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dimanche 8 septembre 2019

« Lire-dire des sciences ou de l’histoire pour construire une pensée »
Présentation
- Spirale 64 (2019)

Sommaire

La bande dessinée, la littérature de jeunesse, les pages web, la presse, la « grande littérature » et le manuel scolaire, en exposant des savoirs académiques plus ou moins vulgarisés, plus ou moins didactisés, constituent d’autres entrées possibles en science ou en histoire que l’expérimentation, l’observation, la recherche de traces ou de témoignages (Olson, 1998).
La lecture personnelle ou collective de ces écrits, suivie d’une évocation de cette lecture au travers un questionnement libre ou semi-dirigé en classe permet d’amener les élèves à faire la distinction entre les écrits fictionnels liés au monde de l’imaginaire et les écrits documentaires liées au monde réel et à son passé (Chabanne & Bucheton 2002 ; Jaubert, 2007). Cela développe aussi une capacité de « reliance », capacité à relier les choses de manière à dépasser l’« insularisation » des savoirs. Cela facilite d’autant la reformulation d’un problème à résoudre par la suite, dans le cadre d’une démarche d’investigation que l’on se doit de favoriser en sciences expérimentales et qu’il peut être intéressant d’adopter en histoire. La lecture et le langage d’évocation, accompagnant la découverte du monde et du temps long, permettent alors à l’élève d’entrer dans des apprentissages savants (Jorro, 1999) et facilitent le passage d’un langage quotidien à un langage scientifique ou historique scolaire (Vézier & Doussot, 2019). En effet, évoquer c’est « faire exister dans sa tête », c’est faire revivre mentalement à l’élève quelque chose qu’il vient de lire et lui permettre de se décentrer, de ne plus être dans l’action immédiate. Ainsi, il peut accéder aux opérations mentales dont l’intérêt est majeur dans les apprentissages : savoir anticiper, imaginer, se projeter dans l’avenir, émettre des hypothèses, analyser, entrer dans la déduction ou encore se rappeler, mémoriser, critiquer, répondre aux questions, résoudre un problème. De nombreux travaux (Tutiaux-Guillon, 2008 ; Schneeberger & Vérin, 2009 ; Orange, 2012) ont ainsi permis de mieux cerner le « penser en sciences et en histoire » et les processus cognitifs à la fois spécifiques et communs à ces deux disciplines mis en jeux en classe : exposition des faits, problématisation, construction de schèmes explicatifs, conceptualisation. Afin d’entrer dans cette abstraction conceptuelle, l’élève va donc devoir utiliser un outil indispensable à la construction du savoir qui est le langage d’évocation. Et les programmes actuels de l’école, du collège et ceux du lycée de placer au cœur des démarches, la capacité à dire, tant à l’écrit qu’à l’oral.
Si l’on soumet la question des liens entre la lecture, le langage et le développement de la pensée au domaine de l’enseignement des sciences expérimentales ou de l’histoire, on mesure à quel point celle-ci est d’une grande richesse de par la diversité des activités auxquelles elle peut donner lieu et des enseignements que le professeur peut en tirer puis partager avec les élèves, pour mieux prendre en charge leurs apprentissages, afin de ne pas se contenter d’évaluer seulement leurs acquis mais d’apprendre à analyser ce qu’ils sont en train d’apprendre. Ce numéro 64 de Spirale cherche ainsi à approfondir quelques aspects des rôles que tient le langage d’évocation dans la construction des savoirs scientifiques et historiques, et dans leurs apprentissages. Lire-dire : ce doublet didactique constitue en effet, pour une grande partie − ne manque que l’écrire −, le socle des activités voire des finalités d’un apprentissage. Cependant, la grande majorité des recherches portant sur le langage et la construction de connaissances a trop souvent masqué un problème décisif : qu’est-ce qui tient ensemble ce doublet, c’est-à-dire lui donne une opérationnalité didactique ?
