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mardi 6 novembre 2012

« École, citoyenneté, laïcité »
Débat entre Joël ROMAN et Charles COUTEL organisé par P. CANIVEZ et D. DESVIGNES - Spirale 7 (1992)

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École, citoyenneté, laïcité. Ces trois notions liées étroitement — organiquement — par une tradition politique inaugurée par la Révolution française, sont revenues tout récemment au premier plan de l’actualité politique et éditoriale. Chacun se rappelle la « crise politique » déclenchée par l’opposition vigoureuse des partisans de l’enseignement privé aux propositions d’Alain Savary en 1984 ou ce qu’on a appelé « l’affaire des foulards » et le « Münich de l’école républicaine ». La maison d’édition Calmann-Lévy vient de nous livrer, en 1990, deux ouvrages qui invitent à relire l’histoire de l’école et à repenser son rôle : celui de Philippe Raynaud et Paul Thibaud intitulé La fin de l’école républicaine ; celui de Laurence Cornu, Jean-Claude Pompougnac et Joël Roman qui a pour titre Le barbare et l’écolier - La fin des utopies scolaires. Le débat sur l’école, qui ressurgit aujourd’hui, s’est noué autour de trois questions majeures. La liaison entre l’Ecole et la République tout d’abord. Dans un article paru dans le Nouvel Observateur en octobre 1989, Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler soulignent que « la figure française de la démocratie a pour nom la République… Vouée au libre examen, liée à l’essor des connaissances, et confiante dans la seule lumière naturelle des hommes, la République a pour fondement l’Ecole. C’est pourquoi la destruction de l’Ecole précipiterait celle de la République ». Cette représentation de l’école comme lieu d’apprentissage de la vertu républicaine se trouve mise en question à la lumière de l’expérience scolaire connue depuis cent ans :
« Reste une mystique et une légende indéniables. C’est que la République a besoin de l’école… Celle-ci en est le temple où les vertus civiques sont honorées, où une égalité de droit est réalisée, puisqu’elle met chacun aux prises avec le savoir, où l’identité entre la nation française et l’universalisme des Droits de l’Homme est exaltée, où l’on pratique la laïcité comme religion civile. A se complaire toutefois dans ce miroir on oublie qu’il fut dès le début une idéalisation. C’est davantage le mythe de l’école que l’école réelle. »
Philippe Raynaud et Paul Thibaud font eux aussi la part de la légende qui s’est emparée de l’école et soulignent combien aujourd’hui — loin d’être le fondement du politique — l’enseignement est devenu « un bien intermédiaire quelconque » . Une telle évolution semble traduire le triomphe d’attitudes consuméristes vis-à-vis de l’école et soulève le problème du rôle que peut jouer l’école dans la formation du citoyen. Cette fonction assignée à l’école républicaine introduit à son tour la question de la laïcité, traditionnellement définie comme le refus de l’expression des convictions dans le champ clos de l’espace scolaire. Le contenu de la laïcité, le sens qu’on peut lui donner dans notre contexte politique, social et culturel, sont interrogés par ceux-là même qui entendent en défendre l’héritage. Michel Morineau, Secrétaire national de la Ligue de l’Enseignement, Secrétaire général du Cercle Condorcet de Paris, nous rappelle que si les valeurs fonda-trices de la laïcité demeurent… les Républicains ont appris à leurs dépens… que la raison peut se tromper, que l’Etat a ses intérêts propres parfois contradictoires avec le bien public, que les cléricalismes ne sont pas tous d’essence religieuse et que le pluralisme culturel n’est pas incompatible avec l’unité de la Nation…".
Pour analyser les liens qui se sont tissés entre Ecole, Citoyenneté et Laïcité, pour éclairer la signification que peuvent avoir ces mots aujourd’hui, pour comprendre le retour en force d’un discours républicain ou républicaniste, nous avons invité :
 Charles Coutel, Professeur agrégé de Philosophie, auteur avec Catherine Kintzler d’une réédition des Ecrits sur l’Instruction publique de Condorcet, qui mène une recherche de doctorat consacrée à l’Idée de République et d’instruction publique dans l’œuvre de Condorcet. Il vient de publier une anthologie : La République et l’école.
 Joël Roman, Professeur agrégé de philosophie, rédacteur en chef de la revue Esprit, co-auteur de l’ouvrage Le Barbare et l’Ecolier. Il a signé, dans le numéro de septembre 1990 de la revue Esprit, un article intitulé « La fin du modèle républicain ».

Spirale - Revue semestrielle de l’Ecole Normale de Lille - 1992 N°7 (103-116)