sous-partie consacrée à « l’évaluation en di-dactique de la littérature ». Les deux premiers articles de cette dernière partie sont consacrés aux difficultés de l’évaluation de l’enseignement de la littérature, dont Jean-Louis Dumortier rappelle qu’elle rend compte de capacités et de compétences, sans montrer la place des lectures et de leur enseignement dans la formation (Bildung) des élèves. Dans l’article suivant, N. Brillant Rannou, loin d’en souligner l’incomplétude et les imperfec-tions, met en avant l’écriture et la lecture créatives pour évaluer l’expérience effective ou le processus d’apprentissage des élèves. Il faut donc, dans cette optique, dépasser la question de la validation de compétences académiques, ce qui implique que tous les enseignants soient disponibles et manifestent des « compétences de lecture littéraire sensible » (ibid., p. 302). Une des dernières entrées de ce dictionnaire est consacrée à une pratique devenue habituelle dans les classes de maternelle et de l’école élémentaire, celle de la « Lecture en réseau », notion qui « fournit un cadre pour envisager les relations entre les diverses œu-vres offertes à la lecture des élèves et le rôle que des lectures antérieures ou parallèles peuvent jouer dans la compréhension/interprétation d’une œuvre en cours de lecture » (ibid., p. 317). Tout en proposant des exemples de mise en réseau, P. Sève met en garde contre le risque de confusion avec le regroupement thématique. Il s’agit d’apprendre aux élèves à établir des liens avec leurs lectures antérieures, à avoir une « conduite culturelle ».
Véritable outil de travail, cette synthèse claire et complète, utile aux spécialistes comme aux non spécialistes, vient combler un vide. En effet, si la didactique de la littérature intéresse au premier chef les enseignants du second degré, elle fait désormais intégra-lement partie de la formation des professeurs des écoles. Et c’est à ce titre que ce livre devrait figurer au programme des lectures obligatoires de tous les étudiants qui préparent un concours d’enseignement. En proposant des entrées différentes et en croisant les points de vue, cet ouvrage peut se lire de différentes manières et surtout il constitue une somme : il mérite de se trouver en bonne place dans les bibliothèques des formateurs et des INSPÉ.

Béatrice FINET
CAREF UR UPJV 4697
INSPÉ de l’Académie d’Amiens
Université de Picardie – Jules Verne