Les contributions regroupées au sein de ce numéro déclinent diversement la thématique du lire-dire vu par le prisme scolaire disciplinaire de l’histoire et des sciences, en allant de la classe de maternelle à l’immersion dans des laboratoires, et dans un contexte francophone élargi à la Catalogne et au Québec. Le hasard des propositions reçues offre un nombre plus important d’articles explorant les sciences que l’histoire, seules deux concernent cette dernière. Notons également que la perspective de l’interdisciplinarité est bien présente dans plusieurs des réflexions proposées, notamment via des spécificités curriculaires puisque, au Québec, c’est l’univers social, regroupant l’histoire, la géographie et l’éducation à la citoyenneté, qui désigne un domaine d’enseignement (Stan, Zarié, Vallée-Longpré) ; mais l’interdisciplinarité sous-tend explicitement d’autres réflexions, telles que celle de Nathalie Portas qui fait s’entrecroiser philosophie, français et sciences, et celle de Isabel Pau-Custodio, Catherine Bruguière, Conxita Marquez-Bargallo, où français et sciences de la nature deviennent complémentaires.
Notre intention n’est certainement pas de maintenir des cloisonnements disciplinaires, mais, les contributions s’inscrivant dans le cadre de l’histoire scolaire n’étant que deux et leurs analyses offrant des points de convergence, nous amorçons notre présentation par celles-ci. Un objectif commun traverse les analyses de Catinca Stan, Alexandre Zarié, Julien Vallée-Longpré, et de Didier Cariou : montrer, par l’analyse didactique de dispositifs et situations de classe, les possibilités de dépasser des pratiques habituelles de lecture en classe d’histoire qui visent principalement à identifier, dans les supports proposés à la lecture des élèves, des faits du passé, à y rechercher des informations validant les savoirs enseignés. Pour cela, Catinca Stan, Alexandre Zarié, Julien Vallée-Longpré exposent une recherche exploratoire, menée dans des classes de 4e et 5e années du primaire au Québec (équivalent du CM1 et du CM2 en France) qui permet d’envisager que, lorsque des œuvres d’art font partie du cours d’univers social, plus particulièrement pour l’histoire, celles-ci ne soient plus lues que pour valider les connaissances historiques, mais qu’elles fassent l’objet d’un traitement didactique spécifique de façon à ce que les élèves puissent en faire une lecture sensible. Cette lecture sensible donne alors à l’élève une place d’interprète de l’œuvre, sollicite sa sensibilité à la dimension esthétique, ses émotions, et le met en situation d’exprimer ses opinions. Pour ces chercheurs, si plusieurs documents sont proposés à la lecture des élèves en classe, il n’est pas possible de lire une œuvre d’art comme serait lu un texte de loi. Ils appellent donc à combiner lecture sensible et lecture historienne pour une œuvre d’art afin de favoriser le travail interprétatif de l’élève. Cela nécessite une acculturation à ce type de lecture, et donc des modules de formation (pour l’enseignant, et pour les élèves). S’ils pointent les limites de ce dispositif exploratoire à leurs yeux, leurs constats appellent indéniablement à poursuivre cette voie pour lire en classe d’histoire afin de dire depuis une position assumée de lecteur-interprète. C’est aussi une lecture interprétative que Didier Cariou propose pour favoriser la compréhension de faits historiques, lecture interprétative plutôt que lecture littérale, ou réaliste, qui ne vise qu’à extraire des informations des supports lus. La situation qu’il analyse provient d’une séance d’histoire en classe de cycle 3, correspondant au format habituel dans lequel les élèves doivent chercher des éléments dans un ensemble de documents, en l’occurrence pour produire un écrit racontant comment l’empire romain s’est effondré et la place que les populations Barbares (Didier Cariou précise historiographiquement l’évolution de l’usage du terme Barbares) ont pris dans ce processus. Il regarde de plus près un groupe de quatre élèves qui travaillent ensemble à enrichir un écrit par la lecture des extraits d’un ouvrage documentaire de vulgarisation historique destiné à la jeunesse. L’auteur analyse leurs échanges, ou ce qu’ils disent à partir de ce qu’ils lisent. Si les élèves mobilisent indéniablement une lecture réaliste en trouvant les informations dont ils ont besoin pour répondre à la consigne, il s’avère qu’ils entrent aussi dans une lecture plus interprétative lorsqu’ils se confrontent à une réticence du texte, ce qui provoque la mobilisation d’inférences, l’émission d’hypothèses à argumenter au fil des interactions entre eux. Les élèves sont alors introduits dans un travail d’enquête suscité et soutenu par les documents soumis à leur lecture. Mais Didier Cariou pointe explicitement la question de la nature du texte qui influe sur la pratique de lecture mobilisée ; un texte réticent favorisant une approche critique.
Ce sont aussi des ensembles documentaires qui constituent ce qui est donné à lire aux élèves dans la réflexion de Patrick Avel, avec laquelle nous passons en sciences. Les deux situations qu’il présente montrent comment lire contribue à faire travailler les élèves avec des problèmes en sciences, plus particulièrement en biologie. Dans une classe de CE2, il s’agit de résoudre un problème, mettant en jeu le concept de chaîne alimentaire ; ce problème émerge suite à la lecture, par le professeur, d’un premier texte qui introduit une question : « Comment se fait-il que le jardinier qui n’est pas sourd, n’entende plus les oiseaux chanter ? ». C’est ensuite par une succession de phases de lecture, d’échanges, d’écriture que se construit la résolution de l’énigme. Les élèves sont alors engagés dans un travail de détective et c’est par la lecture des documents qui leur sont proposés, qu’ils émettent des hypothèses, qu’ils étayent ou écartent, et prennent donc position dans la communauté discursive scientifique scolaire qui s’actualise. La deuxième situation se déroule dans une classe de CM2. Il est attendu des élèves qu’ils entrent dans un processus de problématisation dans le cadre d’une séance portant sur la circulation sanguine et notamment ce qui la rend possible. Là aussi, une succession de phases met les élèves en position de lire, d’échanger, de mettre à l’épreuve leurs compréhensions et leurs hypothèses. De fait, les élèves réfléchissent à ce qu’ils viennent de lire, les éléments des textes sont souvent mobilisés à bon escient, même si l’auteur souligne qu’ils ont peu problématisé, et davantage expliqué. Néanmoins, l’analyse de ces deux séances montre que lire soutient et permet les raisonnements des élèves, en les mettant en position de détective (pour la classe de CE2), ou en situation d’identifier un problème théorique (pour les CM2) avec ses contraintes et ses nécessités, même si ce dernier objectif n’est que partiellement atteint. L’auteur ne manque pas de souligner également la place importante de l’enseignant dans ces situations, qui par ses interventions dans les échanges, cadre les interactions, fait des textes de réels outils de travail et favorise l’avancée des raisonnements.
Après ces analyses portant sur des lectures documentaires (c’est-à-dire, des corpus de documents, de natures diverses), les trois articles qui suivent s’appuient sur d’autres types de supports puisqu’ils explorent la lecture d’œuvres littéraires, album de jeunesse ou roman de fiction réaliste, et roman fantastique, mais toujours en articulation avec l’enseignement des sciences. Avec Pierre Fleury, nous entrons en maternelle, dans une classe de Petite Section et Moyenne Section. De façon très minutieuse l’auteur propose une analyse de ce qu’est un concept scientifique pour ensuite spécifier celui en jeu dans son étude, le concept de masse. Enseigner le concept de masse en maternelle peut paraître complexe, mais Pierre Fleury présente le dispositif mis en œuvre en montrant tous les choix didactiques (en corrélation avec les instructions officielles) qui ont présidé à sa construction : le choix du genre de la fiction réaliste, « scientifiquement recevable dans notre monde réel », ensuite le choix stratégique de l’album (L’ours qui s’ennuyait sur sa balançoire, de B. Charlat) qui permet de mettre en scène le concept étudié, en respectant une accessibilité scientifique et scripturale pour des élèves de petite et moyenne sections, et le dispositif de tâtonnement expérimental mis en place dans la classe afin de permettre des manipulations de façon individuelle. Dans cette situation, le concept de masse est donc découvert au travers d’objets réels, puis réintroduit par l’album de littérature de jeunesse, il y a donc confrontation entre le monde réel et le monde de la fiction. Le lire au travers d’un album de fiction réaliste prend une place particulière, et plutôt inédite, dans le dispositif puisqu’il permet l’évaluation du niveau de construction du concept de masse. C’est la liste de critères, construite par le chercheur, qui permet d’identifier chez de jeunes élèves ce niveau de construction, à partir de leurs productions verbales, lorsqu’ils disent ce qu’ils ont vu, compris suite à la lecture de l’album par l’enseignant, et à partir de productions graphiques (dessin et dictée à l’adulte). Le regard critique porté sur ce dispositif en identifie les limites, voire les biais (notamment lorsque la dimension affective liée à l’album semble tendre à esquiver le concept scientifique), mais nous avons là une belle expérience de la place du lire en maternelle pour étayer l’entrée dans la construction d’une pensée scientifique.
Lire un roman en cours de sciences, voilà qui n’est pas banal. C’est ce que présente l’article suivant, qui nous fait rester dans le monde de la fiction réaliste, mais avec un public et un contexte différent. Nous sommes en classe de 5è, en Catalogne, et en cours de Sciences de la nature. Il s’agit de lire en cours de Sciences, et lire un roman de fiction réaliste, La balada del funicular miner (Hernàndez, 2013). Les auteurs, Isabel Pau-Custodio, Catherine Bruguière, Conxita Marquez-Bargallo, suggèrent que les récits peuvent favoriser l’entrée dans le langage scientifique pour tous les élèves, dont les plus démunis. En l’occurrence, le dispositif présenté vise à permettre aux élèves de mobiliser des raisonnements scientifiques et notamment des justifications cohérentes. Le choix du genre de la fiction réaliste présente ici, comme chez Pierre Fleury, l’intérêt d’une intrigue scientifiquement recevable ; de plus, dans la situation expérimentée, la particularité du texte est d’être réticent, au sens de Tauveron (dont la référence est également présente dans l’article de Didier Cariou), en ce qu’il est construit sous forme d’énigme et qu’il contraint nécessairement le lecteur à mettre en relation différentes informations. L’analyse montre la complémentarité d’une lecture littéraire interprétative et d’une lecture à visée épistémique permettant la construction d’hypothèses par la mise en relation d’indices. De plus, dans cette situation, le lire provoque des débats dans lesquels les élèves confrontent leurs hypothèses d’identification d’une espèce animale et argumentent en adoptant une posture réflexive. Nous avons là une nouvelle déclinaison du lire, en sciences, pour dire et raisonner.
La contribution suivante montre également un dispositif qui s’appuie sur la lecture d’un roman, mais d’un genre autre puisqu’il s’agit d’un roman fantastique, Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley. L’interdisciplinarité y est particulièrement illustrée puisque la situation proposée et analysée montre, à partir de la lecture de ce roman, une initiation à la philosophie (une Pratique à Visée Philosophique) dans un cours de français pour penser ensemble sur les sciences, et interroger plus particulièrement les avancées scientifiques et technologiques au sein du monde dans lequel les élèves vivent, en l’occurrence des élèves de 4è en collège. Nathalie Portas inscrit cette étude dans une réflexion plus large sur l’introduction de la philosophie au collège, et elle décrit finement ici les étapes de la situation analysée au sein de laquelle se loge le lire pour dire au sein d’une communauté, en mobilisant des connaissances disciplinaires, scolaires et extrascolaires. Elle identifie, par son analyse des discours des élèves, le passage d’un « lire-dire pour penser la science » à un « lire-penser pour pouvoir dire la science ».
Ce dossier thématique se clôt par l’article d’Albine Courdent, Clémence Deligne et Romain Versele. Ils présentent un dispositif original mené dans le cadre du projet « Énigmes scientifiques », mis en place par la Faculté des sciences de Lens et le département du Pas-de-Calais, qui permet à des élèves de la classe de 4è de découvrir par immersion les activités de laboratoires partenaires, en l’occurrence, le Laboratoire de la Barrière Hémato-Encéphalique (LBHE) et l’Unité de Catalyse et de Chimie du Solide (UCCS) de l’Université d’Artois, et le Laboratoire de Spectroscopie Infra-rouge et Raman (LASIR) de l’Université de Lille. Le cœur de la réflexion proposée s’appuie sur le récit, et les trois chercheurs ancrent épistémologiquement leur choix, notamment en ce que le récit, en tant qu’opération de mise en ordre d’éléments hétérogènes, permet d’organiser la pensée et favorise la compréhension de phénomènes du réel. Dans le dispositif analysé, les élèves sont invités à montrer, par la production d’un récit, la façon dont une énigme scientifique peut être résolue. Les activités menées en laboratoire avec les chercheurs étayent la dimension scientifique par des expérimentations et manipulations, les temps de classe avec l’enseignant permettent la construction de la mise en intrigue, et la production finale, le récit de la résolution d’une énigme scientifique, qui est ensuite présentée oralement à un jury d’enseignants-chercheurs des différents laboratoires et d’enseignants du second degré. Tout au long du processus, dans les laboratoires et dans la classe, les élèves sont amenés à lire selon leurs besoins pour chercher des informations, mieux comprendre, et à dire pour confronter leurs compréhensions, leurs investigations. Ce n’est pas le lire qui contribue ici à structurer une production, mais bien la perspective de construire un récit qui motive le lire et le dire pour mettre en cohérence des apprentissages.
Lire domine l’ensemble des contributions mais en montrant tout autant une diversité des supports de lecture, œuvres d’art, corpus documentaires, album, roman, qu’une diversité des modalités de lecture, lecture sensible, lecture interprétative, lecture à visée épistémique, lecture pour évaluer… Quoiqu’il en soit, c’est indéniablement l’articulation, relevant de choix didactiques, de l’acte de lecture à une autre tâche (par exemple, production d’un écrit, ou d’un récit) ou activité (par exemple, débat qui mobilise l’émission d’hypothèses, l’argumentation) qui favorise la construction de raisonnements et le développement de la pensée.
L’objectif de ce dossier était d’interroger, dans le cadre de situations d’enseignement-apprentissage, ce que peut traduire le trait d’union du doublet lire-dire, qui relève plus de l’articulation conceptuelle que de l’incantation. Un trait d’union cela sert de liaison et cela produit un composé à partir du lire et du dire. Cette liaison peut faciliter également les interactions entre ces deux éléments. La continuité et/ou la discontinuité entre le lire et le dire doivent alors être posées. En effet, la lecture personnelle est un temps d’appropriation individuelle des idées. Quant au langage d’évocation, s’il constitue un temps d’appropriation collective, il est évanescent. Le passage de l’un à l’autre gagnerait à être pensé car ce sont deux éléments incontournables dans la construction d’une pensée. Ainsi, l’évocation orale ou écrite d’une lecture individuelle est-elle utile ? Pour l’élève lecteur peut-être ? Mais pour les autres ? À quelles conditions pourrait-elle le devenir ? À condition d’être reprise par les autres élèves lecteurs du même texte ? D’être reformulée ? D’être décortiquée par le professeur pour créer une mise en commun et permettre un réexamen par l’élève de son propre dire à partir d’une grille d’analyse élaborée collectivement ? Enfin, l’évocation orale ou écrite d’une lecture individuelle est-elle utile pour l’enseignant ? Qu’apprend-il finalement sur l’apprentissage de l’élève orateur ou scripteur ? En quoi les discours échangés entre celui qui enseigne et celui qui apprend, aussi bien que les interactions entre apprenants, nous renseignent sur leurs difficultés comme sur leurs réussites ou sur les transformations de leurs cheminements de pensée ?
L’ensemble des contributions de ce dossier a permis de construire quelques repères et de proposer des pistes de réflexions étayées au sujet de l’articulation du lire et du dire. Plusieurs champs d’analyse ont ainsi retenu notre attention : il s’est agi de comprendre dans quelle mesure et comment lire et dire s’articulent dans une perspective développementale langagière, d’une part ; il s’est agi aussi de penser l’activité didactique elle-même, d’autre part. Mais articulation ne veut pas dire forcément interaction et il est d’autres modes d’articulation, de la concomitance à l’inclusion : le dire sur le lire nécessite préalablement le lire, l’inverse n’est pas vrai. Par ailleurs, penser l’articulation ne veut pas dire la même chose selon que l’on se place sous l’angle des compétences (individuelles), des activités (didactiques) ou des pratiques (sociales). Et ce n’est pas la même chose selon qu’on choisit le point de vue de l’objet textuel ou des processus qui composent lecture et oralité, lecture et écriture ; ou selon le niveau d’enseignement ; ou selon les disciplines. Enfin, l’objectif des dispositifs didactiques présentés dans ce numéro, articulant lire et dire, peut se situer à différents « niveaux » en termes d’apprentissages selon que l’on cherche à modifier une disposition générale des élèves ou l’appropriation de savoirs et de savoir-faire. Ainsi, sous l’apparente unité de la problématique que laisse entrevoir l’expression « articulation lecture-oralité » ou « articulation lecture-écriture » se trouvent en fait de nombreuses problématiques didactiques, qui ne sont pas nécessairement unifiées et qui ont donné lieu à des contributions issues de différents champs de recherche et de leur croisement : sciences du langage, psycho-sociologie, épistémologie, théorie de l’argumentation convergeant et dialoguant avec les didactiques des sciences et de l’histoire.

Johann-Günther EGGINGER
CREHS
Université d’Artois
Catherine SOUPLET
CIREL
Université de Lille

Trois articles Varia ont été ajoutés aux articles thématiques.


Bibliographie

Chabanne J.-C. & Bucheton D. (2002) Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. Paris : PUF.
Jaubert M. (2007) Langage et construction de connaissances à l’école. Un exemple en sciences. Bordeaux : PU de Bordeaux.
Jorro A. (1999) Le lecteur interprète. Paris : PUF.
Hassani Idrissi M. (1998) Pensée historienne et apprentissage de l’histoire. Paris : L’Harmattan.
Olson D. R.(1998) L’univers de l’écrit, comment la culture écrite donne forme à la pensée. Paris : Retz.
Orange C. (2012) Enseigner les sciences : Problèmes, débats et savoirs scientifiques en classe. Bruxelles : de Boeck.
Schneeberger P. & Vérin A. (dir.) (2009) Développer des pratiques d’oral et d’écrit en sciences. Quels enjeux pour les apprentissages à l’école ? Lyon : INRP.
Tuttiaux-Guillon N. (2008) « Histoire-géographie : un trait d’union pour traduire un modèle commun » – in : L. Viennot (dir.) Didactique, épistémologie et histoire des sciences (89-111). Paris : PUF.
Vézier A. & Doussot S. (éds.) (2019, à paraître) Les pratiques de récit pour penser les didactiques. Rennes : PU de Rennes.

Spirale - Revue de Recherches en Éducation – 2019 N° 64 (3-9)